LETTRE AUX VRAIS DISCIPLES D'HERMÈS CONTENANT SIX
PRINCIPALES CLEFS DE LA PHILOSOPHIE SECRÈTE
extrait de : Le Triomphe Hermétique ou la Pierre Philosophale
Victorieuse
Auteur : Limojon de Saint-Didier
Edition : 1699
LETTRE
AUX VRAIS DISCIPLES D'HERMÈS
CONTENANT
SIX PRINCIPALES CLEFS
DE LA PHILOSOPHIE SECRÈTE
Si j'escrivois cette lettre pour persuader la verité de
nôtre Philosophie à ceux, qui s'imaginent qu'elle n'est qu'une
vaine idée, et un pur Paradoxe, je suivrois l'exemple de
plusieurs maîtres en ce grand art; je tâcherois de convaincre
de leurs erreurs ces sortes d'esprits, en leur demontrant la
solidité des principes de notre science, appuyés sur les loix,
et sur les operations de la nature, et je ne parlerois que
legerement de ce qui regarde sa pratique; mais comme j'ay un
dessein tout different, et que je n'escris que pour vous seuls,
sages Disciples d'Hermes, et vrays Enfans de l'art, mon unique
but est de vous servir de guide dans une route si difficile à
suivre. Nostre pratique en effet est un chemin dans les sables,
où l'on doit se conduire par l'estoile du Nord, plutost que par
les vestiges qu'on y voit imprimés. La confusion des traces,
qu'un nombre presqu'infini de personnes y ont laissées, est si
grande, et on y trouve tant de differents sentiers, qui menent
presque tous dans des deserts affreux, qu'il est presque
impossible de ne pas s'égarer de la veritable voye, que les
seuls sages favorisés du Ciel, ont heureusement sçeu deméler,
et reconnoistre.
Cette confusion arréte tout court les enfans de l'art, les uns
dez le commencement, les autres dans le milieu de cette course
Philosophique, et quelques uns mesme lors qu'ils aprochent de la
fin de ce penible voyage, et qu'ils commencent à decouvrir le
terme heureux de leur entreprise; mais qui ne s'aperçoivent pas,
que le peu de chemin, qui leur reste à faire, est le plus
difficile. Ils ignorent que les envieux de leur bonheur ont
creusé des fosses, et des precipices au milieu de la voye, et
que faute de sçavoir les détours secrets, par où les sages
evitent ces dangereux pieges, ils perdent malheureusement tout
l'avantage qu'ils avoient acquis, dans le mesme temps, qu'ils
s'imaginoient d'avoir surmonté toutes les difficultez.
Je vous avouë sincerement, que la pratique de nostre art est la
plus difficile chose du monde, non par raport à ses operations,
mais à l'égard des difficultés qu'il y a, de l'apprendre
distinctement dans les livres des Philosophes: car si d'un côté
elle est appellée avec raison, un jeu d'enfans; de l'autre elle
requiert en ceux, qui en cherchent la verité par leur travail et
leur estude, une connoissance profonde des Principes, et des
operations de la nature dans les trois genres; mais
particulierement dans le genre mineral et metallique. C'est un
grand point de trouver la veritable matiere, qui est le sujet de
nostre oeuvre; il faut percer pour cela mille voiles obscurs,
dont elle a esté envelopée; il faut la distinguer par son
propre nom, entre un million de noms extraordinaires, dont les
Philosophes l'ont diversement exprimée; il en faut comprendre
toutes les proprietés, et juger de tous les degrés de
perfection, que l'art est capable de lui donner; il faut
connoître le feu secret des sages qui est le seul agent qui peut
ouvrir, sublimer, purifier, et disposer la matiere à estre
reduite en eau; il faut penetrer pour cela jusques à la source
divine de l'eau celeste, qui opere la solution, l'animation, et
purification de la pierre; il faut sçavoir convertir nostre eau
metallique en huile incombustible par l'entiere solution du
corps, d'où elle tire son origine, et pour cet effet, il faut
faire la conversion des elemens, la separation, et la reunion des
trois principes; il faut apprendre comment on doit en faire un
Mercure blanc et un Mercure citrin; il faut fixer ce Mercure, le
nourrir de son propre sang, afin qu'il se convertisse en soufre
fixe des Philosophes. Voilà quels sont les points fondamentaux
de nôtre art; le reste de l'oeuvre se trouve assés clairement
enseigné dans les livres des Philosophes, pour n'avoir pas
besoin d'une plus ample explication.
