Tableau Naturel des Rapports qui existent entre Dieu, lHomme et lUnivers L.C. de Saint-MARTIN - 1782 Lunivers nexiste que par des facultés créatrices, invisibles ; les facultés créatrices de lunivers ont une existence nécessaire et indépendante de lunivers, comme mes facultés visibles existent nécessairement et indépendamment de mes oeuvres matérielles. Indépendamment des facultés créatrices universelles de la nature sensible, il existe, encore hors de lhomme, des facultés intellectuelles et pensantes, analogues à son être, et qui produisent en lui des pensées ; car les mobiles de sa pensée nétant pas à lui, il ne peut trouver ces mobiles que dans une source intelligente, qui ait des rapports avec son être ; sans cela, ces mobiles nayant aucune action sur lui, le germe de sa pensée demeurerait sans réaction et par conséquent sans effet. Cependant, quoique lhomme soit passif dans ses idées sensibles, il lui reste toujours le privilège dexaminer les pensées qui lui sont présentées, de les juger, de les adopter, de les rejeter, dagir ensuite conformément à son choix et despérer, au moyen dune marche attentive et suivie, datteindre un jour à la jouissance invariable de la pensée pure : toute chose qui dérivent naturellement de lusage de la liberté. La liberté Comme principe, la liberté est la vraie source de détermination, cest cette faculté qui est en nous de suivre la loi, qui nous est imposée, ou dagir en opposition à cette loi ; cest enfin la faculté de rester fidèle à la lumière qui nous est sans cesse présentée. Cette liberté principe se manifeste à lhomme, même lorsquil sest rendu esclave des influences étrangères à sa loi. Alors on le voit encore, avant de se déterminer, comparer entre elles les diverses impulsions qui le dominent, opposer ses habitudes et ses passions les unes aux autres et choisir enfin celle qui a le plus dattrait pour lui. Considérée comme effet, la liberté se dirige uniquement daprès la loi donnée à notre nature intellectuelle ; alors, elle suppose lindépendance, lexemption entière de toute action, force ou influence contraire à cette loi, exemption que peu dhomme ont connue. Sous ce point de vue, où lhomme nadmet aucun autre motif de sa loi, toutes ses déterminations, tous ses actes sont leffet de cette loi qui le guide, et cest alors seulement quil est vraiment libre, nétant jamais détourné par aucune impulsion étrangère de ce qui convient à son être. Dieu Quant à lêtre principe, à cette force pensante universelle, supérieure à lhomme, de laquelle nous ne pouvons pas surmonter ni éviter laction, et dont lexistence est démontrée par létat passif où nous sommes envers elle relativement à nos pensées, ce dernier Principe a aussi une liberté qui diffère essentiellement de celles des autres êtres ; car étant lui-même sa propre loi, il ne peut jamais sen écarter et sa liberté nest exposée à aucune entrave ou impulsion étrangère. Ainsi, il na pas cette faculté funeste par laquelle lhomme peut agir contre le but même de son existence. Ce qui démontre la supériorité infinie de ce Principe universel et Créateur de toute loi. Ce Principe suprême, source de toutes les puissances, soit de celles qui vivifient la pensée dans lhomme, soit de celles qui engendrent les oeuvres invisibles de la nature matérielle, cet être nécessaire à tous les autres êtres, germe de toutes les existences : ce terme final vers lequel elles tendent, comme par un effort irrésistible, parce que toutes recherchent la vie ; cet être, dis-je est celui que les hommes appellent généralement DIEU. La Nature LUnivers ne peut influer sur les facultés actives et créatrices auxquelles il doit lexistence, et il na pas de rapport plus direct et plus nécessaire avec Dieu, à qui appartient ces facultés, que nos oeuvres matérielles nen ont avec nous. LUnivers est, pour ainsi dire, un être à part ; il est étranger à la divinité, quoiquil ne lui soit ni inconnu, ni même indifférent... Il ne tient point à lessence divine, quoique Dieu soccupe du soin de lentretenir et de le gouverner. Ainsi il ne participe point à la perfection, que nous savons appartenir à la Divinité ; il ne forme point unité avec elle ; par conséquent il nest pas compris dans la simplicité des lois essentielles et particulières à la Nature Divine. Aussi aperçoit-on partout dans lUnivers des caractères de désordre et de difformité ; ce nest quun assemblage violent de sympathies et dantipathies, de similitudes et de différences, qui forcent les êtres à vivre dans une continuelle agitation, pour se rapprocher de ce qui leur convient, et pour fuir ce qui leur est contraire : ils tendent sans cesse à un état plus tranquille, ils tendent à lunité doù tout est sorti. Limperfection attachée aux choses temporelles, prouve quelles ne sont ni égales ni coéternelles à Dieu, et démontre en même temps quelles ne peuvent être permanentes comme lui : car leur nature imparfaite ne tenant point de lessence de Dieu, à laquelle seule appartient la perfection et la Vie, doit pouvoir perdre la vie ou le mouvement quelle a pu recevoir : parce que le véritable droit que Dieu ait de ne pas cesser dêtre, cest de navoir pas commencé. Dans lordre intellectuel, cest le supérieur qui nourrit linférieur ; cest le principe de toute existence qui entretient dans tous les êtres la vie quil leur a été donné ; cest la source première de la vérité, que lhomme intellectuel reçoit journellement ses pensées et la lumière qui léclaire. Or ce principe supérieur nattendant sa vie, ni son soutien daucune de ses productions, recevant tout de lui-même, est à jamais à labri de la privation, de la disette et de la mort. Au contraire, dans toutes les classes de lordre physique, cest linférieur qui nourrit et alimente le supérieur. Cest là limage la plus frappante de son impuissance et la preuve la plus certaine de la nécessité de sa destruction ; car ne pouvant conserver sa vertu génératrice et son existence, que par le secours de ses propres productions, on ne saurait la croire impérissable, sans lui reconnaître, comme dans Dieu, la faculté essentielle et sans limites dengendrer ; et alors on ne verrait en elle ni stérilité, ni sécheresse. Dans le principe suprême, qui a ordonné la production de cet Univers, et qui en maintient lexistence, tout est essentiellement ordre, paix, harmonie ; ainsi on ne doit pas lui attribuer la confusion qui règne dans toutes les parties de notre ténébreuse demeure ; et ce désordre ne peut être que leffet dune cause inférieure et corrompue qui