La Gnose de Valentin Jules Stany Doinel. A mes frères et mes soeurs de lEglise Gnostique répandus dans les ténèbres de ce monde Hylique. I Jaborde la gnose de Valentin. Cest la gnose complète. Je laborde avec foi, enthousiasme et tremblement, car je sens que lheure est venue où la Doctrine longtemps muette, longtemps cachée, longtemps persécutée, va jeter sur les hommes de cette fin de siècle sa clarté salutaire et libératrice. Je remercie Papus de mavoir ouvert lInitiation, pour cet apostolat gnostique. Le jour nest pas loin où je pourrai avec laide des Saints Eons exposer en public, devant les hommes de bonne volonté du grand et noble Paris, lEvangile pour lequel ont vécu, lutté, souffert, pleuré, versé leur sang, les martyrs, les apôtres, les docteurs et les initiés depuis Simon le Mage jusquaux glorieux Albigeois. Notre âge est vraiment privilégié. Il voit fleurir la Kabbale, la Théosophie, lInitiation, lAstrologie, la Science Occulte. Il assiste à un réveil prodigieux. Toute une constellation desprits éminents resplendit dans son ciel psychique. Des revues, des journaux, des livres, répandent la lumière de lOrient sur notre terre occidentale. Labsolu se manifeste. Nest-il pas juste que la gnose qui a rayonné pendant plusieurs siècles et qui sest presque éteinte, reparaisse à son tour dans le firmament des âmes ? Je ne suis quune voix qui la proclame, cette voix ne raisonnera pas dans le désert. Mais que tout profane sécarte. Nous ne jetons pas les perles dOphir devant les Hyliques ignorants. II Le principe de la Gnose est celui-ci : LAbsolu émane des forces divines qui sont des hypostases. Ces émanations sont projetées par couples (Syzygies) de séries décroissantes, ce sont les Eons. Au commencement était le Silence, Eon éternel, source des Eons, linvisible silence linnommé, lineffable, lAbîme ; la langue vulgaire lappelle Dieu. Principe et cause, infini, enveloppé de soi-même, il nagissait pas. Mais dans son silence inviolé deux « générateurs », le principe mâle et le principe femelle, lun, le mâle, illuminateur den Haut, lautre, la femelle, illuminateur den Bas, contenaient la racine, la source de lEtre, ou plutôt étaient eux-mêmes la racine et la source. LAbîme (Buthor), senveloppant ainsi à soi-même, se contemplait avec sa coéternelle épouse, la Pensée (Ennoia). Silencieuse comme lui, Ennoia recevait dans cet inexprimable embrassement le germe fécond, le germe divin des Emanations. Cest par Ennoia que lAbîme allait engendrer. Car il était amour, et lamour aspire à se répandre. Et il ny a pas damour qui ne veuille quelque chose à aimer. III LAbîme voulut donc se répandre, et avec la pensée il émane lIntelligence, lEon Noûs, le premier-né (Monogenâs), seul capable de comprendre la grandeur de son Rêve. Cest le premier des Eons, lArché, il est mâle, et Dieu se révèle par lui. Lacte qui lémane émane en même temps de sa compagne, sa parente, labsolue Vérité (Alêthéia), Eon femelle à côté de lEon mâle, subjectivité à côté de lobjectivité. Cest ainsi que se constitue la première Tétrade. 1-2. Sigê-Ennoia (Silence - Pensée). 3-4. Noûs-Alêtheia (Intelligence - Vérité) Cette première Tétrade est la manifestation intérieure, interne , de lAbsolu. Les Eons sortis de Dieu émanèrent à leur tour comme Dieu. Noûs et Alêtheia engendrèrent la Parole et la Vie (Logos et Zoê). Logos et Zoê émanèrent lEssence humaine (Anthropos) et lAssemblée (Ecclêsia). On doit savoir quAnthropos est lHomme-Type dont notre humanité nest quune copie lointaine, et quEcclêsia est lEnsemble du Cosmos. De sorte que Anthropos, mâle, et Ecclêsia, femelle, sont les deux archétypes du monde de lIntelligence et de celui de la matière. Cest la seconde Tétrade. 5-6. Logos-Zoê. 7-8. Anthropos-Ecclêsia. Avec la première tétrade, cette deuxième tétrade constitue lOgdoade qui condense les ineffables beautés de lUn, de lAbsolu. IV Comme leur Père, les Eons allaient émaner, toujours par syzygie, par couple, par principe mâle et femelle, Logos et Zoê émanèrent donc et projetèrent : 1-2. Bythics et Mixis 3-4. Ageratos et Hénosis. 5-6. Autophyêss et Hedonê. 7-8. Akinétos et Synkrasis. 