Comme il y a trois regnes dans la nature, il y a aussi trois
medecines en nôtre art, qui font trois oeuvres différents dans
la pratique, et qui ne font toutes fois que trois differens
degrés qui élevent nôtre elixir à sa derniere perfection. Ces
importantes operations des trois oeuvres, sont reservées sous la
Clef du secret par tous les Philosophes, afin que les sacrés
misteres de nôtre divine Philosophie ne soient pas revelés aux
prophanes; mais pour vous, qui estes les enfans de la science, et
qui pouvés entendre le langage des Sages, les serrures vous
seront ouvertes, et vous aurés les Clefs des precieux tresors de
la nature, et de l'art, si vous appliqués tout vôtre esprit à
comprendre ce que j'ay fait dessein de vous dire, en termes
autant intelligibles, qu'il est necessaire, pour ceux qui sont
predestinés comme vous estes, à la connoissance de ces sublimes
misteres. Je veux vous mettre en main six Clefs avec lesquelles
vous pourrés entrer dans le sanctuaire de la Philosophie, en
ouvrir tous les réduits, et parvenir à l'intelligence des
verités les plus cachées.
PREMIERE CLEF.
La première Clef est celle qui ouvre les prisons obscures, dans
lesquelles le soufre est renfermé; c'est elle qui sçait
extraire la semence du corps, et qui forme la pierre des
Philosophes par la conjoncture du mâle, avec la femelle; de
l'esprit avec le corps; du soufre avec le Mercure. Hermes a
manifestement demontré l'operation de cette premiere Clef par
ces paroles: De cavernis metallorum occultus est, qui lapis
est venerabilis, colore splendidus, mens sublimis, et mare patens;
Cette pierre a un brillant esclat, elle contient un esprit
d'une origine sublime, elle est la mer des Sages, dans laquelle
ils pêchent leur misterieux poisson. Le même Philosophe marque
encore plus particulièrement la naissance de cette admirable
pierre, lors qu'il dit: Rex ab igne veniet, ac conjugio
gaudebit, et occulta patebunt. C'est un Roi couronné
de gloire, qui prend naissance dans le feu, qui se plait à
l'union de l'épouse qui lui est donnée, c'est cette union qui
rend manifeste ce qui étoit auparavant caché.
Mais avant que de passer outre, j 'ay un conseil à vous donner,
qui ne vous sera pas d'un petit avantage; c'est de faire
reflexion que les opérations de chacun des trois oeuvres, ayant
beaucoup d'analogie, et de raport les uns aux autres, les
Philosophes en parlent à dessein en termes équivoques, afin que
ceux qui n'ont pas des yeux de linx, prenent le change, et se
perdent dans ce labirinthe, duquel il est bien difficile de
sortir. En effet lors qu'on s'imagine qu'ils parlent d'un oeuvre,
ils traittent souvent d'un autre: prenés donc garde de ne pas
vous y laisser tromper: car c'est une verité, que dans chaque
oeuvre le sage Artiste doit dissoudre le corps avec l'esprit, il
doit couper la teste du corbeau, blanchir le noir et rougir le
blanc; c'est toutes-fois proprement dans la premiere operation,
que le Sage Artiste coupe la teste au noir dragon, et au corbeau.
Hermes dit, que c'est delà que nôtre art prend son
commencement, quod ex corvo nascitur, hujus artis est
principium . Considerés que c'est par la separation de la
fumée noire, sale, et puante du noir très noir, que se forme
nostre pierre astrale, blanche, et resplendissante, qui contient
dans ses veines le sang du pelican; c'est à cette première
purification de la pierre, et à cette blancheur luisante, que se
termine la premiere Clef du premier oeuvre.
SECONDE CLEF.
La seconde Clef dissout le composé ou la pierre, et commence la
separation des Elemens, d'une maniere Philosophique; cette
separation des Elemens ne se fait qu'en eslevant les parties
subtiles et pures, au dessus des parties crasses et terrestres.
Celui qui sçait sublimer la pierre Philosophiquement, merite à
juste titre le nom de Philosophe, puisqu'il connoit le feu des
Sages, qui est l'unique instrument, qui puisse operer cette
sublimation. Aucun Philosophe n'a jamais ouvertement revelé ce
feu secret, et ce puissant agent, qui opere toutes les merveilles
de l'art; celuy qui ne le comprendra pas, et qui ne sçaura pas
le distinguer aux caracteres, avec lesquels j'ay tâché de le
dépeindre dans l'entretien d'Eudoxe et de Pyrophile, doit
s'arrêter icy, et prier Dieu qu'il l'éclaire : car la
connoissance de ce grand secret est plutôt un don du Ciel,
qu'une lumiere acquise par la force du raisonnement; qu'il lise
cependant les escrits des Philosophes, qu'il medite, et sur tout
qu'il prie; il n'y a point de difficulté, qui ne soit éclaircie
par le travail, la meditation, et la priere.
