Le Tiers-Livre

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Edition Michel Fezandat, Paris, 1552.


 

LE TIERS LIVRE

DES FAICTS ET DICTS

Héroïques du bon Pantagruel

Composé par M. Fran.

Rabelais docteur

en Medi-

cine.

 

Reveu, & corrigé par l'Autheur, sus

la censure antique.

L'A U T H E U R S U S D I C T

supplie les Lecteurs benevoles, soy

reserver à rire au soixante

& dixhuytiesme

Livre.

A PARIS

De l'imprimerie de Michel Fezandat

S. Hilaire, à l'hostel d'Albret.

1552

Avec privilège du Roy.

 

FRANÇOIS RABELAIS

à l'esprit de la royne de Navarre.

Esprit abstrait, ravy, & ecstatic,

Qui frequentant les cieulx, ton origine,

As delaissé ton hoste & domestic,

Ton corps concords, qui tant se morigine

A tes edictz, en vie peregrine

Sans sentement, & comme en Apathie:

Vouldrois tu poinct faire quelque sortie

De ton manoir divin, perpetuel?

Et ça bas veoir une tierce partie

Des faictz ioyeux du bon Pantagruel?

 


PROLOGUE DE L'AUTEUR

 

M. François Rabelais

pour le tiers livre

des faicts & dicts Heroïques

du bon Pantagruel.

 

Bonnes gens, Beuveurs tresillustres, & vo' Goutteux tresprecieux, veistez vous oncques Diogenes le philosophe Cynic? Si l'avez veu, vous n'aviez perdu la veue: ou ie suis vrayment forissu d'intelligence, & de sens logical. C'est belle chose veoir la clairté du (vin & escuz) Soleil. I'en demande à l'aveugle né tant renommé par les tressacrées bibles: lequel ayant option de requerir tout ce qu'il vouldroit, par le commendement de celluy qui est tout puissant, & le dire duquel est en un moment par effect representé, rien plus ne demanda que veoir. Vous item n'estiez ieunes. Qui est qualité competente, pour en vin, non en vain, ainsi plus que physicalement philosopher, & desormais estre du conseil Bacchicque: pour en lopinant opiner des substance, couleur, odeur, excellence, proprieté, faculté, vertus, effect, & dignité du benoist & desiré piot. Si veu ne l'avez (comme facilement ie suis induict à croire) pour le moins avez vous ouy de luy parler. Car par l'aër & tout ce ciel est son bruyt & nom iusques à present resté memorable & celèbre assez: & puys vous estez tous du sang de Phrygie extraictz, (ou ie ne me abuse) & si n'avez tant d'escuz comme avoir Midas, si avez vous de luy ie ne sçay quoy, que plus iadis louoient les Perses en tous leurs Otacustes: & que plus soubhaytoit l'empereur Antonin: dont depuys feut la serpentine de Rohan surnommée Belles aureilles. Si n'en avez ouy parler, de luy vous veulx presentement une histoire narrer, pour entrer en vin, (beuvez doncques) & propous, (escoutez doncques). Vous advertissant (affin que ne soyez pippez comme gens mescreans) qu'en son temps il feut philosphe rare, & ioyeux entre mille. S'il avoit quelques imperfections: aussi avez vous, aussi avons nous. Rien n'est, si non Dieu, perfaict. Si est ce que Alexandre le grand, quoy qu'il eust Aristoteles pour Praecepteur & domestic, l'avoit en telle estimation, qu'il soubhaytoit en cas que Alexandre ne feust, estre Diogenes Sinopien.

Quand Philippe roy de Macedonie entreprint assieger & ruiner Corinthe, les Corinthiens par leurs espions advertiz, que contre eulx il venoit en grand arroy & exercice numereux, tous feurent non à tort espoventez, & ne feurent negligens soy soigneusement mettre chascun en office & debvoir, pour à son hostile venue, resister, & leur ville defendre. Les uns des champes es forteresses retiroient meubles, bestail, grains, vins, fruictz, victuailles, & munitions necessaires. Les autres remparoient murailles, dressoient bastions, esquarroient ravelins, cavoient fossez, escuroient contremines, gabionnoient defenses, ordonnoient plates formes, vuidoient chasmates, rembarroient faulses brayes, erigeoient cavalliers, ressapoient contrescarpes, enduisoient courtines, taluoient parapetes, enclavoient barbacanes, asseroient machicoulis, renovoient herses Sarrazinesques, & Cataractes, assoyoient sentinelles, forissoient patrouilles. Chascun estoit au guet, chascun portoit la hotte. Les uns polissoient corseletz, vernissoient alecretz, nettoyoient bardes, chanfrains, aubergeons, briguandines, salades, bavieres, cappelines, guisarmes, armetz, mourions, mailles, iazerans, brassalz, tassettes, gouffetz, guorgeriz, hoguines, plastrons, lamines, aubers, pavoys, boucliers, caliges, greues, foleretz, esprons. Les autres apprestoient arcs, fondes, arbalestes, glands, catapultes, phalarices, micraines, potz, cercles, & lances à feu: balistes, scorpions, & autres machines bellicques repugnatoires & destructives des Helepolides. Esguisoient vouges, picques, rancons, halebardes, hanicroches, volains, lancers, azes guayes, fourches fières, parthisanes, massues, hasches, dards, dardelles, iavelines, iavelotz, espieux. Affiloient cimeterres, brands d'assier, badelaires, passuz, espées, verduns, estocz, pistoletz, viroletz, dagues, mandousianes, poignars, cousteaulx, allumelles, raillons. Chascun exerceoit son penard: chascun desrouilloit son braquemard. Femme n'estoit, tant preude ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys: comme vous sçavez que les antiques Corinthiennes estoient au combat couraigeuses.

Diogenes les voyant en telle ferveur mesnaige remuer, & n'estant par les magistratz enployé à chose aulcune faire, contempla par quelques iours leur contenence sans mot dire: puys comme excité d'esprit Martial, ceignit son palle en escharpe, recoursa ses manches iusques es coubtes, se troussa en cueilleur de pommes, bailla à un sien compaignon vieulx sa bezasse, ses livres, & opistographes, feit hors la ville tirant vers la Cranie (qui est une colline & promontoire lez Corinthe) une belle esplanade: y roulla le tonneau fictil, qui pour maison luy estoit contre les miures du ciel, & en grande vehemence d'esprit desployant ses braz le tournoit, viroit, brouilloit, barbouilloit, hersoit, versoit, renversoit, grattoit, flattoit, barattoit, bastoit, boutoit, butoit, tabustoit, cullebutoit, trepoit, trempoit, tapoit, timpoit, estouppoit, destouppoit, detraquoit, triquotoit, chapotoit, croulloit, elançoit, chamailloit, bransloit, esbranloit, levoit, lavoit, clavoit, entravoit, bracquoit, bricquoit, blocquoit, tracassoit, ramassoit, clabossoit, afestoit, bassouoit, enclouoit, amadouoit, goildronnoit, mittonnoit, tastonnoit, bimbelotoit, clabossoit, terrassoit, bistorioit, vreloppoit, chaluppoit, charmoit, armoit, gizarmoit, enharnachoit, empennachoit, carapassonnoit, le devalloit de mont à val, & praecipitoit par le Cranie: puys de val en mont le rapportoit, comme Sisyphus faict sa pierre: tant que peu s'en faillit, qu'il ne le defonçast. Ce voyant quelqu'un de ses amis, luy demanda, quelle cause le mouvoit, à son corps, son esprit, son tonneau ainsi tormenter? Auquel respondit le philosophe, qu'à autre office n'estant pour la republicque employé, il en ceste façon son tonneau tempestoit, pour entre ce peuple tant fervent & occupé, n'este veu seul cessateur & ocieux.

Ie pareillement quoy que soys hors d'effroy, ne suis toutesfoys hors d'esmoy: de moy voyant n'estre faict aulcun pris digne d'oeuvre, & consyderant par tout ce tresnoble royaulme de France, deça, delà les mons, un chascun auiourd'huy soy instantanement exercer & travailler: part à la fortification de la patrie, & la defendre: part au repoulsement des ennemis, & les offendre: le tout en police tant belle, en ordonnance si mirificque, & à profit tant evident pour l'advenir (Car desormais sera France superbement bournée, seront François en repous asceurez) que peu de chose me retient, que ie n'entre en l'opinion du bon Heraclitus, affermant guerre estre de tous biens père: & croye que guerre soit en Latin dicte belle, non par Antiphrase, ainsi comme ont cuydé certains rapetasseurs de vieilles ferrailles Latines, par ce qu'en guerre guères de beaulté ne voyoient: mais absolument, & simplement par raison qu'en guerre apparoisse tout espèce de bien & beau, soit dececlée toute espèce de mal & laidure. Qu'ainsi soit, le Roy saige & pacific Solomon, n'a sceu mieulx nous repraesenter la perfection indicible de la sapience divine, que la comparant à l'ordonnance d'une armée en camp. Par doncques n'estre adscript & en ranc mis des nostres en partie offensive, qui me ont estimé trop imbecile & impotent: de l'autre qui est defensive n'estre employé aulcunement, feust ce portant hotte, cachant crotte, ployant rotte, ou cassant motte, tout m'estoys indifferent: ay imputé à honte plus que mediocre, estre veu spectateur ocieux de tant vaillans, divers, & chevalereux personnaiges, qui en veue & spectacle de toute Europe iouent ceste insigne fable & Tragicque comedie: ne me esvertuer de moy-mesmes, & non y consommer ce rien mon tout, qui me restoit. Car peu de gloire me semble accroistre à ceulx qui seulement y emploient leurs oeilz, au demeurant y espargnent leurs forces: cèlent leurs escuz, cachent leur argent, se grattent la teste avecques un doigt, comme landorez desgoustez, baislent aux mousches comme Veaulx de disme, chauvent des aureilles comme asnes de Arcadie au chant des musiciens, & par mines en silence: signifient qu'ilz consentent à la prosopopée.