9-10. Monogenês et Makana. Ces dix Eons forment la Décade. Anthropos et Ecclêsia émanèrent et projetèrent : 1-2. Paraclutos et Pistis. 3-4.Patricos et Elpis. 5-6. Métricos et Agapê. 7-8. Aeinous et Sunêsis. 9-10. Ecclêssiasticos et Makaridès. 11-12. Thélêtos et Sophia. Ces douze Eons forment la Dodécade. La réunion de lOgdoade, de la Décade et de la Dodécade, manifestant par degrés successifs et descendants lAbsolu, constituent la plénitude, ou, pour parler le langage de Valentin, le Plérome. Chacun des Eons est une hypostase de la vie de lAbîme Divin, un type qui le reproduit, un échelon mystérieux pour monter jusquà lui. LOgdoade est plus élevé que la Décade, et la Dodécade moins élevée. Valentin disait avec Paul (Colossiens, II, 9) : « En elle habite le Plérome de la divinité. » Ces notions contiennent lessence de la Théologie du grand Valentin. Nous devons exposer avec la même clarté simple et sans emphase la cosmogonie de ce docteur de la Gnose. V Tous les Eons émanés de lAbîme ne connaissaient pas son essence, sa nature. Seul, Noûs (lintelligence) la connaissait, étant le principe mâle sorti de lui et dEnnoia. « Personne, disent Mathieu et Luc, ne connaît le Père, si ce nest le Fils. » (Math, XI, 27 ; Luc, X, 22.) Cette science parfaite cependant était ambitionnée par tous les Eons. Ils émanaient de Dieu, ils tendaient à lui, ils laimaient, ils étaient dévorés du désir insatiable de le connaître. Noûs leur aurait communiqué cette science parfaite si le Silence éternel le lui eût permis. Mais il ne le permit pas. Par suite de lémanation à mesure que les Eons émanés séloignaient de leur source, du foyer de lInfini, leur ignorance de ce mystère ineffable allait croissant et leur langueur saugmentait. Leur insatiable désir devenait une véritable souffrance. Cette souffrance, Sophia la ressentait à un degré incalculable. Elle était le dernier Eon de la Dodécade, la plus loin du père, par là même le plus ignorant du secret de sa nature, Unie à Thélétos (volonté), elle ne pouvait supporter son principe mâle. Elle avait soif de lAbîme. Elle désirait sunir avec lui. Elle aimait la source des émanations, le père des Eons, le premier Eon. Elle luttait ainsi contre limpossible. Et dans la violence passionnée de cette lutte, elle se serait perdue, anéantie, si la Limite, lEon Horos ne lui avait été envoyée par Sigê (le Père). Horos fit rentrer Sophia dans les limites de son être, dans les bornes de sa nature. Emané pour restaurer lharmonie du Plérome troublée par les langueurs de Sophia, Horos se sentit impuissant à remplir toute sa mission, car, dans sa passion damour indicible, Sophia avait déjà gravi les sublimes échelons de la plénitudes. Il fallut aider Horos. Cest pourquoi Noûs émana un couple nouveau : Christ et Pneuma (lEsprit). Ces deux Eons devaient pacifier le monde divin du Plérome. Christ apparaissant aux Eons leur expliqua le déploiement de lAbsolu, ses lois, ses règles, ses exigences, sa normes. Grâce à lui, les Eons comprirent que lAbsolu, incompréhensible en soi, ne peut être perçu et saisi par ses manifestation, ses émanations, son devenir successif et que son incommunicable essence reposait dans léternel Sigê (Silence). Après Christ, Pneuma parla aux Eons et leur enseigna la sainte résignation et la sainte paix de lacquiescence. VI Cependant les langueurs de Sophia navaient pas été stériles. Sans le secours de son parent Volonté, elle avait enfanté delle-même, durant ses ardeurs inassouvies, un Eon femelle émané de son désir de sunir à lAbîme. Cet Eon, Achamoth, ou Sophia-Terrestre, précipité en naissant du Plérome, exilé dans le chaos, errait hors des limites du monde divin que lui barrait impitoyablement Horos. Achamoth, en tombant du Plérome, avait eu la vision rapide de la Lumière ineffable qui lui était ravie. Le sentiment de sa chute, la pensée torturante de son isolement la poursuivaient dans son exil. On pourrait lui appliquer ces beaux vers du poète ésotérique, Lamartine : Tout mortel est semblable à lexilé dEden, Lorsque Dieu leut banni du céleste jardin ; Mesurant dun regard les fatales limites , Il sassit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin, dans