ne peut agir que séparément et hors du Principe du bien : car il est encore plus certain quelle est nulle et impuissante, relativement à la Cause première. Il est impossible que ces deux Causes existent hors de la classe des choses temporelles. Dès que la Cause inférieure a cessé dêtre conforme à la loi de la Cause supérieure, elle a perdu toute union et toute communication avec elle ; parce qualors la cause supérieure, Principe éternel de lordre et de lharmonie, a laissé la cause inférieure, opposée à son unité, tomber delle-même dans lobscurité de sa corruption, comme elle nous laisse tous les jours perdre volontairement de létendue de nos facultés, et les resserrer, par nos propres actes, dans les bornes des affections les plus viles, au point de nous éloigner absolument des objets qui conviennent à notre nature. La matière, le mal Ainsi, loin que la naissance du mal et la création de lenceinte, dans laquelle il a été renfermé, aient produit, dans lordre vrai, un plus grand ensemble de choses et ajouté à lImmensité, elles nont fait que particulariser ce qui par essence devait être général ; que diviser des actions qui devaient être unies ; que contenir dans un point ce qui avait été séparé de luniversalité, et devait sans circuler sans cesse dans toute léconomie des êtres ; que sensibiliser enfin sous des formes matérielles ce qui existait déjà en principe immatériel : car, si nous pouvions anatomiser lUnivers et écarter ses enveloppes grossières, nous en trouverions les germes et les fibres principes disposés dans le même ordre où nous voyons que sont leurs fruits et leurs productions ; et cet Univers invisible serait aussi distinct à notre intelligence que lUnivers matériel lest aux yeux de notre corps. Cest là où les Observateurs se sont égarés, en confondant lUnivers invisible et lUnivers visible, et en annonçant le dernier, comme étant fixe et vrai, ce qui nappartient quà lUnivers invisible et principe. Cest ainsi que la cause inférieure eut pour limites le rempart sensible et insurmontable de laction invisible vivifiante et pure du grand Principe, devant laquelle toute corruption voit anéantir ses efforts. Cette cause inférieure, exerçant son action dans lespace ténébreux où elle est réduite, tout ce qui y est contenu avec elle sans exception, doit être exposé à ses attaques : et quoi quelle ne puisse rien sur lessence de lUnivers, elle peut en combattre les Agents, mettre obstacle au résultat de leurs actes, et insinuer son action déréglée dans les moindres dérangements des êtres particuliers, pour en augmenter encore le désordre. Comment la Cause inférieure peut être opposée à la Cause supérieure ? ou comment le principe intelligible peut-il produire quelque chose qui va sopposer à lui ? Pour comprendre cela, nous allons chercher comment il se peut que le mal existe en présence des phénomènes matériels. L être créateur produit sans cesse des êtres hors de lui, comme les principes des corps produisent sans cesse hors deux leurs actions. Il ne se produit point des assemblages puisquil est Un, simple dans son essence. Par conséquent, si, parmi les productions de ce premier Principe, il en est qui puissent se corrompre, elles ne peuvent au moins se dissoudre ni sanéantir, comme les productions corporelles et composées. Les êtres matériels La corruption, le dérangement, le mal enfin des productions matérielles, est de cesser dêtre sous lapparence de la forme qui leur est propre. La corruption des productions immatérielles est de cesser dêtre dans la loi qui les constitue. Cependant la destruction des productions matérielles, lorsquelle arrive dans son temps et naturellement nest point un mal ; elle nest désordre que dans le cas où elle est prématurée : et même le mal est moins alors dans les êtres livrés à la destruction, que dans laction déréglée qui loccasionne. Les êtres immatériels Les êtres immatériels, au contraire, nétant pas des assemblages, ne peuvent jamais être pénétrés par aucune action étrangère ; ils ne peuvent en être décomposés, ni anéantis. Ainsi, la corruption de ces êtres ne saurait provenir de la même source que celle des productions matérielles : puisque la loi contraire, qui agit sur elles, ne peut agir sur des êtres simples. La corruption A qui cette corruption doit-elle donc être attribuée ? Car les productions soit matérielles, soit immatérielles, puisant la vie dans une source pure, chacune selon sa classe, ce serait injurier le principe, que dadmettre la moindre souillure dans leur essence. De la différence extrême qui existe entre les productions immatérielles et les productions matérielles, il résulte que celles-ci étant passives, puisquelles sont composées, ne sont point les agents de leur corruption ; elles nen peuvent donc être que le sujet, puisque le désordre leur vient nécessairement du dehors. Au contraire, les productions immatérielles, en qualité dêtres simples, et dans leur état primitif et pur, ne peuvent recevoir ni dérangement, ni mutilation, par aucune force étrangère ; puisque rien delles nest exposé et quelles renferment toute leur existence et tout leur être en elle-même, comme formant chacune leur unité : doù il en résulte que sil en est qui ont pu se corrompre, non seulement elles ont été le sujet de leur corruption, mais encore elles ne ont dû être lorgane et les agents : car il était de toute impossibilité que la corruption leur vînt dailleurs ; puisquaucun être ne pouvait avoir prises sur elles ; ni déranger leur loi. Un être qui approche et qui jouit de la vue des vertus du souverain Principe, peut-il trouver un motif prépondérant opposé aux délices de ce sublime spectacle ? Sil détourne les yeux de ce grand objet, ou si les portant sur ces productions pures de lInfini, il cherche, en les contemplant, un motif faux et contraire à leurs lois, peut-il le trouver hors de soi-même, puisque ce motif est le mal, et que ce mal nexistait nulle part pour lui avant que cette pensée criminelle leût fait naître, comme nulle production nexiste avant son Principe générateur. Le Principe divin ne contribue point au mal et au désordre qui peuvent naître parmi ses productions puisquil est la pureté même : étant simple et étant le loi de sa propre essence et de toutes ses oeuvres, il est impassible à toute action étrangère. Le désordre et la corruption ne sétendent pas sur les Principes premiers. Quoique les êtres libres distincts du grand Principe, puissent écarter les influences intellectuelles qui descendent continuellement