Prins ce choys & election, ay pensé ne faire exercice inutile & importun, si ie remuois mon tonneau Diogenic, qui seul m'est resté du naufrage faict par le passé on far de Mal'encontre. A ce triballement de tonneau, que feray ie en vostre advis? Par la Vierge qui se rebrasse, ie ne sçay encores. Attendez un peu que ie hume quelque traict de ceste bouteille: c'est mon vray & seul Helicon: c'est ma fontaine Caballine: c'est mon unicque Enthusiasme. Icy beuvant ie delibère, ie discours, ie resoulz & concluds. Après l'epilogue ie riz, i'escripz, ie compose, ie boy. Ennius beuvant escripvoit, escripvant beuvoit. Aeschylus (si à Plutarche foy avez in Symposiacis) beuvoit composant, beuvant composoit. Homère iamais n'escrivit à ieun. Caton iamais n'escripvit que après boyre. Affin que ne me dictez ainsi vivre sans exemple des biens louez mieulx prisez. Il est bon & frays assez, comme vous diriez sus le commencement du second degré: Dieu le bon Dieu Sabaoth, (c'est à dire des armées) en soit eternellement loué. Si de mesmes vous autres beuvez un grand ou deux petitz coups en robbe, ie n'y trouve inconvenient aulcun, pour veu que du tout louez Dieu: un tantinet.

Puys doncques que telle est ou mon sort ou ma destinée: (car à chascun n'est oultroyé entrer & habiter Corinthe) ma deliberation est servir & es uns & es autres: tant s'en fault que ie reste cessateur & inutile. Envers les vastadours, pionniers & rempareurs ie feray ce que feirent Neptune & Apollo en Troie soubs Laomedon, ce que feit Renaud de Montaulban sus ses derniers iours: ie serviray les massons, ie mettray bouillir pour les massons, & le past terminé au son de ma musette mesureray la musarderie des musars. Ainsi fonda, bastit, & edifia Amphion sonnant de la lyre la grande & celèbre cité de Thebes. Envers les guerroyans ie voys de nouveau percer mon tonneau. Et de la traicte (laquelle par deux praecedens volumes (si par l'imposture des imprimeurs n'eussent esté pervertiz & brouillez) vous feust assez congneue) leurs tirer du creu de nos passetemps epicenaires un guallant tiercin, & consecutivement un ioyeulx quart de sentences Pantagruelicques. Par moy licite vous sera les appeler Diogenicques. Et ne auront, puys que compaignon ne peuz estre, pour Architriclin loyal refraischissant à mon petit povoir leur retour des alarmes: & laudateur, ie diz infatigable, de leurs prouesses & glorieux faicts d'armes. Ie n'y fauldray par Lapathium acutum de Dieu: si Mars ne failloit à Quaresme. Mais il s'en donnera bien guarde le paillard.

Me souvient toutesfoys avoir leu, que Ptolème filz de Lagus quelque iour entre autres despouilles & butin de ses conquestes, praesentant aux aegyptiens en plain theatre un chameau Batrian tout noir, & un esclave biguarré, tellement que de son corps l'une part estoit noire, l'autre blanche: non en compartiment de latitude par le diaphragme, comme feut celle femme sacrée à Venus Indicque, laquelle feut recongnue du philosophe Tyanien entre le fleuve Hydaspes, & le mont Caucase: mais en dimension perpendiculaire: choses non encores veues en aegypte, esperoit par offre de ces nouveaultez l'amour du peuple envers soy augmenter. Qu'en advient il? A la production du Chameau tous feurent effroyez & indignez: à la veue de l'homme biguarré aulcuns se mocquèrent, autres le abhominèrent comme monstre infame, créé par erreur de nature. Somme, l'esperance qu'il avoit de complaire à ses aegyptiens, par ce moyen extendre l'affection qu'ilz luy pourtoient naturellement, luy decoulla des mains. Et entendit plus à plaisir & delices leurs estre choses belles, eleguantes, & perfaictes, que ridicules & monstrueuses. Depuys eut tant l'Esclave que le Chameau en mespris: si que bien toust après par negligence & faulte de commun traictement feirent de Vie à Mort eschange. Cestuy exemple me faict entre espoir & craincte varier, doubtant que pour contentement propensé, ie rencontre ce que ie abhorre: mon thesaur soit charbons: pour Venus advieigne Barbet le chien: en lieu de les servir, ie les fasche: en lieu de les esbaudir, ie les offense: en lieu de leurs complaire: ie desplaise: & soit mon adventure telle que du Coq de Euclion tant celebré par Plaute en sa Marmite, & par Ausone en son Gryphon, & ailleurs: lequel pour en grattant avoir descouvert le thesaur, eut la couppe guorgée. Advenent le cas, ne seroit ce pour chevreter? Austresfoys est il advenu: advenir encores pourroit. Non fera Hercules. Ie recongnois en eux tous une forme specificque, & proprieté individuale, laquelle nos maieurs nommoient Pantagruelisme, moienant laquelle iamais en maulvaise partie ne prendront choses quelconques, ilz congnoistront sourdre de bon, franc, & loyal couraige. Ie les ay ordinairement veuz bon vouloir en payement prendre, & en icelluy acquiescer, quand debilité de puissance y a esté associée.

De ce poinct expédié, à mon tonneau ie retourne. Sus à ce vin compaings. Enfans beuvez à plein guodetz. Si bon ne vous semble, laissez le. Ie ne suys de ces importuns Lifrelofres, qui par force, par oultraige & violence, contraignent les Lans & compaignons trinquer, voire caros & alluz, qui pis est. Tout beuveur de bien, tout Goutteux de bien, alterez, venens à ce mien tonneau, s'ilz ne voulent ne beuvent: s'ilz voulent, & le vin plaist au guoust de la seigneurie de leurs seigneuries, beuvent franchement, librement, hardiment, sans rien payer, & ne l'espargnent. Tel est mon decret. Et paour ne ayez, que le vin faille, comme feist es nopces de Cana en Galilée. Autant que vous en tireray par la dille, autant vous en entonneray par le bondon. Ainsi demeurera le tonneau inexpuisible. Il a fource vive, & vène perpetuelle. Tel estoit le brevaige contenu dedans la couppe de Tantalus representé par figures entre les saiges Brachmanes: telles estoit en Iberie la montaigne de sel tant celebrée par Caton: tel estoit le rameau d'or sacré à la deesse soubterraine, tant celebré par Virgile. C'est un vray Cornucopie de ioyeuseté & raillerie. Si quelque foys vous semble estre expuysé iusques à la lie, non pourtant sera il à sec. Bon espoir y gist au fond, comme en bouteille de Pandora: non desespoir, comme on buffart des Danaïdes.

Notez bien ce que i'ay dict, & quelle manière de gens ie invite. Car (affin que personne n'y soit trompé) à l'exemple de Lucillius, lequel protestoit n'escrire que à ses Tarentins & Consentinois: ie ne l'ay persé que pour vous Gens de bien, Beuveurs de la prime cuvée, & Goutteux de franc alleu. Les geants Doriphages avalleurs de frimars, ont au cul passions assez, & assez sacs au croc pour venaison. Y vacquent s'ilz voulent. Ce n'est icy leur gibbier. Des cerveaulx à bourlet graveleurs de corrections ne me parlez, ie vous supplie on nom & reverence des quatre fesses qui vous engendrèrent: & de la vivificque cheville, qui pour lors les coupploit. Des Caphars encores moins: quoy que tous soient beuveurs oultrez: tous verollez: croustelevez: guarniz de leur alteration inextinguible, & manducation insatiable. Pourquoy? Pource qu'ilz ne font de bien, ains de mal: & de ce mal duquel iournellement à Dieu requerons estre delivrez: quoy qu'ilz contrefacent quelques foys des gueux. Oncques vieil cinge: ne feit belle moue. Arrière mastins. Hors de la quarrière: hors de mon Soleil Cahuaille au Diable. Venez vous icy culletans articuler mon vin & compisser mon tonneau. Voyez cy le baston que Diogenes par testament, ordonna estre près luy porté après sa mort, pour chasser & efrener ces larves bustuaires, & mastins Cerbericques. Pourtant arrière Cagotz. Aux ouailles: mastins. Hors d'icy Caphards de par le Diable hay. Estez vous encores là? Ie renonce ma part de Papimanie, si ie vous happe. Grr. grrr. grrrrrr. D'avant d'avant. Iront ilz? Iamais ne puissiez vous fianter, que à sanglades d'estrivières. Iamais pisser, que à l'estrapade: iamais eschauffer, que à coups de baston.

 

Comment Pantagruel transporta une colonie de Utopiens en Dipsodie.

 

Chapitre I.