Sans la sublimation de la pierre, la conversion des Elemens, et
l'extraction des principes, est impossible; et cette conversion,
qui fait l'eau de la terre, l'air de l'eau, et le feu de l'air,
est la seule voye par laquelle nôtre Mercure peut estre fait, et
preparé. Appliqués vous donc à connoistre ce feu secret, qui
dissout la pierre naturellement, et sans violence, et la fait
resoudre en eau dans la grande mer des Sages, par la distillation
qui se fait des rayons du soleil et de la lune. C'est de cette
manière que la pierre, qui selon Hermes, est la vigne des Sages,
devient leur vin, qui produit par les operations de l'art leur
eau de vie rectifiée, et leur vinaigre tres-aigre. Ce pere de
nostre Philosophie s'ecrie sur ce mistere: Benedicta aquina
forma, quæ Elementa dissolvis ! Les elemens de la pierre ne
peuvent estre dissouts, que par cette eau toute divine, et il ne
peut s'en faire une parfaite dissolution, qu'après une digestion
et putrefaction proportionnée, à laquelle se termine la seconde
Clef du premier oeuvre.
TROISIEME CLEF.
La troisième Clef comprend elle seule une plus longue suite
d'operations, que toutes les autres ensemble: les Philosophes en
ont fort peu parlé, bien que la perfection de nostre Mercure en
depende; les plus sinceres même, comme Artephius, le Trevisan,
Flamel, ont passé sous silence les preparations de nostre
Mercure, et il ne s'en trouve presque pas un, qui n'ait supposé,
au lieu d'enseigner, la plus longue, et la plus importante des
operations de nostre pratique. Dans le dessein de vous préter la
main en cette partie du chemin, que vous avés à faire, où
faute de lumière, il est impossible de suivre la veritable voye,
je m'estendray plus que les Philosophes n'ont fait, sur cette
troisième Clef, ou du moins je suivray par ordre ce qu'ils ont
dit sur ce sujet, si confusement, que sans une inspiration du
Ciel, ou sans le secours d'un fidele amy, on demeure
indubitablement dans ce Dedale, sans pouvoir en trouver une
issuë heureuse. Je m'asseure, que vous, qui estes les veritables
enfans de la science, vous recevrez une tres-grande satisfaction,
de l'éclaircissement de ces misteres cachez, qui regardent la
separation et la purification des principes de nostre Mercure,
qui se fait par une parfaite dissolution, et glorification du
corps dont il prend naissance, et par l'union intime de l'ame
avec son corps dont l'esprit est l'unique lien, qui opere cette
conjonction; c'est là l'intention, et le point essentiel des
operations de cette clef, qui se termine à la generation d'une
nouvelle substance infiniment plus noble, que la premiere.
Aprés que le sage Artiste a fait sortir de la pierre une source
d'eau vive, qu'il a exprimé le suc de la vigne des Philosophes,
et qu'il a fait leur vin, il doit remarquer que dans cette
substance homogène, qui paroit sous la forme de l'eau, il y a
trois substances differentes, et trois principes naturels de tous
les corps, sel, souffre, et Mercure, qui sont l'esprit, l'ame, et
le corps; et bien qu'ils paroissent purs et parfaitement unis
ensemble, il s'en faut beaucoup qu'ils le soient encore; car
lorsque par la distillation nous tirons l'eau, qui est l'ame et
l'esprit. le corps demeure au fond du vaisseau, comme une terre
morte, noire, et feculente, laquelle neanmoins, n'est pas à
mépriser; car dans notre sujet, il n'y a rien qui ne soit bon.