sur eux ; quoique ces influences intellectuelles reçoivent peut-être dans leur cours quelque contraction qui en détourne les effets, celui qui leur envoie ces présents salutaires ne ferme jamais sa main bienfaisante. Il a toujours la même activité. Il est toujours également fort, également puissant, également pur, également impassible aux égarements de ses productions libres, qui peuvent se plonger elle-même dans le crime, et enfanter le mal par les seuls droits de leur volonté. Il serait donc absurde dadmettre aucune participation de lêtre divin aux désordre des êtres libres, et à ceux qui en résultent dans lUnivers ; en un mot, Dieu et le mal ne peuvent jamais avoir le moindre rapport. Ce serait avec aussi peu de fondements quon attribuerait le mal aux êtres matériels, puisquils ne peuvent rien par eux-mêmes, et que toutes leur action vient de leur principe individuel, lequel est toujours dirigé ou réactionné par une force séparée de lui. Or, sil ny a que trois classes dêtres : Dieu, les êtres intellectuels et la Nature physique : si lon ne peut trouver lorigine du mal dans la première, qui est exclusivement la source de tout bien ; ni dans la dernière , qui nest ni libre, ni pensante ; et que cependant lexistence du mal soit incontestable ; on est nécessairement forcé de lattribuer à lhomme, ou à tout autre être, tenant comme lui un rang intermédiaire. Le mal provient des Etres intermédiaires Lhomme agit tantôt bien, tantôt mal ; cest-à-dire que tantôt il suit les lois fondamentales de son être, tantôt il sen écarte. Quand il fait bien, il marche dans la lumière et le secours de lintelligence ; et quand il fait mal, on ne peut lattribuer quà lui seul, et non à lintelligence, qui est la seule voie, le seul guide du bien, et par laquelle seule lhomme et tous les êtres peuvent bien faire. Nous ne pouvons connaître la nature essentielle du mal car pour le comprendre, il faudrait quil fût vrai, et alors il cesserait dêtre mal, puisque le vrai et le bien sont la même chose. Comprendre, cest apercevoir le rapport dun objet avec lordre et lharmonie dont nous avons la règle en nous même. Si le mal na aucun rapport avec cet ordre et quil en soit précisément lopposé comment pourrions-nous apercevoir entre eux quelque analogie ; comment par conséquent pourrions nous le comprendre ? Le mal a cependant son poids, son nombre et sa mesure, comme le bien : et lon peut même savoir en quel rapport sont ici-bas le poids, le nombre et la mesure du mal, et cela en quantité, en intensité, et en durée. Car le rapport du mal au bien en quantité est de neuf à un , en intensité de zéro à un , et en durée de sept à un. Le but de lhomme : le retour à lUnité Lorsquun homme produit une oeuvre quelconque, il ne fait que peindre et rendre visible le plan, la pensée ou le dessein quil a formé. Il sattache à donner à cette copie autant de conformité quil lui est possible avec loriginal, afin que sa pensée soit mieux entendue. Si les hommes dont lhomme veut se faire entendre, pouvaient lire dans sa pensée, il naurait aucun besoin des signes sensibles pour en être compris : tout ce quil concevrait serait saisi par eux, aussi promptement et avec autant détendue que par lui-même. Il nemploie donc tous ces moyens physiques, il ne produit toutes ces oeuvres matérielles que pour annoncer sa pensée à ses semblables, à des êtres distincts de lui, de les assimiler à une image de lui-même, et en sefforçant de les envelopper dans son unité, dont ils sont séparés. Tous les hommes nont et nauront jamais pour but que de faire acquérir à leurs pensées, le privilège de luniversalité, de lunité. Cest cette même loi universelle de réunion qui produit lactivité générale, et cette voracité que nous avons remarqué dans la Nature physique : car on voit une attraction réciproque entre tous les corps, par laquelle, en se rapprochant, ils se substantent et se nourrissent les uns les autres ; cest par le besoin de cette communication, que tous les individus sefforcent de lier à eux, les êtres qui les environnent de les confondre en eux et de les absorber dans leur propre unité, afin que les subdivisions venant à disparaître, ce qui est séparé se réunisse ; ce qui est à la circonférence revienne à la lumière, et que par-là lharmonie et lordre surmontent à la confusion qui tient tous les êtres en travail. Lorsque Dieu a eu recours à des signes visibles, tels que lUnivers, pour communiquer sa pensée, il na pu les employer quen faveur dêtres séparés de lui. Car si tous les êtres fussent restés dans son unité, ils nauraient pas eu besoin de ces moyens pour y lire. Dès lors nous reconnaîtrons que ces êtres corrompus séparés volontairement de la cause première, et soumis aux lois de sa justice dans lenceinte visible de lUnivers, sont toujours lobjet de son amour, puisquil agit sans cesse pour faire disparaître cette séparation si contraire à leur bonheur. La loi de tendance à lunité La loi de tendance à lunité sappliquant à toutes les classes et à tous les êtres, il résulte que le moindre des individus a le même but dans son espèce : cest-à-dire, que les principes universels, généraux et particuliers se manifestent chacun dans les productions qui leur sont propres, afin de rendre par là leurs vertus visibles aux êtres distinct deux, qui étant destinés à recevoir la communication et les secours de ces vertus, ne le pourraient sans ce moyen. Ainsi, toutes les productions, tous les individus de la Création générale et particulière, ne sont, chacun dans leur espèce, que lexpression visible, le tableau représentatif des propriétés du principe soit général, soit particulier qui agit en eux. Ils doivent tous porter en eux les marques évidentes de ce principe qui les constitue. Ils doivent en annoncer clairement le genre et les vertus, par les actions et les faits quils opèrent. En un mot, ils doivent en être le signe caractéristique, et, pour ainsi dire, limage sensible et vivante. Lerreur des théories évolutionnistes Les théories évolutionnistes qui supposent la nature des choses perfectible qui peut successivement porter les classes et les espèces les plus inférieurs aux premiers rangs délévation dans la chaîne des êtres. Cette conjecture est dictée par lerreur car tout est réglé, tout est déterminé dans les espèces, et même les individus. Il y a pour tout ce qui existe une loi fixe, un nombre immuable, un caractère indélébile, comme celui de lêtre principe en qui président les lois, tous les nombres, tous les caractères. Chaque classe, chaque