Pantagruel avoir entierement conquesté le pays de Dipsodie, en icelluy transporta une colonie de Utopiens en nombre de 9876543210 hommes, sans les femmes & petitz enfans: artizans de tous mestiers, & professeurs de toutes sciences liberales: pour ledict pays refraichir, peupler, & orner, mal autrement habité, & desert en grande partie. Et les transporta non tant pour l'excessive multitude d'hommes & femmes, qui estoient en Utopie multipliez comme locustes. Vous entendez assez, ià besoing n'est d'adventaige vous l'exposer, que les Utopiens avoient les genitoires tant feconds, & les Utopiennes portoient matrices tant amples, gloutes, tenaces, & cellulées par bonne architecture, que au bout de chascun neufviesme moys, sept enfans pour le moins, que masles que femelles, naissoient par chascun mariage, à l'imitation du peuple Iudaic en aegypte: si de Lyra ne delyre. Non tant aussi pour la fertilité du sol, salubrité du ciel, & commodité du pays de Dipsodie, que pour icelluy contenir en office & obeissance par nouveau transport de ses antiques & feaulx subiectz. Lesquelz de toute memoire autre seigneur n'avoient congneu, recongneu, advoué, ne servy, que luy. Et les quelz dès lors que nasquirent & entrèrent on monde, avec le laict de leurs mères nourrices avoient pareillement sugcé la doulceur & debonnaireté de son règne, & en icelle estoient tousdiz confictz, & nourriz. Qui estoit espoir certain, que plus tost defauldroient de vie corporelle, que de ceste première & unicque subiection naturellement deue à leur prince, quelque lieu que feussent espars & transportez. Et non seulement telz seroient eulx & les enfans successivement naissans de leur sang, mais aussi en ceste beauté & obeissance entretiendroient les nations de nouveau adioinctes à son empire. Ce que veritablement advint, & ne feut aulcunement frustré en sa deliberation. Car si les Utopiens avant cestuy transport, avoient esté feaulx & bien recongnoissans, les Dipsodes avoir peu de iours avecques eulx conversé, l'estoient encores d'adventaige, par ne sçay quelle ferveur naturelle en tous humains au commencement de toutes oeuvres qui leur viennent à gré. Seulement se plaignoient obtestans tous les cieulx & intelligences motrices, de ce que plus toust n'estoit à leur notice venue la renommée du bon Pantagruel.

Noterez doncques icy Beuveurs, que la manière d'entretenir & retenir pays nouvellement conquestez, n'est (comme a esté l'opinion erronée de certains espritz tyrannicques à leur dam & deshonneur) les peuples pillant, forçant, angariant, ruinant, mal vexant, & regissant avecques verges de fer: brief les peuples mangeant & devorant, en la façon que Homère appelle le roy inique Demovore, c'est à dire mangeur de peuple. Ie ne vous allegueray à ce propous les histoires antiques, seulement vous revocqueray en recordation de ce qu'en ont veu vos pères, & vous mesmes, si trop ieunes n'estez. Comme enfant nouvellement né, les fault alaicter, berser, esiouir. Comme arbre nouvellement plantée, les fault appuyer, asceurer, defendre de toutes vimères, iniures, & calamitez. Comme personne saulvé de longue & forte maladie, & veent à convalescence, les fault choyer, espargner, restaurer. De sorte qu'ilz conçoipvent en soy ceste opinion, n'estre on monde Roy ne Prince, que moins voulsissent ennemy, plus optassent amy. Ainsi Osiris le grand roy des aegyptiens toute la terre conquesta: non tant à force d'armes, que par soulaigement des angaries, enseignemens de bien & salubrement vivre, loix commodes, gratieuseté & biensfaicts. Pourtant du monde feut il surnommé le grand roy Evergetes (c'est à dire le bienfaicteur) par le commandement de Iuppiter faict à une Pamyle. De faict Hesiode en sa Hierarchie colloque les bons Daemons (appellez les si voulez Anges ou Genies) comme moyens & mediateurs des Dieux & hommes: superieurs des hommes, inferieurs des Dieux. Et pource que par leurs mains nous adviennent les richesses & biens du Ciel, & sont continuellement envers nous bienfaisans, tousiours du mal nous praeservent: les dict estre en office de Roys: comme bien tousiours faire, iamais mal, estant acte unicquement Royal. Ainsi feut empereur de l'univers Alexandre Macedon. Ainsi feut par Hercules tout le continent possedé, les humains soullageant des monstres, oppressions, exactions, & tyrannies: en bon traictement les gouvernant: en aequité & iustice les maintenant: en benigne police & loix convenentes à l'assieté des contrées les instituent: suppliant à ce que defailloit: ce que abondoit avallant: & pardonnant tout le passé, avecques oubliance sempiternelle de toutes offenses praecedentes, comme estoit la Amnestie des Atheniens, lors que feurent par la prouesse & industrie de Thrasybulus les tyrans exterminez: depuys en Rome exposée par Ciceron, & renouvellée soubs l'empereur Aurelian.

Ce sont les philtres, Iynges, & attraictz d'amour, moienans lequelz pacificquement on retient, ce que peniblement on avoit conquesté. Et plus en heur ne peut le conquerant regner, soit roy, soit prince ou philosophe, que faisant Iustice à Vertus succeder. Sa Vertu est apparue en la victoire & conqueste: sa iustice apparoistra en ce que par la volunté & bonne affection du peuple donnera loix: publiera edictz, establira religions, fera droict à un chascun: comme de Octavian Auguste dict le noble poëte Maro.

Il estoit victeur, par le vouloir

Des gens vaincuz, faisoit les loix valoir.

C'est pourquoy Homère en son Iliade, les bons princes & grands Roys appelle KosmhtoraV lawn, c'est à dire: ornateurs de peuples. Telle estoit la consideration de Numa Pompilus, Roy fecond des Romains iuste, politic, & philosophe, quand il ordonna au Dieu Terme, le iour de sa feste, qu'on nommoit Terminales, rien n'estre sacrifié, qui eust prins mort: nous enseignant, que les termes, frontières, & annexes des royaulmes convient en paix, amitié, debonnaireté guarder & regir, sans ses mains souiller de sang & pillerie. Qui aultrement faict, non seulement perdera l'acquis, mais aussi patira ce scandale & opprobre, qu'on le estimera mal & à tort avoir acquis: par ceste consequence, que l'acquest luy est entre mains expiré. Car les choses mal acquises, mal deperissent. Et ores qu'il eust toute sa vie pacificque iouissance, si toutesfoys l'acquest deperit en ses hoirs, pareil fera le scandale sus le defunct, & sa memoire en malediction, comme le conquerant inique. Car vous dictez en proverbe commun: Des choses mal acquises le tiers hoir ne iouira.

Notez aussi Goutteux fieffez, en cestuy article, comment par ce moyen Pantagruel feit d'un ange deux, qui est accident opposite au conseil de Charles Maigne, lequel feist d'un diable deux, quand il transporta les Saxons en Flandre, & les Flamens en Saxe. Car non povant en subiection contenir les Saxons par luy adioincts à l'empire: que à tous momens n'entrassent en rebellion, si par cas estoit distraict en Hespaigne, ou autres terres loingtaines: les transporta en pays sien, & obeissant naturellement, sçavoir est Flandres: & les Hannuiers & Flamens ses naturels subiectz transporta en Saxe, non doubtant de leur feaulté, encores qu'ilz transmigrassent en regions estranges. Mais advint que les Saxons continuèrent en leur rebellion & obstination première: & les Flamens habitans en Saxe, embeurent les meurs & contradictions des Saxons.

 

Comment Panurge fut faict chastellain de Salmiguondin en Dipsodie, & mangea son bled en herbe.

 

Chap. II.

Donnant Pantagruel ordre au gouvernement de toute Dipsodie, assigna la chastellenie de Salmiguondin à Panurge, valent par chascun an 6789106789. Royaulx en deniers certains, non comprins l'incertain revenu des Hanetons, & Cacquerolles, montant bon an mal an de 2345768. à 2435769. moutons à la grande laine. Quelques foys revenoit à 1234554321. Seraphz: quand estoit bonne année de Cacquerolles, & Hanetons de requeste. Mais ce n'estoit tous les ans. Et se gouverna si bien & prudentement monsieur le nouveau chastellain, qu'en moins de quatorze iours il dilapida le revenu certain & incertain de sa Chastellenie pour troys ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire en fondations de monastères, erections de temples, bastimens de collieges & hospitaulx, ou iectant son lard aux chiens. Mais despendit en mille petitz banquetz & festins ioyeulx, ouvers à tous venens, mesmement bons compaignons, ieunes fillettes, & mignonnes gualoises. Abastant boys, bruslant les grosses souches pour la vente des cendres, prenent argent d'avance, achaptant cher, vendent à bon marché, & mangeant son bled en herbe. Pantagruel adverty de l'affaire, n'en feut en soy aulcunement indigné, fasché, ne marry. Ie vous ay ià dict, et encores rediz, que c'esttoit le meilleur petit & grand bon hommet, que oncques ceignit espée. Toutes choses prenoit en bonne partie, tout acte interpretoit à bien. Iamais ne se tourmentoit, iamais ne se scandalizoit. Aussi eust il esté bien forissu du Deificque manoir de raison, si aultrement se feust contristé ou alteré. Car tous les biens que le Ciel couvre: & que la Terre contient en toutes ses dimensions: hauteur, profondité, longitude, & latitude, ne sont dignes d'esmouvoir nos affections, & troubler nos sens & espritz.