Le Philosophe Jean Pontanus proteste que les superfluités de la
pierre se convertissent en une veritable essence, que celuy qui
pretend separer quelque chose de nostre sujet, ne connoist rien
dans la Philosophie, et que tout ce qu'il y a de superflu,
d'immonde, de feculent, et enfin toute la substance du composé,
se perfectionne par l'action de nostre feu. Cet avis ouvre les
yeux à ceux, qui pour faire une exacte purification des elemens
et des principes, se persuadent qu'il ne faut prendre que le
subtil, et rejetter l'épois; mais les enfans de la science ne
doivent pas ignorer que le feu, et le soufre sont cachez dans le
centre de la terre, et qu'il faut la laver exactement avec son
esprit, pour en extraire le beaume, le sel fixe, qui est le sang
de nostre pierre; voilà le mistere essentiel de cette operation,
laquelle ne s'accomplit qu'après une digestion convenable, et
une lente distillation. Suivés donc, enfans de l'art, le
precepte que vous donne le veridique Hermes, qui dit en cet
endroit: oportet autem nos cum hâc aquinâ animâ, ut formam
sulphuream possideamus, aceto nostro eam miscere ; cùm enim
compositum solvitur, clavis est restaurationis. Vous sçavés
que rien n'est plus contraire que le feu, et l'eau; il faut
néanmoins que le sage Artiste fasse la paix entre des ennemis,
qui dans le fond s'aiment ardemment. Le Cosmopolite en a dit le
moyen en peu de paroles: Purgatis ergo rebus, fac ut ignis et
aqua amici fiant ; quod in terrâ suâ, quæ cum iis ascenderat,
facile facient. Soyés donc attentifs sur ce point, abreuvés
souvent la terre de son eau, et vous obtiendrés, ce que vous
cherchés. Ne faut-il pas que le corps soit dissout par l'eau, et
que la terre soit penetrée de son humidité, pour estre renduë
propre à la generation ? Selon les Philosophes l'esprit est Eve;
le corps est Adam; ils doivent estre confoints pour la
propagation de leur espece. Hermes dit la même chose en d'autres
termes: Aqua namque fortissima est natura, quæ transcendit,
et fixam in corpore naturam excitat; hoc est lætificat. En
effet ces deux substances, qui sont d'une même nature, mais de
deux sexes differents, s'embrassent avec le même amour, et la
même satisfaction que le mâle et la femelle, et s'elevent
insensiblement ensemble, ne laissant qu'un peu de feces au fond
du vaisseau; de sorte que l'ame, l'esprit, et le corps, après
une exacte depuration, paroissent enfin inseparablement unis sous
une forme plus noble, et plus parfaite, qu'elle n'êtoit
auparavant, et aussi differente de la premiere forme liquide, que
l'Alkool de vin exactement rectifié, et acué de son sel, est
different de la substance du vin, dont il a esté tiré; cette
comparaison n'est pas seulement trés-juste, mais elle donne de
plus aux enfans de la science une connoissance precise des
operations de cette troisième Clef.
Nostre eau est une source vive, qui sort de la pierre, par un
miracle naturel de nostre Philosophie. Omnium primo est aqua,
quæ exit de hoc lapide. C'est Hermes qui a prononcé cette
grande verité. Il reconnoist de plus, que cette eau est le
fondement de nostre art. Les Philosophes luy donnent plusieurs
noms ; car tantost ils l'appellent vin, tantost eau de vie,
tantost vinaigre, tantost huile, selon les differents degrés de
preparation, ou selon les divers effets, qu'elle est capable de
produire Je vous advertis neanmoins qu'elle est proprement le
vinaigre des sages, et que dans la distillation de cette divine
liqueur, il arrive la même chose que dans celle du vinaigre
commun; vous pouvés tirer de cecy une grande instruction; l'eau
et le flegme montent le premier; la substance huileuse, dans
laquelle consiste l'efficace de nostre eau, vient la derniere.
C'est cette substance moyenne entre la terre, et l'eau, qui dans
la generation de l'enfant Philosophique, fait la fonction de
mâle; Hermes nous la fait bien remarquer par ces paroles
intelligibles: unguentum mediocre, quod est ignis, est medium
inter fæcem, et aquam. Il ne se contente pas de donner ces
lumieres à ses disciples, il leur enseigne de plus dans sa table
d'émeraudes, de quelle maniere ils doivent se conduire dans
cette operation. Separabis terram ab igne ; subtile ab spisso
suaviter, magno cum ingenio. Prenés garde sur tout de ne pas
estouffer le feu de la terre par les eaux du deluge. Cette
separation, ou plustost cette extraction se doit faire avec
beaucoup de jugement.
Il est donc necessaire de dissoudre entierement le corps, pour en
extraire toute son humidité, qui contient ce souffre précieux,
ce beaume de nature, et cet onguent merveilleux, sans lequel vous
ne devés pas esperer de voir jamais dans vôtre vaisseau cette
noirceur si desirée de tous les Philosophes. Reduisés donc tout
le composé en eau, et faites une parfaite union du volatil avec
le fixe; c'est un precepte de Senior, qui merite que vous y
fassiez attention. Supremus fumus, dit-il, ad infimum
reducit debet, et divina aqua Rex est de cælo descendens,
Reductor animæ ad suum corpus est, quod demum à morte vivificat.
Le beaume de vie est caché dans ces feces immondes, vous
devés les laver avec l'eau celeste, jusques à ce que vous en
ayés osté la noirceur, et pour lors vostre eau sera animée de
cette essence ignée, qui opere toutes les merveilles de nostre
art. Je ne puis vous donner là-dessus de meillleurs conseils,
que ceux du grand Trismegiste. Oportet ergo vos ab aqua fumum
super-existentem, ab unguento nigredinem, et à foece mortem
depellere; mais le seul moyen de reussir dans cette
operation, vous est enseigné par le même Philosophe, qui
adioûte immediatement après; et hoc dissolutione, quo
peracto, maximam habemus Philosophiam, et omnium secretorum
secretum.