famille a sa barrière que nulle force ne pourra jamais franchir. Si lexistence de toutes les productions de la Nature navait pas un caractère fixe, comment pourrait-on en reconnaître lobjet et les propriétés ? Comment saccompliraient les desseins du grand Principe qui, en déployant cette Nature aux yeux des êtres séparés de lui, a voulu leur présenter des indices stables et réguliers, par lesquels ils pussent rétablir avec lui leur correspondance et leurs rapports ? Si ces indices matériels étaient variables ; si leur loi, leur marche, leur forme même nétaient pas déterminées, loeuvre de ce Peintre ne serait quun tableau successif dobjets confus, sur lesquels lintelligence ne trouverait point à se reposer, et qui ne pourrait jamais montrer le but du grand être. Enfin ce grand être lui-même nannoncerait que limpuissance et la faiblesse, en ce quil se serait proposé un plan quil naurait pas su remplir. Chaque production de la Nature a son caractère déterminé ; cest par là seulement quelle peut être lexpression évidente de son principe ; à sa seule vue, un oeil exercé doit pouvoir décider de quel agent telle production manifeste les facultés. Lhomme ne peut donc exister aussi que par cette loi générale. En quoi lhomme diffère-t-il des autres productions de la Nature ? Pour connaître lhomme, il faut chercher en lui les signes dun Principe dun autre ordre que le principe qui anime la matière. Si lon observe attentivement les oeuvres de lhomme on apercevra que non seulement elles sont les expressions de ses pensées ; mais encore, quil cherche, autant quil le peut, à se peindre lui-même dans ses ouvrages. Il ne cesse de multiplier sa propre image par la Peinture et la Sculpture, et dans mille productions des Arts les plus frivoles ; enfin, il donne aux édifices quil élève, des proportions relatives à celles de son corps. Vérité profonde, qui pourra découvrir un espace immense à des yeux intelligents ; car ce penchant si actif à multiplier ainsi son image, et à ne trouver le beau que dans ce qui sy rapporte, doit à jamais distinguer lhomme de tous les êtres particuliers de cet Univers. Contrairement aux animaux qui ont des comportements identiques dans chacune des espèces, lhomme noffre que des différences et des oppositions. Chaque homme est semblable à un souverain dans son Empire. Non seulement lhomme diffère de ses semblables, mais à tout instant encore il diffère de lui-même. Il veut et ne veut pas ; il hait et il aime ; il prend et il rejette presque en même temps le même objet ; presque en même temps il en est séduit et dégoûté. Bien plus, il fuit quelquefois ce qui lui plaît ; sapproche de ce qui le répugne ; va au devant des maux, des douleurs et même de la mort. Ainsi lon peut dire que dans ses ténèbres, comme dans sa lumière, lhomme manifeste un principe tout à fait différent de celui qui opère et qui entretient le jeu de ses organes. Cest une méprise impardonnable de conclure de différents exemples particuliers, à une loi générale pour lespèce humaine. Lhomme a en lui les germes de toutes les vertus ; elles sont toutes dans sa nature, quoiquil ne les manifeste que partiellement, de là vient que souvent lorsquil semble méconnaître les vertus naturelles, il ne fait que les substituer les unes aux autres. Sil est vrai que lhomme nait pas une seule idée à lui ; et que cependant lidée dun tel pouvoir et dune telle lumière soit, pour ainsi dire, universelle, tout peut être dégradé dans la science et la marche ténébreuse des hommes, mais tout ny est pas faux. Cette idée annonce donc quil y a dans eux quelque analogie, quelques rapports avec laction suprême, et quelques vestiges de ses propres droits ; comme nous avons déjà trouvé dans lintelligence humaine, des rapports évidents avec lintelligence infinie et avec ses vertus . Si chacun des êtres de la Nature est lexpression dune des vertus temporelles de la sagesse, lhomme est le signe ou lexpression visible de la Divinité même ; autrement la ressemblance nétant pas parfaite, le modèle pourrait être méconnu. Les éléments intermédiaires : les nombres Avant que les choses temporelles puissent avoir eu lexistence qui nous les rend sensibles, il a fallu des éléments primitifs et intermédiaires entre elles et les facultés créatrices dont elles descendent, sont dune nature trop différente pour pouvoir exister ensemble sans intermède ; ce qui nous est physiquement répété par le soufre et lor, par le mercure et la terre, lesquels ne peuvent sunir que par la même loi dune substance intermédiaire. Tout ce qui existe dans la nature corporelle, toutes les formes, les moindres traits, ne sont et ne peuvent être que des réunions, des combinaisons, ou des divisions des signes primitifs qui sont les nombres. Rien ne peut paraître parmi les choses sensibles qui ne soient écrit par eux, qui ne descendent deux et qui ne leur appartienne, comme toutes les figures possibles de la Géométrie seront toujours composées de points, de lignes, de cercles ou de triangles. Lhomme lui-même, dans ses oeuvres matérielles, qui ne sont que des oeuvres secondes par rapports aux oeuvres de la Nature, est lié, comme tous les autres êtres à ces signes primitifs ; il ne peut rien élever, rien tracer, rien construire ; il ne peut imaginer aucune forme, exécuter un seul mouvement volontaire ou involontaire, qui ne tiennent à ces modèles exclusifs, dont tout ce qui se meut, tout ce qui vit dans la Nature, nest que le fruit de la représentation. Sil en pouvait être autrement, lhomme serait créateur dune autre Nature et dun autre ordre de choses, qui nappartiendraient point au Principe producteur et modèle de tout ce qui existe sensiblement pour nous. Il nest donc rien dans lhomme corporel, ni dans ses productions, qui ne soit, quoique très secondairement, lexpression de laction créatrice universelle, que tout être corporel représente, dès quil existe et quil agit. La parole et lécriture Les sons et les caractères alphabétiques, qui servent dinstruments fondamentaux à tous les mots que nous employons pour manifester nos idées, doivent tenir à des signes et à des sons primitifs qui leur servent de base ; et cette vérité profonde nous est tracée de toute antiquité dans le fragment de Sanchoniaton, où il représente Thot tirant le portrait des Dieux pour en faire les caractères sacrés des lettres ; 10, emblème sublime et dune fécondité immense, parce quil est pris dans la source même où lhomme devrait toujours puiser. Puisque la loi qui sert dorgane à la suprême