Seulement tira Panurge à part, & doulcettement luy remonstra, que si ainsi vouloit vivre, & n'estre aulcunement mesnagier, impossible seroit, ou pour le moins bien difficile, le faire iamais riche. Riche? respondit Panurge. Aviez vous là fermé vostre pensée? Aviez vous en soing pris me faire riche en ce monde? Pensez vivre ioyeux de par li bon Dieu, & li bons homs. Autre soing, autre soucy, ne soy receup on sacrosainct domicile de vostre celeste cerveau. La fermeté d'icelluy iamais ne soit troublée par nues quelconques de pensement passementé de meshaing & fascherie. Vous vivant ioyeulx, guaillard, dehayt, ie ne seray riche que trop. Tout le monde crie mesnaige, mesnaige. Mais tel parle de mesnaige, qui ne sçayt mie que c'est. C'est de moy que fault conseil prendre. Et de moy pour ceste heure prendrez advertissement, que ce qu'on me impute à vice, a esté imitation des Universités & Parlement de Paris: lieux esquelz consiste la vraye source & vive Idée de Pantheologie, de toute iustice aussi. Haereticque qui en doubte, & fermement ne le croyt. Ilz toutesfoys en un iour mangent leur evesque, ou le revenu de l'evesché (c'est tout un) pour une année entière, voyre pour deux aulcunes foys: C'est au iour qu'il y faict son entrée. Et n'y a lieu d'excuse, s'il ne vouloit estre lapidé sus l'instant. A esté aussi acte des quatre vertus principales. De Prudence, en prenent argent d'avance. Car on ne sçayt qui mord, ne qui rue. Qui sçayt si le monde durera troys ans? Et ores qu'il durast d'adventaige, est il homme tant fol qui se ausast promettre vivre troys ans?

Oncq'homme n'eut les Dieux tant bien à main,

Qu'asseuré feust de vivre au lendemain.

De iustice: Commutative, en achaptant cher (ie diz à credit) vendent à bon marché (ie diz argent comptant). Que dict Caton en sa mesnagerie sus ce propos? Il fault (dict il) que le perefamile soit vendeur perpetuel. Par ce moyen est impossible qu'en fin riche ne devieigne, si tousiours dure l'apothecque. Distributive: donnant à repaistre aux bons (notez bons) & gentilz compaignons: lesquelz Fortune avoit iecté comme Ulyxes, sus le roc de bon appetit, sans provision de mangeaille: & aux bonnes (notez bonnes) & ieunes gualoises (notez ieunes: Car scelon la sentence de Hippocrates, ieunesse est impatience de faim: mesmement si elle est vivace, alaigre, brusque, movente, voltigeante). Lesquelles gualoises voluntiers & de bon hayt font plaisir à gens de bien: & sont Platonicques & Ciceronianes iusques là, qu'elles se reputent estre on monde nées non pour soy seulement: ains de leurs propres personnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

De force, en abastant les gros arbres, comme un second Milo: ruinant les obscures forestz, tesnières de Loups, de Sangliers, de renards: receptacles de briguans & meurtriers: taulpinières de assassinateurs, officines de faulx monnoieurs, retraicte d'haereticques: & les complanissant en claires guarigues & belles bruières: iouant des haulx boys, & praeparant les sièges pour la nuict du iugement.

De Temperance: mangeant mon bled en herbe, comme un Hermite, vivant de sallades & racines: me emancipant des appetitz sensuelz: & ainsi espargnant pour les estropiatz & souffreteux. Car ce faisant, i'espargne les sercleurs qui guaignent argent: les mestiviers, qui beuvent voluntiers, & sans eau: les gleneurs, es quelz fault de la fouace: les basteurs, qui ne laissent ail, oignon, ne eschalote es iardins par l'auctorité de Thestilis Virgiliane: les meusniers, qui sont ordinairement larrons: & les boulangiers, qui ne valent guères mieulx. Est ce petite espargne: Oultre la calamité des Mulotz, le deschet des greniers, & la mangeaille des Charrantons & Mourrins. De bled en herbe vous faictez belle saulse verde, de legière concoction: de facile digestion. Laquelle vous esbanoist le cerveau, esbaudist les espritz animaulx, resiouist la veue, ouvre l'appetit, delecte le goust, assère le coeur, chatouille la langue, faict le tainct clair, fortifie les muscles, tempère le sang, alliège le diaphragme, refraischit le foye, desoppile la ratelle, soulaige les roignons, assoupist les reins, desgourdist les spondyles, vuide les uretères, dilate les vases spermaticques, abbreuie les cremastères, expurge la vessie, enfle les genitoires, corrige le prepuce, incruste le balane, rectifie le membre: vous faict bon ventre, bien rotter, vessir, peder, fianter, uriner, esternuer, sangloutir, toussir, cracher, vomiter, baisler, mouscher, haleiner, inspirer, respirer, ronfler, suer, dresser le virolet, & mille autres rares adventaiges.

I'entends bien (dist Pantagruel) vous inferez que gens de peu d'esprit ne sçauroient beaucoup en brief temps despendre. Vous n'estez le premier, qui ayt conceu ceste haeresie. Neron le maintenoit, & sus tous humains admiroit C. Caligula son oncle, lequel en peu de iours avoir par invention mirificque despendu tout l'avoir & patrimoine que Tiberius luy avoit laissé. Mais en lieu de guarder & observer les loix coenaires & sumptuaires des Romains, la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie, la Cornelie, la Lepidiane, la Antie, & des Corinthiens: par les quelles estoit rigoureusement à un chascun defendu, plus par an despendre, que portoit son annuel revenu: vous avez faict Protervie: qui estoit entre les Romains sacrifice tel que de l'aigneau Paschal entre les Iuifz. Il y convenoit tout mangeable manger: le reste iecter on feu: rien ne reserver au lendemain. Ie le peuz de vous iustement dire, comme le dist Caton de Albidius, lequel avoit en excesifve despense mangé tout ce qu'il possedoit, restant seulement une maison, y mist le feu dedans, pour dire, consummatum est, ainsi que depuys dist sainct Thomas Dacquin, quand il eut la Lamproye toute mangée. Cela non force.

 

Comment Panurge loue les debteurs & emprunteurs.

 

Chapitre III.

Mais (demanda Pantagruel) quand serez vous hors de debtes?

Es Calendes Grecques, respondit Panurge; lors que tout le monde sera content, & que serez heritier de vous mesmes. Dieu me guarde d'en estre hors. Plus lors ne trouverois qui un denier me pretast. Qui au soir ne laisse levain, ia ne fera au matin lever pasté. Doibvez tous iours à quelqu'un. Par icelluy sera continuellement prié Dieu: prié vous donner bonne, longue, & heureuse vie: craignant sa debte perdre, tousiours bien de vous dira en toutes compaignies: tousiours bien de vous dira en toutes compaignies: tousiours nouveaulx crediteurs vous acquestera: affin que par eulx vous faciez versure, & de terre d'aultruy remplissez son fossé. Quand iadis en Gaulle par l'institution des Druydes, les serfz, varletz, & appariteurs estoient tous vifz bruslez aux funerailles & exeques de leurs maistres & seigneurs: n'avoient ilz belle paour que leurs maistres & seigneurs mourussent? Car ensemble force leurs estoit mourir. Ne prioient ilz continuellement leur grand Dieu Mercure, avecques Dis le père aux escuz, longuement en santé les conserver? N'estoient ilz soingneux de bien les traicter & servir? Car ensemble povoient ilz vivre au moins iusques à la mort. Croyez qu'en plus fervente devotion vos crediteurs priront Dieu que vivez, craindront que mourez, d'autant que plus ayment la manche que le braz, & la denare que la vie. Tesmoings les usuriers de Landerousse, qui naguères se pendirent, voyans les bleds & les vins ravaller en pris, & bon temps retourner.

Pantagruel rien ne respondent, continua Panurge. Vray bot, quand bien ie y pense, vous me remettez à poinct en ronfle veue, me reprochant mes debtes & crediteurs. Dea en ceste seule qualité ie me reputois auguste, reverend, & redoubtable, que sus l'opinion de tous Philosophes (qui disent rien de rien n'estre faict) rien ne tenent, ne matière première, estoit facteur & createur. Avois créé. Quoy? Tant de beaulx & bons crediteurs. Crediteurs sont (ie le maintiens iusques au feu exclusivement) creatures belles & bonnes. Qui rien ne preste, est creature laide & mauvaise: creature du grand villain diantre d'enfer. Et faict. Quoy? Debtes. O chose rare & antiquaire. Debtes, diz ie, excedentes le nombre des syllabes resultantes au couplement de toutes les consonantes avecques les vocales, iadis proiecté & compté par le noble Xenocrates. A la numerosité des crediteurs si vous estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en Arithmetique praticque. Cuidez vous que ie suis aise quand tous les matins autour de moy ie voy ces crediteurs tant humbles, serviables, & copieux en reverences? Et quand ie note que moy faisant à l'un visaige plus ouvert, & chère meilleure que es autres, le paillard pense avoir sa depesche le premier, pense estre le premier en date, & de mon ris cuyde que soit argent content. Il m'est advis, que ie ioue encores le Dieu de la passion de Saulmur, accompaigné de ses Anges & Cherubins. Ce sont mes candidatz, mes parasites, mes salueurs, mes diseurs de bons iours, mes orateurs perpetuelz. Et pensois veritablement en debtes consister la montaigne de Vertus heroicque descripte par Hesiode, en laquelle ie tenois degré premier de ma licence: à laquelle tous humains semblent tirer & aspirer, mais peu y montent pour la difficulté du chemin: voyant au iourdhuy tout le monde en desir fervent, & strident appetit de faire debtes, & crediteurs nouveaulx. Toutesfoys il n'est debteur qui veult: il ne faict crediteurs qui veult. Et vous me voulez debouter de ceste felicité soubeline? vous me demandez quand seray hors de debtes?