Mais afin que vous ne vous trompiés pas au terme de composé ;je
vous diray que les Philosophes ont deux sortes de composés. Le
premier est le composé de la nature; c'est celuy dont j'ay
parlé dans la premiere Clef : car c'est la nature qui le fait
d'une manière incomprehensible à l'artiste, qui ne fait que
préter la main à la nature, par l'administration des choses
externes, moyennant quoy elle enfante, et produit cet admirable
composé. Le second est le composé de l'art; c'est le sage qui
le fait par l'union intime du fixe avec le volatil parfaitement
conjoints, avec toute la prudence qui se peut acquerir par les
lumieres d'une profonde Philosophie; le composé de l'art n'est
pas tout à fait le même dans le second, que dans le troisième
oeuvre, c'est neanmoins toûjours l'artiste qui le fait. Geber le
definit un mélange d'argent vif et de souffre, c'est-à-dire du
volatil et du fixe, qui agissant l'un sur l'autre, se
volatilisent, et se fixent reciproquement jusques à une parfaite
fixité. Considerés l'exemple de la nature, vous verrés que la
terre ne produiroit jamais de fruit, si elle n'estoit penetrée
de son humidité, et que l'humidité demeureroit toûjours
sterile; si elle n'estoit retenue, et fixée par la siccité de
la terre.
Vous devés donc estre certains, qu'on ne peut avoir aucun bon
succez en nostre art, si dans le premier oeuvre, vous ne purifiez
le serpent né du limon de la terre, si vous ne blanchissez ces
feces feculentes et noires, pour en separer le souffre blanc, le
sel armoniac des sages, qui est leur chaste Diane qui se lave
dans le bain. Tout ce mistere n'est que l'extraction du sel fixe
de nostre composé dans lequel consiste toute l'energie de nostre
Mercure. L'eau, qui s'eleve par distillation, emporte avec elle
une partie de ce sel ignée; de sorte que l'affusion de l'eau sur
le corps reiterée plusieurs fois, impregne, engraisse, et
seconde notre Mercure, et le rend propre à estre fixé; ce qui
est le terme du second oeuvre: On ne sçaurait mieux exposer
cette verité, qu'Hermes a fait par ces paroles: Cum viderem
quod aqua sensim crassior, duriorque fieri inciperet, gaudebam;
certo enim sciebam, ut invenirem quod quærebam.
Quand vous n'auriez qu'une fort mediocre connoissance de nostre
art, ce que je viens de vous dire seroit plus que suffisant, pour
vous faire comprendre que toutes les operations de cette Clef,
qui met fin au premier oeuvre, ne sont autres que digerer,
distiller, cohober, dissoudre, separer, et conjoindre, le tout
avec douceur, et patience: de cette sorte vous n'aurés pas
seulement une entiere extraction du suc de la vigne des sages;
mais encore vous possederez leur veritable eau de vie; et je vous
advertis que plus vous la rectifierés, et plus vous la
travaillerez, plus elle acquerra de penetration, et de vertu; les
Philosophes ne lui ont donné le nom d'eau de vie, que parce
qu'elle donne la vie aux metaux; elle est proprement appelée la
grande lunaire, à cause de la splendeur, dont elle brille; ils
la nomment aussi la substance sulphurée, le beaume, la gomme,
l'humidité visqueuse, et le vinaigre trés-aigre des
Philosophes, etc.
Ce n'est pas sans raison que les Philosophes donnent à cette
liqueur Mercurielle, le nom d'eau pontique, et de vinaigre
tres-aigre: sa ponticité exuberante est le vray caractere de sa
vertu; il arrive de plus, comme je l'ay déjà dit, dans sa
distillation, la même chose qui arrive en celle du vinaigre, le
flegme et l'eau montent les premiers, les parties soufreuses et
salines s'elevent les derniers; séparés le flegme de l'eau,
unissés l'eau et le feu ensemble, le Mercure avec le souffre, et
vous verrez enfin le noir trés-noir, vous blanchirés le
corbeau, et rougirés le cigne.
Puis que je ne parle qu'à vous; vrays Disciples de Hermes, je
veux vous revéler un secret, que vous ne trouverés point
entierement dans les livres des Philosophes. Les uns se sont
contentés de dire, que de leur liqueur on en fait deux Mercures,
l'un blanc, et l'autre rouge. Flamel a dit plus
particulièrement, qu'il faut se servir du Mercure citrin, pour
faire les imbibitions au rouge; il advertit les enfans de l'art
de ne pas se tromper sur ce point; Il asseure aussi qu'il s'y
seroit trompé lui mesme, si Abraam Juif ne l'en avoit adverti.