Sagesse établit partout un ordre et une régularité, elle doit avoir déterminé, pour lexpression des pensées quelle nous envoie, des signes invariables, comme elle en a établi pour la production de ses faits matériels. Les sons et les caractères primitifs étant les vrais signes sensibles de nos pensées, ils doivent être les signes sensibles de lunité pensante car il ny a quun seul principe de toutes choses. Ainsi les productions les plus défigurées, que nous puissions manifester par la parole et par lécriture, portent toujours secondairement lempreinte de ces signes primitifs ; et par conséquent celle de cette unique idée, ou de lunité pensante : ainsi lhomme ne peut proférer une seule parole, tracer un seul caractère, quil ne manifeste la faculté pensante de lAgent suprême ; comme il ne peut produire un seul acte corporel, un seul mouvement, sans en manifester les facultés créatrices. Lhomme est destiné à être le signe et lexpression parlante des facultés universelles du Principe suprême, dont il est émané ; comme tous les êtres particuliers sont, chacun dans leur classe, le signe visible du principe particulier qui leur a communiqué la vie. Lémanation Lémanation divine doit être comprise en tant que le Principe créateur na éprouvé ni séparation, ni division, ni aucune altération dans leur essence. Pour bien comprendre ce terme, procédons par analogie. Quand je produis extérieurement quelque acte intellectuel, lorsque je communique à lun de mes semblables la plus profonde de mes pensées, ce mobile que je porte dans son être, qui va le faire agir peut lui donner une vertu : ce mobile, quoique sorti de moi, quoi quétant, pour ainsi dire, un extrait de moi-même et de ma propre image, ne me prive point de la faculté den produire de pareils. Jai toujours en moi le même germe de pensées, la même volonté, la même action ; et cependant jai en quelque façon donné une nouvelle vie à cet homme, en lui communiquant une idée, une puissance qui nétait rien pour lui, avant que jeusse fait en sa faveur, lespèce démanation dont je suis susceptible. Nous souvenant toutefois quil ny a quun seul Auteur et créateur de toutes choses, on verra pourquoi je ne communique que des lueurs passagères ; au lieu que cet Auteur universel communique lexistence même, et la vie impérissable. Mais, si dans lopération qui mest commune avec tous les hommes, on sait évidemment que lémanation de mes pensées, volontés et actions, naltèrent en rien mon essence ; à plus forte raison la vie divine peut se communiquer par des émanations : elle peut produire sans nombre et sans fin, les signes et les expressions delle-même, et ne jamais cesser dêtre le foyer de la vie. La réminiscence Si nous sommes émanés dune source universelle de vérité, aucune vérité ne doit nous paraître nouvelle et réciproquement, si aucune vérité ne nous paraît nouvelle, mais que nous ny apercevions que le souvenir ou la représentation de ce qui était caché en nous, nous devons avoir pris naissance dans la source universelle de la vérité. Lhomme intellectuel, par sa primitive existence, a dû selon la loi universelle des êtres tenir à son arbre générateur. Il était, pour ainsi dire, le témoin de tout ce qui se existait dans son atmosphère : et comme cette atmosphère est autant au-dessus de celle que nous habitons, que lIntellectuel est au-dessus du matériel même, les faits auxquels lhomme participait, étaient incomparablement supérieurs aux faits de lordre élémentaire : et la différence des uns et des autres, est celle quil y a entre la réalité des êtres qui ont une existence vraie et indélébile, et lapparence de ceux qui nont quune vie indépendante et secondaire. Ainsi, lhomme étant lié à la vérité, participait, quoique passivement, à tous les faits de la vérité. Après avoir été détaché de larbre universel , qui est son arbre générateur, lhomme se trouvant précipité dans une région inférieure pour y éprouver une végétation intellectuelle, sil parvient à y acquérir des lumières et à manifester les vertus et les facultés analogues à sa vraie nature, il ne fait que réaliser et représenter par lui-même ce que son Principe avait déjà montré à ses yeux : il ne fait que recouvrer la vue dune partie des objets qui avaient déjà été en sa présence ; que se réunir à des êtres avec lesquels il avait déjà habité ; enfin, que découvrir de nouveau, dune manière plus intuitive, plus active, des choses qui avaient déjà existé pour lui, dans lui, et autour de lui. Voilà pourquoi lon peut dire davance que tous les êtres créés et émanés dans la région temporelle, et lhomme par conséquent, travaillent à la même oeuvre, qui est de recouvrer leur ressemblance avec le Principe, cest-à-dire, de croître sans cesse jusquà ce quils viennent au point de produire leurs fruits, comme il a produit les siens en eux. Lhomme est né pour prouver à tous les êtres quil y a un Dieu nécessaire, lumineux, bon, juste, saint, puissant, éternel, fort, toujours prêt à revivifier ceux qui laiment, toujours terrible pour ceux qui veulent le combattre ou le méconnaître. Heureux lhomme, sil neût jamais annoncé Dieu quen manifestant ses puissances et non pas en les usurpant ! Lhomme ne peut surpasser son Créateur puisque toute les productions sont inférieures à leur Principe générateur, puisque nous ne sommes que lexpression des Facultés divines et du Nombre divin, et non pas la nature même de ces facultés et de ce nombre qui est le caractère propre et distinctif de la Divinité. A quelque point que nous montions, il sera éternellement et infiniment au dessus de nous, comme au dessus de tous les êtres. Cest même lhonorer que dennoblir ainsi notre propre essence ; parce que nous ne pouvons nous élever dun degré que nous ne lélevions en même temps dans un rapport quadruple ; puisque toute action, comme tout mouvement, toute progression est quaternaire, et que nous ne pouvons nous mouvoir que selon limmuabilité de ses lois. Enfin, si nous descendons de la Divinité, si elle est le principe immédiat de notre existence, plus nous nous en rapprochons, et plus nous lagrandissons aux yeux de tous les êtres ; puisqualors nous faisons sortir dautant plus déclat de ses Puissances et de sa supériorité. Dieu doit être notre terme de comparaison si nous voulons nous préserver de toutes les illusions et des amorces de lorgueil par lesquelles lhomme est si souvent réduit. Le crime de lhomme Puisque lêtre divin est le seul Principe de la lumière et de la vérité : puisquil possède seul les facultés fixes et