Bien pis y a, ie me donne à sainct Babolin le bon sainct, en cas que toute ma vie ie n'aye estimé debtes estre comme une connexion & colligence des Cieulx & Terre: un entretenement unicque de l'humain lignaige: ie dis sans lequel bien tost tous humains periroient: estre par adventure celle grande ame de l'univers, laquelle scelon les Academicques, toutes choses vivifie. Qu'ainsi soit, repraesentez vous en esprit serain l'idée & forme de quelque monde, prenez si bon vous semble, le trentiesme de ceulx que imaginoit le philosophe Metrodorus: ou le soixante & dix huyctiesme de Petron: on quel ne soit debteur ne crediteur aulcun. Un monde sans debtes. Là entre les astres ne sera cours regulier quiconque. Tous seront en desarroy. Iuppiter ne s'estimant debiteur à Saturne, le depossedera de sa sphaere, & avecques sa chaine Homericque suspendera les intelligences, Dieu, Cieulx, Daemons, Genies, Heroes, Diables, Terre, mer, tous elemens. Saturne se raliera avecques Mars, & mettront tout ce monde en perturbation. Mercure ne vouldra soy asservir les aultres, plus ne sera leur Camille, comme langue Hetrusque estoit nommé. Car il ne leurs est en rien debteur. Venus ne sera venerée, car elle n'aura rien presté. La Lune restera sanglante & tenebreuse. A quel propous luy departiroit le Soleil sa lumière? Il n'y estoit en rien tenu. Le Soleil ne luyra sus leur terre: les Astres ne y feront influence bonne. Car la terre desistoit leurs prester nourrissement par vapeurs & exhalations: des quelles disoit Heraclitus, prouvoient les Stoiciens, Ciceron maintenoit estre les estoilles alimentées. Entre les elemens ne sera symbolisation, alternation, ne transmutation aulcune. Car l'un ne se reputera obligé à l'autre, il ne luy avoit rien presté. De terre ne sera faicte eau: l'eau en aër ne sera transmuée: de l'aër ne sera faict feu: le feu n'eschauffera la terre. La terre rien ne produira que monstres, Titanes, Aloides, Geans: Il n'y pluyra pluye, n'y luyra lumière, n'y ventera vent, n'y sera esté ne automne. Lucifer se desliera, & sortant du profond d'enfer avecques les Furies, les Poines, & Diables cornuz, vouldra deniger des cieulx tous les dieux tant des maieurs comme des mineurs peuples. De cestuy monde rien ne prestant ne sera qu'une chienerie: que une brigue plus anomale que celle du Recteur de Paris, qu'une Diablerie plus confuse que celle des ieuz de Doué. Entre les humains l'un ne saluera l'aultre: il aura beau crier à l'aide, au feu, à l'eau, au meurtre. Personne ne ira à secours. Pourquoy? Il n'avoit rien presté, on ne luy debvoit rien. Personne n'a interest en sa conflagration, en son naufrage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne prestoit il rien. Aussi bien n'eust il par après rien presté. Brief de cestuy monde seront bannies Foy, Esperance, Charité. Car les homes sont nez pour l'ayde & secours des homes. En lieu d'elles succederont Defiance, Mespris, Rancune, avecques la cohorte de tous maulx, toutes maledictions, & toutes misères. Vous penserez proprement que là eust Pandora versé sa bouteille. Les hommes seront loups es hommes. Loups guaroux, & lutins, comme feurent Lychaon, Bellerophon, Nabugotdonosor: briguans, assassineurs, empoisonneurs, malfaisans, malpensans, malveillans, haine portans un chascun contre tous, comme Ismael, comme Metabus, comme Timon Athenien, qui pour ceste cause feut surnommé. Si que chose plus facile en nature seroit, nourrir en l'aër les poissons, paistre les cerfz on fond de l'Océan, que supporter ceste truandaille de monde, qui rien ne preste. Par ma foys ie les hays bien.

Et si au patron de ce fascheux & chagrin monde rien ne prestant, vous figurez l'autre petit monde, qui est l'home, vous y trouverez un terrible tintamarre. La teste ne vouldra prester la veue de ses oeilz, pour guider les piedz & les mains. Les piedz ne la daigneront porter: les mains cesseront de travailler pour elle. Le coeur se faschera de tant se mouvoir pour les pouls des membres, & ne leurs prestera plus. Le poulmon ne luy fera prest de ses souffletz. Le foye en luy envoyra sang pour son entretien. La vessie ne vouldra estre debitrice aux roignons: l'urine sera supprimée. Le cerveau considerant ce train desnaturé, se mettra en resverie, & ne baillera snetement es nerfz, ne mouvement es muscles. Somme, en ce monde defrayé, rien ne debvant, rien ne prestant, rien ne empruntant, vous voirez une conspiration plus pernicieuse, que n'a figuré Aesope en son Apologue. Et perira sans doubte: non perira seulement: mais bien tost perira, feust ce Aesculapius mesmes. Et ira soubdain le corps en putrefaction: l'ame toute indignée prendra course à tous les Diables, après mon argent.

 

Continuation du discours de Panurge à la louange des presteurs & debteurs.

 

Chapitre IIII.

Au contraire representez vous un monde autre, on quel un chascun preste, un chascun doibve, tous soient debteurs, tous soient presteurs. O quelle harmonie sera parmy les reguliers mouvemens des Cieulz. Il m'est advis que ie l'entends aussi bien que feist oncques Platon. Quelle sympathie entre les elemens. O comment Nature se y delectera en ses oeuvres & productions. Cerès chargée de bleds: Bacchus de vins: Flora de fleurs: Pomona de fruictz: Iuno en son aër serain seraine, salubre, plaisante. Ie me pers en ceste contemplation. Entre les humains Paix, Amour, Dilection, Fidelité, repous, banquetz, festins, ioye, liesse, or, argent, menue monnoie, chaisnes, bagues, marchandises, troteront de main en main. Nul procès, nulle guerre, nul debat: nul n'y sera usurier, nul leschart, nul chichart, nul refusant. Vray Dieu, ne sera ce l'aage d'or, le règne de Saturne? L'idée des regions Olympicques: es quelles toutes autres vertus cessent: Charité seule règne, regente, domine, triumphe. Tous seront bons, tous seront beaulx, tous seront iustes. O monde heureux. O gens de cestuy monde heureux. O beatz troys & quatre foys. Il m'est advis que ie y suis. Ie vous iure le bon Vraybis, que si cestuy monde, beat monde ainsi à un chascun prestant, rien ne refusant eust Pape foizonnant en Cardinaulx, & associé de son sacré colliège, en peu d'années vous y voiriez les sainctz plus druz, plus miraclificques, à plus de leçons, plus de veuz, plus de bastons, & plus de chandelles, que ne sont tous ceulx des neufz eveschez de Bretaigne. Exceptez seulement sainct Ives. Ie vous prie considerez comment le noble Patelin voulant deifier & par divines louenges mettre iusques au tiers ciel le père de Guillaume Iousseaulme, rien plus ne dist sinon,

Et si prestoit

Ses denrées, à qui en vouloit.

O le beau mot. A ce patron figurez vous nostre microcosme, id est, petit monde, c'est l'homme, en tous ses membres, prestans, empruntans, doibvans, c'est à dire en son naturel. Car nature n'a créé l'home que pour prester & emprunter. Plus grande n'est l'harmonie des cieux, que sera de sa police. L'intention du fondateur de ce microcosme, est y entretenir l'ame, laquelle il y a mise comme hoste: & la vie. La vie consiste en sang. Sang est le siège de l'ame. Pourtant un seul labeur poine en ce monde, c'est forger sang continuellement. En ceste forge sont tous membres en office propre: & est leur hierarchie telle que sans cesse l'un de l'autre emprunte, l'un à l'autre preste, l'un à l'autre est debteur. La matière & metal convenable pour estre en sang transmué, est baillée par nature: Pain & Vin. En ces deux sont comprinses toutes espèces des alimens. Et de ce est dict le companage en langue Goth. Pour icelles trouver, praeparer, & cuire, travaillent les mains, cheminent les piedz, & portent toute ceste machine: les oeilz tout conduisent. L'appetit en l'orifice de l'estomach moyennant un peu de melancholie aigrette, que luy est transmis de la ratelle, admonneste de enfourner viande. La langue en faict l'assay: les dens la maschent: l'estomach la reçoit, digère & chylifie. Les vènes mesaraïcques en sugcent ce qu'est bon & idoine: delaissent les excremens. Les quelz par vertu expulsive sont vuidez hors par exprès conduictz: puys la portent au foye. Il la transmue derechef, & en faict sang. Lors quelle ioye pensez vous estre entre ces officiers, quand ils ont veu ce ruisseau d'or, qui est leur seul restaurant? Plus grande n'est la ioye des Alchymistes, quand après longs travaulx, grand soin & despense, ilz voyent les metaulx transmuez dedans leurs fourneaulx. Adoncques chascun membres se praepare & s'esvertue de nouveau à purifier & affiner cestuy thesaur. Les roignons par les vènes mulgentes en tirent l'aiguosité, que vous nommez urine, & par les uretères la decoullent en bas. Au bas trouve receptacle propre, c'est la vessie, laquelle en temps oportun la vuide hors. La ratelle en tire le terrestre, & la lie, que vous nommez melancholie. La bouteille du fiel en soubstrait la cholère superflue. Puys est transporté en une autre officine pour mieulx estre affiné, c'est le Coeur. Lequel par ces mouvemens diastolicques & systolicques le subtilie & enflambe, tellement que par le ventricule dextre le met à perfection, & par les vènes l'envoye à tous les membres. Chascun membre l'attire à soy, & s'en alimente à sa guise: pieds mains, oeilz, tous: & lors sont faictz debteurs, qui paravant estoient presteurs. Par le ventricule gausche il le faict tant subtil, qu'on le dict spirituel: & l'envoye à tous les membres par ses artères, pour l'autre sang des vènes eschauffer & esventer. Le poulmon ne cesse avecques es lobes & souffletz le refraischir. En recongnoissance de ce bien le Coeur luy en depart le meilleur par la vène arteriale. En fin tant est affiné dedans le retz merveilleux, que par à present sont faictz les espritz animaulx, moyenans les quelz elle imagine, discourt, iuge, resoust, delibère, ratiocine, & rememore. Vertus guoy ie me naye, ie me pers, ie m'esguare, quand ie entre on profond abisme de ce monde ainsi prestant, ainsi doibvant. Croyez que chose divine est prester: debvoir est vertus Heroïcque.