limmortel séjour, Lharmonieux soupir de lEternel amour. Souvent linfortunée sélançait jusquaux confins de la Plénitude. Horos la repoussait, comme larchange au glaive flamboyant de la Bible repoussait Adam et Eve aux portes resplendissantes du Paradis. Alors, Achamoth roulait dans le vide et pleurait : Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, LHomme est un Dieu tombé qui se souvient des Cieux. De ces larmes sacrées naquit lélément humide. De cette tristesse auguste sortit la matière. Alors, Horos eut pitié dAchamoth. Il émana pour la consoler lEon Jésus, dont elle devint la compagne et qui fit briller sur elle un reflet du Plérome. Ainsi rachetée et réhabilitée, Achamoth émana trois éléments : le Pneumatique, le Psychique, lHylique. De ces trois éléments elle forma le Démiurge, ouvrier inconscient des mondes den Bas. VII Démiurge, qui avait en lui tout à la fois le reflet du Plérome et lélément naturel, sépare le principe hylique du principe psychique, primitivement confondus dans le chaos, et en créa six mondes gouvernés par six Eons. Ces six mondes sont les sphères den haut, la zone sextuple du Firmament. Avec le principe hylique, Démiurge organisa le monde matériel : « Ce monde subsiste en Dieu, disait Valentin, comme une tache sur une tunique blanche. « LEon de ce monde matériel est Satan, appelé aussi lArchon de ce monde par Saint Paul. Satan est né de la matière, en même temps que son escorte desprits pervers. Bientôt Démiurge voulut combattre la méchanceté de Satan. Il lui opposa un adversaire, lHomme. Lâme de lhomme est formé dun rayon du principe psychique ; son corps, dun fragment hylique de la matière. Achamoth insinua alors dans lhomme un germe pneumatique. De là la triple nature de lhomme. Démiurge fut jaloux de son oeuvre quand il vit quelle était ennoblie par le germe pneumatique, étincelle du Plérome. Pour se venger, il imposa à lhomme lobligation de sabstenir du fruit savoureux de larbre de la Science du Bien et du Mal. Lhomme désobéit à cette loi, se révolta contre le Démiurge et fut chassé du Paradis. Une triple enveloppe hylique empoisonna son âme. Démiurge le soumit aux appétits des sens et lui donna le goût des voluptés, afin détouffer en lui le germe de la lumière, la clarté pneumatique que lui avait donnée Achamoth. Achamoth bienfaisante et douce, pitoyable et maternelle, Achamoth, « sel de la terre » et « lumière du monde », donna alors à lhomme la Grâce, cet invisible secours qui lui permet de résister aux naïves concupiscences. Les hommes sont divisés en trois classes : Les Pneumatiques ou Gnostiques, esprits supérieurs et initiés, qui suivent la lumière dAchamoth ; les Psychiques, flottant entre la lumière et les ténèbres, entre Achamoth et Démiurge ; les Hyliques, sujets de Satan, dont lâme est matérielle et qui seront anéantis. Seth, Abel, Caïn, représentent ces trois catégories. VIII Il nous reste à exposer la rédemption, daprès Valentin. Notre monde à nous hommes a été racheté par lEon Jésus. Il est venu par le canal immaculé de lEon Miriam que nous nommons Marie. LEon Jésus na rien de matériel. Il est formé dun principe psychique emprunté à Démiurge et dun corps astral. Il est animé par Christ, qui quitta le Plérome et se reposa en lui, en lui communiquant la puissance absolue sur le monde de Satan. Son enseignement a racheté et rachète encore les pneumatiques. Au moment de la passion, Christos, Eon impassible, le soutint et le fortifia. La Croix (Stauros), devenue la limite qui sépare les pneumatiques des autres hommes, est le symbole sacré de la Gnose. Telle est dans son ensemble, la doctrine de Valentin. Elle répond à toutes les difficultés. Jamais lAbsolu ne sest manifesté plus lumineusement que dans cette admirable épopée qui se passe successivement dans les trois mondes. Il resterait à parler de la morale gnostique. Quil suffise maintenant de dire quelle proclame Dieu innocent du mal, de la douleur et de linjustice. Lorigine du mal nous fournira la matière dune autre étude. Veuille lEon qui accompagne chacun de nous nous éclairer, nous illuminer, nous purifier. Amen. Jules Stany Doinel. |