positives, dans lesquelles réside exclusivement la vie réelle et par essence : dès que lhomme a cherché ces facultés dans un autre être, il a dû de toute nécessité les perdre de vue, et ne rencontrer que le simulacre de toutes ces vertus. Ainsi, lhomme ayant cessé de lire dans la vérité na pu trouver autour de lui que lincertitude et lerreur. Ayant abandonné le seul séjour de ce qui est fixe et réel, il a dû entrer dans une région nouvelle, qui, par ses illusions et son néant, fût toute opposée à celle quil venait de quitter. Il a fallu que cette région nouvelle par la multiplicité de ses lois et de ses actions, lui montrât en apparence une autre unité que celle de lêtre simple, et dautres vérités que la sienne. Enfin, il a fallu que le nouvel appui sur lequel il sétait reposé, lui présentât un tableau fictif de toutes les facultés, de toutes les propriétés de cet être simple, et cependant quil nen eût aucune. Des nombres 4 et 9 Lhomme sest égaré en allant de quatre à neuf ; cest-à-dire, quil a quitté le centre des vérités fixes et positives, qui se trouvent dans le nombre quatre comme étant la source et la correspondance de tout ce qui existe ; comme étant encore, même dans notre dégradation, le nombre universel de nos mesures, et de la marche des Astres. Lhomme sest uni au nombre neuf des choses passagères et sensibles, dont le néant et le vide sont écrits sur la forme même circulaire ou neuvaire, qui leur est assignée, et qui tient lhomme comme dans le prestige. Les êtres sensibles Dans la région temporelle, lhomme est condamné à saisir par les sens seulement les êtres composés puisquil ny a relation que entre des êtres de même nature. Lhomme est donc réduit, en demeurant dans cette région temporelle, à napercevoir que des unités apparentes : cest-à-dire quil ne peut connaître aujourdhui que des poids, des mesures et des nombres relatifs, au lieu des poids, des mesures et des nombres fixes quil employait dans son milieu natal. Toutefois, les choses sensibles, qui ne sont quapparentes et nulles pour lesprit de lhomme, ont une réalité analogue à son être sensible et matériel. La sagesse est si féconde, quelle établit des proportions dans les vertus et dans les réalités, relativement à chaque classe de ses productions. La mort Les choses corporelles et sensibles nétant rien pour l être intellectuel de lhomme, on voit comment doit sapprécier ce que lon appelle la mort, et quelle impression elle peut produire sur lhomme sensé, qui nest point identifié avec les illusions de ces substances corruptibles. Car le corps de lhomme, quoique vrai pour les autres corps, na comme eux aucune réalité pour lintelligence, et à peine doit-elle sapercevoir quelle sen sépare : en effet lorsquelle le quitte, elle ne quitte quune apparence, ou pour mieux dire, elle ne quitte rien. Au contraire, tout nous annonce quelle doit gagner plutôt que perdre ; car, avec un peu dattention, nous ne pouvons que nous pénétrer de respect pour ceux que leur loi délivre de ces entraves corporelles, puisqualors il y a une illusion de moins entre eux et le vrai. Le premier crime de lhomme Le crime de lhomme fut davoir abusé de la connaissance quil avait de lunion du principe de lUnivers avec lUnivers. La privation de cette connaissance est la peine de ce crime : nous subissons tous cette irrévocable punition, par lignorance où nous sommes sur les liens qui attachent notre être intellectuel à la matière. La preuve manifeste que cette connaissance ne peut nous être parfaitement rendue pendant notre séjour sur la Terre, cest que nétant dans ce bas Monde que pour subir la privation de la lumière que nous avons laissée échapper, si nous pouvions y recouvrer pleinement cette lumière, nous serions plus en privation et par conséquent nous ne serions plus dans ce bas Monde. La lumière Les lois de la lumière élémentaire sont semblables aux lois de la lumière intellectuelle. Outre la nécessité dun Principe primordial et générateur, il faut à lune et à lautre base, une réaction et une classe d êtres susceptibles den être les témoins et de participer à ses effets : ce qui annonce que la lumière sensible et la lumière intellectuelle nagissent, ne procède et ne manifeste que par un quaternaire. Il y a des êtres intelligents qui sont totalement séparés de la lumière intellectuelle, il y en a qui nen sont point séparés, mais qui ne participent quà ses effets extérieurement ; il y en a qui en reçoivent intérieurement les rayons, mais qui sont dans une ignorance absolue des voies par lesquelles elles se propagent ; il y na donc que ceux qui sont admis dans son conseil, ou à la science même de celui doù tout descend, qui puissent recouvrer cette connaissance primitive, parce que ce nest que là où ils peuvent recevoir la lumière, la voir, en jouir et la comprendre enfin cest là où se déploie avec une efficacité supérieure tous les pouvoirs du grand quaternaire parce que dans cette classe suprême résident tous les types des quatre points cardinaux du monde élémentaire. Lhomme na point su conserver cette sublime jouissance qui fut jadis son apanage, il a voulu transposer lordre de ces quatre points fondamentaux de toute lumière et de toute vérité ; or les transposer, cest les confondre, et les confondre, cest les perdre et sen priver. Le temps Lhomme, en sunissant par une suite de la corruption de sa volonté aux choses mixtes de la région apparente et relative, sest assujetti à laction des différents principes qui la constituent, et celle des différents agents préposés pour les soutenir, et pour présider à la défense de leur loi : et ces choses mixtes ne produisant par leur assemblage que des phénomènes temporels, lents et successifs, il en résulte que le temps est le primordial instrument des souffrances de lhomme, et le puissant obstacle qui le tient éloigné de son Principe : le temps est le venin qui le ronge, tandis que cétait lui qui devait purifier et dissoudre le temps : le temps enfin, ou la région qui sert de prison à lhomme, est semblable à leau dont le pouvoir est de tout dissoudre, daltérer plus ou moins vite la forme de tous les corps, et dans laquelle on ne peut plonger lor sans quil ny soit privé du dix-neuvième de son poids ; phénomène qui selon des calculs intègres représente au naturel notre véritable dégradation. En effet, le temps nest que lintervalle de deux actions : ce nest quune contraction, quune suspension dans laction des facultés dun être. Aussi, chaque année, chaque moi, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque moment, le principe supérieur ôte et rend les puissances aux êtres, et cest cette alternative qui forme le temps. Létendue éprouve également cette alternative, elle est soumise aux même progression que le temps : ce qui fait que le temps et lespace sont proportionnels. Laction de lhomme étant étrangère à cette région terrestre, cette action est perpétuellement suspendue et divisée en lui. On ne peut douter que la véritable action de lhomme nétait pas faite pour être assujettie à la région sensible ; puisque la lumière fait des progrès pour se communiquer à lui, à mesure que laction sensible labandonne et quil sen dépouille ; et puisque loin quil doive attendre tout de ses sens, il na rien que quand ils sont calmes et dans une espèce de néant pour son intelligence. En apercevant tant de beautés dans les productions des êtres physiques, dont la loi na point été dérangée, nous pouvons donc nous former une idée des merveilles que lhomme ferait éclore en lui, sil suivait la loi de sa vraie nature, et quà limage de la main quil a formé, il tâcha, dans toutes les circonstances de sa vie, dêtre plus grand que ce quil fait. Son être intellectuel arriverait au dernier terme de sa carrière temporelle, avec la même pureté quil avait en commençant le cours. On le verrait dans la vieillesse unir les fruits de lexpérience avec linnocence de son premier âge. Tous les pas de sa vie auraient fait découvrir, en lui la lumière, la science, la simplicité, la candeur, parce que toutes ces choses sont dans son essence. Enfin, le germe qui lanime se serait étendu, sans saltérer ; et il rentrerait avec le calme de la vertu, dans la main qui le forma, parce quen lui représentant sans aucune altération, le même caractère et le même sceau quil en avait reçu, elle y reconnaîtrait encore son empreinte et y verrait toujours son image. Le nombre des temps que lhomme doit subir pour accomplir son oeuvre, est proportionné au nombre des degrés, au-dessous desquels il est descendu ; car, plus le point dune force tombe est élevé, plus il lui faut du temps et defforts pour y remonter. Lhomme doit se former, pendant son séjour sur terre, un ensemble de lumières et de connaissances qui embrasse une sorte dunité. Mais le complément des véritables jouissances ne peut être obtenue car elles nappartiennent pas à lordre terrestre : lhomme ne peut saisir que lesquisse et la représentation de ces lumières. « Que lhomme intelligent médite ici sur les lois de l Astre lunaire, qui nous représentent, sous mille faces, notre privation ; quil examine pourquoi cet Astre ne nous est visible que pendant ses jours de matière ; et pourquoi nous le perdons de vue le vingt-huitième jour de son cours, quoiquil se lève également sur notre horizon. » Tout se réunit pour prouver à lhomme quaprès avoir parcouru laborieusement cette surface, il faut quil atteigne à des degrés plus fixes et plus positifs, qui aient plus danalogie avec les vérités simples et fondamentales dont le germe est dans sa nature. Enfin, il faut à la mort, quil réalise la connaissance des objets, dont il na pu apercevoir ici que lapparence. Les langues supérieures « Je peux convenir que ces connaissances supérieures consistent dans lintelligence et lusage de deux langues communes et vulgaires, puisquelles tiennent aux jouissances primitives de lhomme. La première a pour objet les choses Divines et na que quatre Lettres pour tout alphabet ; la seconde en a vingt-deux et sapplique aux productions, soit intellectuelles, soit temporelles du grand Principe : le même crime a privé lhomme de ces deux langues. Sil y avait une nouvelle prévarication, il se formerait pour lui une troisième langue qui aurait quatre-vingt-huit Lettres, et qui le reculerait encore plus de son terme. » La réhabilitation Lhomme ne peut parcourir les régions fixes et réelles de purification, sans acquérir une existence plus active, plus étendue, plus libre ; cest-à-dire sans respirer un air plus pur et découvrir un horizon plus vaste, à mesure quil approche du sommet désiré : comme nous voyons que plus les principes des corps se simplifient, plus ils acquièrent de vertus : et comme lair grossier, qui dégagé des substances matérielles, remplit un espace si prodigieux relativement à celui quil occupait dans les corps, que limagination en est presque effrayée. « Il en est de même de cette classe intellectuelle et invisible comme du simple physique élémentaire ; toute la Nature est volatile, et ne tend quà sévaporer ; elle le ferait même en un instant, si le fixe qui la contient lui appartenait ; mais ce fixe nest point à elle, il est hors delle, quoiquagissant violemment sur elle ; et elle ne forme jamais dalliance avec lui, quelle ne commence par une dissolution, il y a aussi plusieurs degrés dalliances et damalgames. » Ainsi, semblables à ces globules dair et de feu qui séchappent des substances corporelles en dissolution, et qui sélèvent avec plus ou moins de vitesse ; selon le degré de leur pureté et létendue de leur action ; nous ne pouvons douter quà leur mort, les hommes qui nauront point laissé amalgamer leur propre essence avec leur habitation terrestre, ne sapprochent rapidement de leur région natale, pour y briller, comme les Astres, dune splendeur éclatante ; que ceux qui auront fait quelque mélange deux-mêmes avec les illusions de cette ténébreuse demeure, ne traversent avec plus de lenteur lespace qui les sépare de la région de la vie ; et que ceux qui se seront identifiés avec les souillures dont nous sommes environnés, ny demeurent ensevelis dans les ténèbres et dans lobscurité, jusquà ce que les moindres de ces substances corrompues soient dissoutes, et quelles fassent disparaître avec elles une corruption qui ne peut cesser quautant elles finiront elles-mêmes. La chute de lhomme Lhomme navait reçu lêtre que pour exercer son action sur luniversalité des choses temporelles, et il na voulu lexercer que sur une partie ; il devait agir pour lintellectuel contre le sensible, et il a voulu agir pour le sensible contre lintellectuel : enfin, il devait régner sur lUnivers ; mais, au lieu de veiller à la conservation de son Empire, il la dégradé lui-même, et lUnivers sest écroulé sur lêtre puissant qui devait ladministrer et le soutenir. Toutes les vertus sensibles de lUnivers se sont écroulées sur lui, lont comprimé avec toute leur force et toute leur puissance ; les vertus intellectuelles avec lesquelles lhomme devait agir de concert se sont trouvées séparées de