Encores n'est ce tout. Ce monde prestant, doibvant, empruntant, est si bon, que ceste alimentation parachevée, il pense desià prester à ceulx qui ne sont encores nez: & par prest se perpetuer s'il peult, & multiplier en images à soy semblables, ce sont enfans. A ceste fin chascun membre du plus precieux de son nourrissement decide & roigne une portion, & la renvoye en bas: nature y a praeparé vases & receptacles opportuns, par les quelz descendent es genitoires en longs ambages & flexuositez: reçoit forme competente, & trouve lieux idoines tant en l'homme comme en la femme, pour conserver & perpetuer le genre humain. Ce faict le tout par prestz & debtes de l'un à l'autre: dont est dict le debvoir de mariage. Poine par nature est au refusant interminée, acre vexation parmy les membres, & furie parmy les sens: au prestant loyer consigné, plaisir, alaigresse, & volupté.

 

Comment Pantagruel deteste les debteurs & emprunteurs.

 

Chapitre V.

I'entends (respondit Pantagruel) & me semblez bon topicqueur & affecté à vostre cause. Mais preschez & patrocinez d'icy à la Pentecoste, en fin vous serez esbahy, comment rien ne me aurez persuadé, & par vostre beau parler, ia ne me ferez entrer en debtes. Rien (dict le sainct Envoyé) à personne en doibvez, fors amour & dilection mutuelle.

Vous me usez icy de belles graphides & diatyposes, & me plaisent tresbien: mais ie vous diz, que si figurez un affronteur efronté, & importun emprunteur entrant de nouveau en une ville ià advertie de ses meurs, vous touverez que à son entrée plus seront les citoyens en effroy & trepidation, que si la Peste y entroit en habillement tel que la trouva le Philosophe Tyanien dedans Ephèse. Et suys d'opinion que ne erroient les Perses, estimans le second vice estre mentir: le premier estre debvoir. Car debtes & mensonges sont ordinairement ensemble ralliez. Ie ne veulx pourtant inferer, que iamais ne faille debvoir, iamais ne faille prester. Il n'est si riche qui quelques foys ne doibve. Il n'est si paouvre, de qui quelques foys on ne puisse emprunter. L'ocasion sera telle que la dict Platon en ses loix, quand il ordonne qu'on ne laisse chez soy les voysins puiser eau, si premierement ilz n'avoient en leurs propres pastifz foussoyé & beché iusques à trouver celle espèce de terre qu'on nomme Ceramite (c'est terre à potier) & là n'eussent rencontré source ou degout d'eaux. Car icelle terre par sa substance qui est grasse, forte, lize, & dense, retient l'humidité, & n'en est facilement fait escours ne exhalation. Ainsi est ce grande vergouigne, touisours, en tous lieux, d'un chascun emprunter, plus toust que travailler & guaingner. Lors seulement debvroit on (selon mon iugement) prester, quand la personne travaillant n'a peu par son labeur faire guain: ou quand elle est soubdainement tombée en perte inopinée de ses biens. Pourtant laissons ce propos, & dorenavant ne vous atachez à crediteurs: du passé ie vous delivre.

Le moins de mon plus (dist Panurge) en cestuy article sera vous remercier: & si les remerciemens doibvent estre mesurez par l'affection des biensfaicteurs, ce sera infiniment, sempiternellement: car l'amour que de vostre grace me portez, est hors le dez d'estimation, ils transcende tout poix, toute mesure, il est infiny, sempiternel. Mais le mesurant au qualibre des biensfaictz, & contentement des recepvans, ce sera assez laschement. Vous me faictez des biens beaucoup, & trop plus que m'appartient, plus que n'ay envers vous deservy, plus que ne requeroient mes merites, force est que le confesse: mais non mie tant que pensez en cestuy article. Ce n'est là que me deult, ce n'est là que me cuist & demange. Car dorenavant estant quitte quelle contenence auray ie? Croiez que ie auray maulvaise grace pour les premiers moys, veu que ie n'y suis ne nourry ne accoustumé. I'en ay grand paour. D'adventaige desormais ne naistra ped en tout Salmiguondinoys, qui ne ayt son renvoy vers mon nez. Tous les peteurs du monde petans disent. Voy la pour les quittes. Ma vie finera bien toust, ie le praevoy. Ie vous recommande mon Epitaphe: Et mourray tout confict en pedz. Si quelque iour pour restaurant à faire peter les bonnes femmes, en extreme passion de colicque venteuse, les medicamens ordinaires ne satisfont aux medicins, la momie de mon paillard & empeté corps leur fera remède praesent. En prenent tant peu que direz, elles peteront plus qu'ilz n'entendent. C'est pourquoy ie vous prirois voluntiers que de debtes me laissez quelque centurie: comme le roy Loys unzième iectant hors de procès Miles d'Illiers eveesque de Chartres, feut importuné luy en laisser quelque un pour se exercer. I'ayme mieux leur donner toute ma Cacquerolière, ensemble ma Hannnetonnière: rien pourtant ne deduisant du sort principal.

Laissons (dist Pantagruel ce propos, ie vous l'ay ià dict une foys.

 

Pourquoy les nouveaulx mariez estoient exemptz d'aller en guerre.

 

Chapitre VI.

Mais (demanda Panurge) en quelle loy estoit ce constitué & estably, que ceulx qui vigne nouvelle planteroient: ceulx qui logis neuf bastiroient: & les nouveaulx mariz seroient exemptz d'aller en guerre pour la première année?

En la loy (respondit Pantagruel) de Moses.

Pour quoy (demanda Panurge) les nouveaulx mariez? Des planteurs de vigne, ie suis trop vieulx pour me soucier: ie acquiesce on soucy des vendangeurs: & les beaulx bastisseurs nouveaux de pierres mortes ne sont escriptz en mon livre de vie. Ie ne bastis que pierres vives, ce sont hommes.

Scelon mon iugement (respondit Pantagruel) c'estoit, affin que pour la première année, ilz iouissent de leurs amour à plaisir, vacassent à production de lignage, & feissent provision de heritiers. Ainsi pour le moins, si l'année seconde estoient en guerre occis, leur nom & armes restat en leurs enfans. Aussi que leurs femmes on congneust certainement estre brehaignes ou fecondes (car l'essay d'un an leur sembloit suffisant, attendu la maturité de l'aage en laquelle ilz faisoient nopces) pour mieulx après le decès des mariz premiers les colloquer en secondes nopces: les fecondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en enfans: les brehaignes, à ceulx qui n'en appeteroient: & les prendroient pour leurs vertus, sçavoir, bonnes graces, seulement en consolation domesticque, & entretenement de mesnaige.

Les prescheurs de Varenes (dist Panurge) detestent les secondes nopces, comme folles & deshonnestes.

Elles sont (respondist Pantagruel) leurs fortes fiebvres quartaines.

Voire (dist Panurge) & à frère Enguainnant aussi, qui en plain sermon preschant à Parillé, & detestant les nopces secondes, iuroit, & se donoit au pluis viste Diable d'enfer, en cas que mieulx n'aymast depuceller cent filles, que biscoter une vefve. Ie trouve vostre raison bone & bien fondée. Mais que diriez vous, si ceste exemption leurs estoit oultroyée, pour raison que tout le decours d'icelle prime année, ilz auroient tant taloché leurs amours de nouveau possedez (comme c'est l'aequité & debvoir) & tant esgoutté leurs vases spermaticques, qu'ilz en restoient tous effilez, tous evirez, tous enervez, & flatriz. Si que advenent le iour de bataille plus tost se mettroient au plongeon comme canes, avecques le baguaige, que avecques les combatans & vaillans champions on lieu on quel par Enyo est meu le hourd, & sont les coups departiz. Et soubs l'estandart de Mars ne frapperoient coup qui vaille. Car les grands coups auroient ruez soubs les courtines de Venus s'amie. Qu'ainsi soit nous voyons encores maintenant entre autres reliques & monumens d'antiquité, qu'en toutes bonnes maisons après ne sçay quantz iours l'on envoye ces nouveaux mariez veoir leur oncle: pour les absenter de leurs femmes, & ce pendent soy reposer, & de rechief se avitailler pour mieux au retour combatre: quoy que souvent ilz n'ayent ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy Petault après la iournée des Cornabons, ne nous cassa proprement parlant, ie diz moy & Courcaillet, mais nous envoya refraischir en nos maisons. Il est encores cherchant la sienne. La marraine de mon grandpère me disoit, quand i'estois petit, que

Patenostres & oraisons,

Sont pour ceulx là qui les retiennent

Un fifre allans en fenaisons

Est plus fort que deux qui en viennent.