D'autres Philosophes ont enseigné, que le Mercure blanc est le
bain de la lune, et que le Mercure rouge est le bain du soleil:
mais Il n'y en a point qui ayent voulu montrer distinctement aux
enfans de la science, par quelle voye ils peuvent obtenir ces
deux Mercures: si vous m'avés compris, vous estes desja
éclairés sur ce point. La lunaire est le Mercure blanc, le
vinaigre trés-aigre est le Mercure rouge; mais pour mieux
determiner ces deux Mercures, nourrissés les d'une chair de leur
espece, le sang des innocens égorgés, c'est à dire, les
esprits des corps, sont le bain, où le soleil et la lune se vont
baigner.
Je vous ay developpé un grand mistere, si vous y faites bien
reflexion: les Philosophes qui en ont parlé, ont passé
trés-legerement sur ce point important: le Cosmopolite l'a
touché fort spirituellement par une ingenieuse allegorie, en
parlant de la purification, et de l'animation du Mercure: hoc
fiet, dit-il, si seni nostro aurum et argentum deglutire
dabis, ut ipse consumat illa, et tandem ille etiam moriturus
comburatur. Il acheve de décrire tout le magistere en ces
termes: Cineres ejus spargantur in aquam, coquito eam donec
satis est, et habes medicinam curandi lepram. Vous ne devés
pas ignorer, que nostre vieillard est nostre Mercure; que ce nom
lui convient, parce qu'il est la matiere premiere de tous les
metaux; le même Philosophe dit, qu'il est leur eau, à laquelle
il donne le nom d'acier et d'aimant, et il adjoute pour une plus
grande confirmation de ce que je viens de vous découvrir: Si
undecies coit aurum cum eo, emittit suum semen, et debilitatur
fere ad mortem usque; concipit chalybs, et generat filium patre
clariorem, Voilà donc un grand mistere, que je vous revele
sans aucun enigme; c'est là le secret des deux Mercures, qui
contiennent les deux teintures. Conservés les separement et ne
confondés pas leurs especes, de peur qu'ils ne procréent une
lignée monstrueuse.
Je ne vous parle pas seulement plus intelligiblement qu'aucun
Philosophe n'a fait, mais aussi je vous revéle tout ce qu'il y a
de plus essentiel dans la pratique de nostre art: si vous
medités là dessus, si vous vous appliqués à le bien
comprendre; mais sur tout, si vous travaillés sur les lumieres
que je vous donne; je ne doute nullement que vous n'obteniés ce
que vous cherchés; et si vous ne parvenés à ces connoissances
par la voye que je vous marque, je suis bien asseuré que
difficilement vous arriverez à vôtre but, par la seule lecture
des Philosophes. Ne desesperés donc de rien; cherchés la source
de la liqueur des sages, qui contient tout ce qui est necessaire
à l'oeuvre; elle est cachée sous la pierre: frapés dessus avec
la verge du feu magique, et il en sortira une claire fontaine:
faites ensuite comme je vous ay montré; préparés le bain du
Roy avec le sang des Innocens, et vous aurés le Mercure des
sages animé, qui ne perd jamais ses vertus, si vous le gardés
dans un vaisseau bien bouché. Hermes dit qu'il y tant de
sympathie entre les corps purifiés, et les esprits, qu'ils ne se
quittent jamais, lors qu'ils ont esté unis ensemble; par ce que
cette union est semblable à celle de l'ame avec le corps
glorifié, aprés laquelle la foy nous apprend qu'il n'y aura
plus de separation, ny de mort. Quia spiritus, ablutis
corporibus desiderant inesse, habitis autem ipsis, eos
vivificant, et in iis habitant, Vous voyés par là le merite
de cette precieuse liqueur, à laquelle les Philosophes ont
donné plus de mille differents noms; elle est l'eau de vie des
sages, l'eau de Diane, la grande lunaire, l'eau d'argent vif;
elle est nôtre Mercure, nôtre huile incombustible, qui au froid
se congele comme de la glace, et se liquifie à la chaleur comme
du beurre: Hermes l'appelle la terre feuillée, ou la terre des
feuilles; non sans beaucoup de raison; car si vous l'observés
bien, vous remarquerez qu'elle est toute feuilletée; en un mot
elle est la fontaine tres-claire, dont le Comte Trevisan fait
mention; enfin elle est le grand Alkaest, qui dissout
radicalement les metaux; elle est la veritable eau permanente,
qui aprés les avoir dissouts, s'unit inseparablement à eux, et
en augmente le poids et la teinture.
QUATRIEME CLEF.