lui et renfermées chacune dans leur sphère et dans leur région. Ce qui était simple pour lui est devenu multiple et subdivisé ; ce qui était subdivisé et multiple, sest congloméré et la écrasé de son poids ; cest-à-dire pour lui que le sensible a pris la place de lintellectuel, et lintellectuel celle du sensible. La naissance de lhomme Le corps de lhomme, avant sa formation individuelle, est répandu dans toute la forme du père ; il est uni à toutes les puissances qui sont dans son principe générateur. Quand le moment de la naissance est arrivé, le germe corporel répandu dans la forme universelle du père se concentre, se rassemble en un point. Alors il sexile et sensevelit dans le sein ténébreux de la femme où mélangé avec les fluides impurs et enveloppé de mille barrières, il na pas la même jouissance de lair où ses organes les plus parfaits sont sans fonction et où il ne reçoit la vie et les secours des éléments que par un point passif tandis que la destination de lhomme était de correspondre activement avec toute la Nature. Dans cet état, les premiers mouvements de lhomme ont été de se dégager de ces masses étrangères qui laccablaient ; ça a été de séparer péniblement ses propres vertus davec toutes ces matières impures avec lesquelles elles étaient confondues ; enfin ça a été de réunir toutes ses forces pour sortir de dessous des décombres de lUnivers. Mais des lois positives sopposant à ce quun être puisse sallier avec ce qui lui est contraire sans porter lempreinte et les traces de son amalgame, il fut impossible au premier homme de sortir de son cloaque avec la même pureté, la même agilité quil avait avant de sy précipiter ; et voilà pourquoi lhomme particulier après avoir séjourné dans le sein de la femme, après y avoir exercé laction dont il est alors susceptible pour démêler son germe sensible davec tous les liens et les entraves qui le resserrent paraît au jour renfermé dans une forme plus opaque que le fluide subtil qui enveloppait son propre germe. Après que lhomme primitif eût surmonté cet obstacle, il lui resta un pas très considérable à faire ; ce fut de sunir successivement aux forces des divers éléments qui agissaient dans son atmosphère ; telle est aussi la tâche de lhomme particulier qui, après avoir été admis à la lumière élémentaire, languit encore longtemps avant daccoutumer ses yeux à son éclat, son corps aux impressions de laire et ses organes aux différentes lois établies pour les formes corporelles. De même, quen recevant la naissance, lhomme est censé avoir rassemblé en lui ses vertus physiques et particulières, avec lesquelles il peut parvenir à participer aux forces universelles de latmosphère, quil a quittées et qui sont extérieure à lui ; de même lhomme intellectuel, délivré de sa première prison, et admis avec sa forme matérielle sur la terre doit travailler à recouvrer successivement ses propres forces et ses propres vertus intellectuelles, avec lesquelles il peut tendre à recouvrer celles dont il a été séparé par le crime. Mais ce que lhomme physique fait dune manière passive et aveugle dans le corporel, lhomme intellectuel doit le faire par les efforts constants et libres de sa volonté. Lhomme intellectuel, qui sest réduit volontairement à une classe inférieure et bornée, doit généraliser son être, et en étendre les vertus jusquaux extrémités de son enceinte particulière, sil veut atteindre jusquà cette enceinte universelle et sacrée dont il sest banni. Enfin, la volonté étant en quelque sorte le sang de lhomme intellectuel et de tout être libre ; étant lagent par lequel seul ils peuvent effacer en eux et autour deux les traces de lerreur et du crime, la revivification de la volonté est la principale tâche de tous les êtres criminels : et vraiment, cest un si grand oeuvre, que toutes les puissances y travaillent depuis lorigine des choses, sans avoir encore pu lopérer généralement. Le travail de lhomme Après avoir reçu dans un lieu ténébreux une enveloppe grossière, après avoir rallié en lui les forces intellectuelles qui lui sont propres, lhomme a encore à multiplier ces mêmes forces ; en les réunissant à celles qui sont extérieures à lui, il a à recueillir les vertus de tous les règnes terrestres ; à distinguer toutes les espèces de chaque règne , et même les caractères particuliers de chaque individu ; il a enfin à scruter jusquaux entrailles de la Terre , pour y apprendre à connaître les désordres qui font lhorreur et la honte de notre triste demeure, lesquels sont indiqués soit par les métaux qui nont point dhuile, soit par la fureur des volcans, soit par le grand nombre dinsectes et danimaux malfaisants et vénéneux, qui sont bannis de dessus de la terre, et se cachent dans ses gouffres, comme si le jour leur était interdit. Ce qui rend les travaux si imposants, cest que lhomme laisse écouler en vain le nombre de temps accordé pour les accomplir, et il lui faut un second nombre de temps plus considérable, plus pénible que le premier attendu quil a alors et la première et la seconde force à acquérir. Si pendant ce second nombre de temps, ce malheureux homme ne remplit pas mieux sa tâche quil ne la fait dans le premier, il en faut nécessairement un troisième encore plus rigoureux que les deux autres, et ainsi de suite, sans quon puisse se fixer dautres termes à ses maux, que ceux quil leur fixera lui-même, en sacrifiant toutes les vertus qui sont en lui. La vie terrestre de lhomme est la matrice de lhomme futur, en effet, celui-ci portera dans une autre terre , le plan , la structure, la manière dêtre quil se sera fixée lui-même dans son séjour ici-bas. La chute de lhomme se répercute dans tout lUnivers Lhomme choisi par la Sagesse suprême pour être le signe de sa puissance, devait resserrer le mal dans ses limites, et travailler sans relâche à rendre la paix à lUnivers. Et sa sublime destination suppose assez quelles doivent être ses vertus puisque lui seul devait posséder toutes les forces partagées entre tous les êtres rebelles. Mais, sil a laissé corrompre sa virtuelle activité ; si au lieu de subjuguer le désordre, il a fait alliance avec lui, ce désordre a dû saccroître et se fortifier, au lieu de sanéantir. Ce qui doit faire concevoir comment tous les êtres de la région sensible peuvent être aujourdhui dans un plus grand pâtiment, ou un plus grand travail, quils ne létaient avant le crime de lhomme. De plus, le crime de lhomme va jusquà se répercuter dans des sphères intelligibles, sur les Ministres de la sagesse divine. |