Ce que me induict en ceste opinion, est que les planteurs de vigne, à poine mangeoient raisins, ou beuvoient vin de leur labeur durant la première année: & les bastisseurs pour l'an premier, ne habitoient en leurs logiz de nouveau faictz, sur poine de y mourir: suffocquez par deffault de expiration, comme doctement a noté Galen. lib. 2. de la difficulté de respirer. Ie ne l'ay demandé sans cause bien causée: ne sans raison bien resonnante. Ne vous desplaise.

 

Comment Panurge avoit la pusse en l'aureille, & desista porter sa magnificque braguette.

 

Chapitre VII.

Au lendemain Panurge se feit perser l'aureille dextre à la Iudaicque, & y attacha un petit anneau d'or à ouvraige de tauchie, on caston duquel estoit une pusse enchassée. Et estoit la pusse noire, affin que rien ne doubtez. C'est belle chose, estre en tout cas bien informé. La despence de laquelle raportée à son bureau ne montoit par quartier guères plus que le mariage d'une Tigresse Hircanicque, comme vous pourriez dire 600 000 malvedis. De tant excessive despence se fascha lors qu'il feut quitte, & depuis la nourrit en la faczon des tyrans & advocatz, de la sueur et du sang de ses subiectz. Print quatre aulnes de bureau: s'en acoustra comme d'une robbe longue à simple cousture: desista porter le hault de ses chausses: & attacha des lunettes à son bonnet. En tel estat se presenta davant Pantagruel: lequel trouva le desguisement estrange, mesmement ne voyant plus la belle & magnificque braguette, en laquelle il souloit comme en l'ancre sacre constituer son dernier refuge contre to' naufraiges d'adversité. N'entendent le bon Pantagruel ce mystère, le interrogea demandant que prepretendoit ceste nouvelle prosopopée.

I'ay (respondit Panurge) la pusse en l'aureille. Ie me veulx marier.

En bonne heure soit, dist Pantagruel, vous m'en avez bien resiouy. Vrayement ie n'en vouldrois pas tenir un fer chauld. Mais ce n'est la guise des amoureux, ainsi avoir bragues avalades, & laissé pendre sa chemise sur les genoilx sans hault de chausses: avecques robbe longue de bureau, qui est couleur inusitée en robbes talares entre gens de bien & de vertus. Si quelques personaiges de haeresies & sectes particulaires s'en sont autres fois acoustrez, quoy que plusieurs l'ayent imputé à piperie, imposture, & affectation de tyrannie sus le rude populaire, ie ne veulx pourtant les blasmer, & en cela faire d'eulx iugement sinistre. Chascun abonde en son sens: mesmement en choses foraines, externes, & indifferentes, lesquelles de soy ne sont bonnes ne maulvaises: pource qu'elles ne sortent de nos coeurs & pensées, qui est l'officine de tout bien & tout mal: bien, si bonne est, & par le esprit munde reiglée l'affection: mal, si hors aequité par l'esprit maling est l'affection depravée. Seulement me desplaist la nouveaulté & mespris du commun visaige.

La couleur, respondit Panurge, est aspre aux potz, à propos, c'est mon bureau, ie le veulx dorenavant tenir, & de près reguarder à mes affaires. Puys qu'une foys ie suis quitte, vous ne veistes oncques home plus mal plaisant que ie seray, si Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles. A me veoir de loing vous diriez proprement que c'est frère Ian Bourgeoys. Ie croy bien que l'année qui vient ie prescheray encores une foys la croysade. Dieu guard de mal les pelotons. Voiez vous ce bureau. Croiez qu'en luy consiste quelque occulte proprieté à peu de gens congneue. Ie ne l'ay prins qu'à ce matin, mais desià i'endefve, ie deguène, ie grezille d'estre marié, & labourer en diable bur, dessus ma femme, sans craincte des coups de baston. O le grand mesnaiger que ie feray. Après ma mort on me fera brusler en bust honorificque: pour en avoir les cendres en memoire & exemplaire du mesnaiger perfaict. Corbieu sus cestuy mien bureau ne se ioue mon argentier d'allonger les.ff. Car coups de poing troteroient en face. Voyez moy davant & darrière: c'est la forme d'une Toge, antique habillement des Romains en temps de paix. I'en ay prins la forme en la colonne de Traian à Rome, en l'arc triumphal aussi de Septimius Severus. Ie suis las de guerre: las des sayes & hocquetons. I'ay les espaules toutes usées à force de porter harnois. Cessent les armes, règnent les Toges. Au moins pour toute ceste subsequente année si ie suis marié, comme vous me allegastez hier par la loy Mosaïque.

Au reguard du hault de chausses, ma grand tante Laurence iadis me disoit, qu'il estoit faict pour la braguette. Ie le croy, en pareille induction, que le gentil falot Galen. lib. 9. De l'usage de nos membres, dict la teste estre faicte pour les oeilz. Car nature eust peu mettre nos testes aux genoulx ou au coubtes: mais ordonnant les oeilz pour descouvrir au loing, les fixa en la teste comme en un baston au plus hault du corps: comme nous voyons les Phares & haultes tours sus les havres de mer estre erigées, pour de loing estre veue la lanterne. Et pource que ie vouldrois quelque espace de temps, un an pour le moins, respirer de l'art militaire, c'est à dire, me marier, ie ne porte plus de braguette, ne par consequent hault de chausses. Car la braguette est première pièce de harnoys pour armer l'homme de guerre. Et maintiens iusques au feu (exclusivement entendez) que les Turcs ne sont aptement armez, veu que braguettes porter est chose en leurs loix defendue.

 

Comment braguette est première pièce de harnois entre gens de guerre.

 

Chapitre VIII.

Voulez vous, dist Pantagruel, maintenir que la braguette est pièce première de harnois militaire? C'est doctrine moult paradoxe & nouvelle. Car nous disons que par esprons on commence soy armer.

Ie le maintiens respondit Panurge: & non à tord ie le maintiens. Voyez comment nature voulant les plantes, arbres, arbriseaulx, herbes, & Zoophytes une fois par elles créez, perpetuer & durer en toute succession de temps, sans iamais deperir les espèces, encores que les individus perissent, curieusement arma leurs germes & semences, es quelles consiste icelle perpetuité, & les a muniz & couvers par admirable industrie de gousses, vagines, testz, noyaulx, calicules, coques, espiz, pappes, escorces, echines poignans: qui leur font comme belles & fortes braguettes naturelles. L'exemple y est manifeste en Poix, Febves, Faseolz, Noix, Alberges, Cotton, Colocynthes, Bleds, Pavot, Citrons, Chastaignes: toutes plantes generalement. Es quelles voyons apertement le germe & la semence plus estre ouverte, munie, & armée, qu'autre partie d'icelles. Ainsi ne pourveut nature à la perpetuité de l'humain genre. Ainsi crea l'homme nud, tendre, fragile, sans armes ne offensives, ne defensives, en estat d'innocence & premier aage d'or, comme animant, non plante: comme animant (diz ie) né à paix non à guerre: animant né à ouissance mirificque de tous fruictz & plantes vegetables, animant né à domination pacificque sus toutes bestes. Advenent la multiplication de malice entre les humains en succession de l'aage de fer, et règne de Iuppiter la terre commença à produire Orties, Chardons, Espines, & telle autre manière de rebellion contre l'homme entre les vegetables: d'autre part, presque tous animaulx par fatale disposition se emancipèrent de luy, & ensemble tacitement conspirèrent plus ne le servir, plus ne luy obeir, en tant que resister pourroient, mais luy nuire scelon leur faculté & puissance. L'homme adoncques voulant la première iouissance maintenir & sa première domination continuer: non aussi povant soy commodement passer du service de plusieurs animaulx, eut necessité soy armer de nouveau.

Par la dive Oye guenet (s'escrya Pantagruel) depuys les dernières pluyes tu es devenu grand lifrelofre, voyre diz ie Philosophe.

Considerez (dist Panurge) comment nature l'inspira soy armer, & quelle partie de son corps il commença premier armer. Ce feut (par la vertus Dieu) la couille, & le bon messer Priapus, quand eut faict: ne la pria plus. Ainsi nous le tesmoigne le capitaine & philosophe Hebrieu Moses, affermant qu'il se arma d'une brave & gualante braguette, faicte par moult invention de feueilles de figuier: les quelles sont naïfves, & du tout commodes en dureté, incisure, frizure, polissure, grandeur, couleur, odeur, vertus, faculté pour couvrir & armer couilles: Exceptez moy les horrificques couilles de Lorraine, les quelles à bride avallée descendent au fond des chausses, abhorrent le mannoir des braguettes haultaines: & sont hors toute methode: tesmoing Viardière le noble Valentin, lequel un premier iour de May, pour plus guorgias estre, ie trouvay à Nancy, descrotant ses couilles extendues sur une table comme une cappe à l'Hespaignole. Doncques ne fauldra dorenavant dire, qui ne vouldra improprement parler, quand on envoyra le franc taulpin en guerre, Saulve Tevot le pot au vin, c'est le cruon. Il fault dire, Saulve Tevot le pot au laict, ce sont les couilles: de par tous les diables d'enfer. La teste perdue, ne perist que la persone: les couilles perdues, periroit toute l'humaine nature. C'est ce que meut le gualant Cl. Galen, lib.1. de spermate, à bravement conclure, que mieulx (c'est à dire moindre mal) seroit, poinct de coeur n'avoir, que poinct n'avoir de genitoigenitoires. Car là consiste comme en un sacré reposoir le germe conservatif de l'humain lignage. Et croieroys pour moins de cent francs, que ce sont les propres pierres, moyenans lesquelles Deucalion & Pyrrha restituèrent le genre humain aboly par le deluge Poëtique. C'est ce qui meut me vaillant Iustinian lib. 4. de cagotis tollendis, à mettre summum bonum in braguibus & braguetis.