La quatrième Clef de l'art, est l'entrée du second oeuvre;
c'est elle qui reduit nôtre eau en terre; il n'y a que cette
seule eau au monde, qui par une simple cuisson puisse estre
convertie en terre; parce que le Mercure des sages porte dans son
centre son propre souffre, qui le coagule. La terrification de
l'esprit est la seule operation de cet oeuvre; cuisés donc avec
patience; si vous avés bien procédé, vous ne serés pas long
temps sans voir les marques de cette coagulation, et si elles ne
paroissent dans leur temps, elles ne paroitront jamais; parce que
c'est un signe indubitable, que vous avés manqué en quelque
chose d'essentiel, dans les premieres operations; car pour
corporifier l'esprit, qui est nostre Mercure, il faut avoir bien
dissout le corps, dans lequel le souffre qui coagule le Mercure,
est renfermé. Hermes asseure que nostre eau Mercurielle aura
acquis toutes les vertus, que les Philosophes lui attribuent,
lors qu'elle sera changée en terre. Vis ejus integra est, si
in teram conversa fuerit. Terre admirable par sa
fecondité; terre de promission des sages, lesquels sachant faire
tomber la rosée du ciel sur elle, luy font produire des fruits
d'un prix inestimable. Le Cosmopolite exprime trés-bien les
avantages de cette benite terre. Qui scit aquam congelare
calido et spiritum cum ea jungere, certe rem inveniet milleseis
pretiosiorem auro, et omni re. Rien n'approche du
merite de cette terre, et de cet esprit parfaitement alliés
ensemble, selon les regles de nostre art; ils sont le vray
Mercure, et le vray soufre des Philosophes, le male vivant, et la
femelle vivante qui contiennent la semence, qui peut seule
procréer un fils plus illustre, que ses parens. Cultivés donc
soigneusement cette precieuse terre: arrousés la souvent de son
humidité, deseichés la autant de fois, et vous n'augmenterés
pas moins ses vertus, que son poids, et sa fecondité.
CINQUIEME CLEF.
La cinquième Clef de nostre oeuvre est la fermentation de la
pierre avec le corps parfait, pour en faire la medecine du
troisiéme ordre. Je ne diray rien en particulier de l'operation
du troisieme oeuvre; sinon, que le corps parfait est un levain
necessaire à nostre paste: que l'esprit doit faire l'union de la
paste avec le levain, de même que l'eau detrempe la farine, et
dissout le levain, pour composer une paste fermentée, propre à
faire du pain. Cette comparaison est fort juste, c'est Hermes qui
l'a faite le premier. Sicut enim pasta sine fermento
fermentari non potest; sic cum corpus sublimaveris, mundaveris,
et turpitudinem a foece separaveris; cum conjurgere volueris,
pone in eis fermentum, et aquam terram confice, ut pasta fiat
fermentum, Au sujet de la fermentation, le Philosophe repete
ici tout l'oeuvre, et montre que tout de même que la Masse de la
paste, devient toute levain, par l'action du ferment, qui lui a
esté adjouté; ainsi toute la confection Philosophique devient
par cette operation un levain propre à fermenter une nouvelle
matiere, et à la multiplier jusques à l'infini.
Si vous observés bien de quelle maniere se fait le pain, vous
trouverez les proportions, que vous devés garder, entre les
matieres qui composent vostre pâte Philosophique. Les boulangers
ne mettent-ils pas plus de farine, que de levain, et plus d'eau
que de levain, et de farine ? Les loix de la nature sont les
regles que vous devés suivre dans la pratique de tout nostre
Magistere. Je vous ay donné sur tous les points principaux
toutes les instructions qui vous sont necessaires; de sorte qu'il
seroit superflu de vous en dire davantage, particulierement
touchant les dernieres operations, à l'égard desquelles les
Philosophes ont esté beaucoup moins reservez, que sur les
premieres, qui sont les fondemens de l'art.
SIXIEME CLEF.
La sixième Clef enseigne la multiplication de la pierre, pour la
reiteration de la même operation, qui ne consiste qu'à ouvrir
et fermer; dissoudre et coaguler; imbiber et desseicher; par où
les vertus de la pierre s'augmentent à l'infini. Comme mon
dessein n'a pas esté de décrire entierement la pratique des
trois medecines, mais seulement de vous instruire des operations
les plus importantes, touchant la preparation du Mercure, que les
Philosophes passent ordinairement sous silence, pour cacher aux
profanes des misteres, qui ne sont que pour les sages; je ne
m'arreteray pas davantage sur ce point, et je ne vous diray rien
non plus de ce qui regarde la projection de la medecine, parce
que le succez que vous attendés ne depend pas delà; je ne vous
ay donné des instructions tres-amples que sur la troisieme Clef,
à cause qu'elle comprend une longue suite d'operations,
lesquelles, quoy que simples et naturelles, ne laissent pas de
requerir une grande intelligence des loix de la nature, et des
qualités de nostre matiere, aussi bien qu'une parfaite
connoissance de la chimie, et des differents degrés de chaleur,
qui conviennent à ces operations.
Je vous ay conduit par la droite voye, sans aucun detour; et si
vous avés bien remarqué la route que je vous ay tracée, je
m'asseure que vous irés droit au but, sans vous égarer.
Sçachez moy bon gré du dessein, que j'ay eu de vous épargner
mille travaux, et mille peines, que j'ay essuyé moy-même dans
ce penible voyage, faute d'un secours pareil à celuy que je vous
donne dans cette lettre, qui part d'un coeur sincere, et d'une
tendre affection pour tous les veritables enfans de la science.
Je vous plaindrois beaucoup si, comme moy, après avoir connu la
veritable matiere, vous passiés quinze années entierement dans
le travail, dans l'estude, et dans la meditation, sans pouvoir
extraire de la pierre, le suc precieux, qu'elle renferme dans son
sein, faute de connoistre le feu secret des sages, qui fait
couler de cette plante seiche et aride en apparence, une eau qui
ne mouille pas les mains, et qui par l'union magique de l'eau
seiche de la mer des sages, se resout en une eau visqueuse, en
une liqueur mercurielle, qui est le principe, le fondement, et la
clef de nostre art: convertissés, separés, et purifiés les
elemens, comme je vous l'ay enseigné, et vous possederés le
veritable Mercure des Philosophes, qui vous donnera le souffre
fixe, et la medecine universelle.
Mais je vous advertis, qu'aprés que vous serez parvenus à la
connoissance du feu secret des sages, vous ne serez pas toutes
fois encore au bout de la premiere carriere. J'ay erré plusieurs
années dans le chemin qui reste à faire, pour arriver à la
fontaine misterieuse, où le Roy se baigne, se rajeunit, et
reprend une nouvelle vie exempte de toutes sortes d'infirmités;
il faut que vous sachiés outre cela purifier, échaufer, et
animer ce bain Royal: c'est pour vous preter la main dans cette
voye secrete, que je me suis estendu sur la troisieme Clef, où
toutes ces operations sont deduites. Je souhaite de tout mon
coeur, que les instructions que je vous ay données, vous fassent
aller droit au but. Mais souvenés vous enfans de la science, que
la connoissance de nostre Magistere vient plûtost de
l'inspiration du Ciel, que des lumieres que nous pouvons acquerir
par nous mémes. Cette verité est reconnuë de tous les
Philosophes: c'est pourquoy ce n'est pas assés de travailler;
priés assidument; lisés les bon livres; et medités nuit et
jour, sur les operations de la nature, et sur ce qu'elle peut
estre capable de faire, lorsqu'elle est aidée par le secours de
nostre art, et par ce moyen vous reussirés sans doute dans
vostre entreprise.
C'est là tout ce que j'avois à vous dire, dans cette lettre; je
n'ay pas voulu vous faire un discours fort estendu, tel que la
matiere paroit le demander; mais aussi je ne vous ay rien dit que
d'essentiel à nostre art; de sorte que si vous connoissez nostre
pierre, qui est la seule matiere de nostre pierre, et si vous
avez l'intelligence de nostre feu, qui est secret et naturel tout
ensemble, vous avez les clefs de l'art, et vous pouvés calciner
nostre pierre, non par la calcination ordinaire, qui se fait par
la violence du feu; mais par une calcination Philosophique, qui
est purement naturelle.
Remarquez encore cecy avec les plus éclairés Philosophes, qu'il
y a cette difference, entre la calcination ordinaire, qui se fait
à force de feu, et la calcination naturelle; que la premiere
détruit le corps, et consume la plus grande partie de son
humidité radicale; mais la seconde ne conserve pas seulement
l'humidité du corps, en le calcinant; mais encore elle
l'augmente considerablement.
L'experience vous fera connoistre dans la pratique cette grande
verité; car vous trouverez en effet, que cette calcination
Philosophique, qui sublime, et distile la pierre en la calcinant,
en augmente de beaucoup l'humidité: la raison est, que l'esprit
igné du feu naturel se corporifie dans les substances qui lui
sont analogues. Nostre pierre est un feu astral, qui sympatise
avec le feu naturel, et qui comme une veritable salamandre prend
naissance, se nourrit, et croit dans le feu Elementaire, qui lui
est geometriquement proportionné.
Le Nom de l'Autheur est en Latin
dans cette Anagramme:
DIVES SICUT ARDENS. S.
FIN.
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