Pour ceste & aultres causes le seigneur de Merville essayant quelque iour un harnoys neuf, pour suyvre son Roy en guerre (car du sien antique & demy rouillé plus bien servir ne povoit, à cause que depuys certaines années la peau de son ventre s'estoit beaucoup esloingnée des roignons) sa femme consydera en esprit contemplatif, que peu de soing avoit du pacquet & baston commun de leur mariage, veu qu'il ne l'armoit que de mailles, feut d'advis qu'il le munist tresbien & gabionnast d'un gros armet de ioustes, lequel estoit en son cabinet inutile. D'icelle sont escriptz ces vers on tiers livre du Chiabrena des pucelles.

Celle qui veid son mary tout armé,

Fors la braguette aller à l'escarmouche,

Luy dist. Amy, de paour qu'on ne vous touche,

Armez cela, qui est le plus aymé.

Quoy? tel conseil doibt il estre blasmé?

Ie diz que non: Car sa paour la plus grande

De perdre estoit, le voyant animé,

Le bon morceau, dont elle estoit friande.

Desistez doncque, vous esbahir de ce nouveau mien acoustrement.

 

Comment Panurge se conseille à Pantagruel pour sçavoir s'il se doibt marier.

 

Chapitre IX.

Pantagruel rien ne replicquant, continua Panurge, & dist avecques un profond soupir. Seigneur vous avez ma deliberation entendue, qui est me marier, si de malencontre n'estoient tous les trouz fermez, clous, & bouclez. Ie vous supply par l'amour, que si longtemps m'avez porté, dictez m'en vostre advis.

Puis (respondit Pantagruel) qu'une foys en avez iecté le dez, & ainsi l'avez decreté, & prins en ferme deliberation, plus parler n'en fault, reste seulement la mettre à execution.

Voyre mais (dist Panurge) ie ne la vouldrois executer sans vostre conseil & bon advis.

I'en suis (respondit Pantagruel) d'advis, & vous le conseille.

Mais (dist Panurge) si vous congnoissiez, que mon meilleur feust tel que ie suys demeurer, sans entreprendre cas de nouvelleté, i'aymerois mieulx ne me marier poinct.

Point doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais (dist Panurge) vouldriez vo' qu'ainsi seulet ie demeurasse toute ma vie sans compaignie coniugale? Vous savez qu'il est escript, Veh soli. L'homme seul n'a iamais tel soulas qu'on veoyd entre gens mariez.

Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si (dist Panurge) ma femme me faisoit coqu, comme vous sçavez qu'il en est grande année, ce seroit assez pour me faire trespasser hors les gonds de patience. I'ayme bien les coquz, & me semblent gens de bien, & les hante voluntiers: mais pour mourir ie n'en vouldroys estre. C'est un poinct qui trop me poingt.

Poinct doncques ne vous mariez: (respondit Pantagruel) Car la sentence de Senecque est veritable hors toute exception. Ce qu'à aultruy tu auras faict, soys certain qu'aultruy te fera.

Dictez vous, demanda Panurge, cela sans exception?

Sans exception il le dict, respondit Pantagruel.

Ho ho (dist Panurge) de par le petit diable. Il entend en ce monde, ou en l'aultre. Voyre mais puis que de femme ne me peuz passer en plus qu'un aveugle de baston (Car il faut que le virolet trote, aultrement vivre ne sçauroys) n'est ce le mieulx que ie me associe quelque honneste & preude femme, qu'ainsi changer de iour en iour avecques continuel dangier de quelque coup de baston, ou de la verolle pour le pire? Car femme de bien oncques ne me feut rien. Et n'en desplaise à leurs mariz.

Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit, & advint que i'esposasse quelque femme de bien, & elle me bastist, ie seroys plus que tiercelet de Iob, si ie n'enrageois tout vif. Car l'on m'a dict, que ces tant femmes de bien ont communement maulvaise teste, ausi ont elles bon vinaigre en leur mesnaige. Ie l'auroys encore pire, & luy batteroys tant & trestant la petite oye, ce sont braz, iambes, teste, poulmon, foye, & ratelle: tant luy deschicqueterois ses habillemens à bastons rompuz, que le grand Diole en attendroit l'ame damnée à la porte. De ces tabus ie me passerois bien pour ceste année, & content serois n'y entrer poinct.

Point doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, estant en estat tel que ie suis, quitte, & non marié. Notez que ie diz quitte en la male heure. Car estant bien fort endebté, mes crediteurs ne seroient que trop soigneux de ma paternité. Mais quitte, & non marié, ie n'ay personne qui tant de moy se souciast, & amour tel me portast, qu'on dist estre amour coniugal. Et si par cas tombois en maladie, traicté ne serois qu'au rebours. Le saige dict. Là où n'est femme, i'entends merefamiles, & en mariage legitime, le malade est en grand estrif. I'en ay veu claire experience en papes, legatz, cardinaulx, evesques, abbez, prieurs, prebstres, & moines. Or là iamais ne m'auriez.

Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, estant malade & impotent au debvoir de mariage, ma femme impatiente de ma langueur, à aultruy se abandonnoit, & non seulement ne me secourust au besoing, mais aussi se mocquast de ma calamité, & (que pis est) me desrobast, comme i'ay veu souvent advenir: ce seroit pour m'achever de paindre, & courir les champs en pourpoinct.

Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, ie n'aurois iamais aultrement filz ne filles legitimes, es quelz i'eusse espoir mon nom & armes perpetuer: es quelz ie puisse laisser mes heritaiges & acquetz, (i'en feray de beaulx un de ces matins, n'en doubtez, & d'abondant seray grand retireur de rantes) avecques les quelz ie me puisse esbaudir, quand d'ailleurs serois meshaigné, comme ie voys iournellement vostre tant bening & debonnaire père faire avecques vous, & font tout gens de bien en leur serail & privé. Car quite estant, marié non estant, estant par accident fasché, en lieu de me consoler, advis m'est que de mon mal riez.

Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

 

Comment Pantagruel remonstre Panurge difficile chose estre

le conseil de mariage, & des sors Homeriques & Virgilianes.

 

Chapitre X.

Vostre conseil (dist Panurge) semble à la chanson de Ricochet: Ce ne sont que sarcasmes, mocqueries, & redictes contradictoires. Les unes destruisent les aultres. Ie ne sçay es quelles me tenir.

Aussi (respondit Pantagruel) en vos propositions tant y a de Si, & de Mais, que ie n'y sçaurois rien fonder ne rien resouldre. N'estez vous asceuré de vostre vouloir? Le poinct principal y gist: tout le reste est fortuit & dependent des fatales dispositions du Ciel. Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à ceste rencontre, qu'en leur mariage, semble reluire quelque Idée & repraesentation des ioyes de paradis. Aultres y sont tant malheureux, que les Diables qui tentent les Hermites par les desers de Thebaide & Monserrat, ne le sont d'adventaige. Il se y convient mettre à l'adventure, les oeilz bandez, baissant la teste, baisant la terre, & se recommandant à Dieu au demourant, puys qu'une foys l'on se y veult mettre. Aultre asceurance ne vous en sçauroys ie donner.

Or voyez cy que vous ferez, si bon vous semble. Aportez moy les oeuvres de Virgile, & par troys foys avecques l'ongle les ouvrant, explorerons par les vers du nombre entre nous convenu, le sort futur de vostre mariage. Car comme par sors Homericques souvent on a rencontré sa destinée, tesmoing Socrates, lequel oyant en prison reciter ce metre de Homère dict de Achille 9. Iliad.

H m ati ken tritatw Fq ih n epibwlon ikoimh n.

Ie parviendray sans faire long seiour,

En Phthie belle & fertile, au tiers iour,

praeveid qu'il mourroit le tiers subsequent iour, & le asceura à Aeschines: comme escripvent Plato in Critone, Ciceron primo de divinatione, & Diogenes Laertius. Tesmoing Opilius Macrinus au quel convoitant sçavoir s'il seroit Empereur de Rome advint en sort ceste sentence 8. Iliad.

W geron, h mala dh se neoi teirousi machtai,

Sh de bih lelutai, calepon de se ghras opazei...

O home vieulx, les soubdars desormais

Ieunes & fors te lassent certes, mais

Ta vigueur est resolue, & vieillesse

Dure & moleste accourt & trop te preste.

De faict il estoit ià vieulx, & ayant obtenu l'Empire seulement un an & deux mois, feut par Heliogabalus ieune & puissant deposedé & occis. Tesmoing Brutus, lequel voulant explorer le sort de la bataille Pharsalicque, en laquelle il fut occis, rencontra ce vers dict de Patroclus, Iliad. 16.

Alla me moir oloh kai LhtouV ektanen uioV .

Par mal engroin de la Parce felonne

Ie feuz occis, & du filz de Latonne.

C'est Apollo, qui feut pour mot du guet le iour d'icelle bataille. Aussi par sors Virgilianes ont esté congneues anciennement & preveues choses insignes, & cas de grande importance: voire iusques à obtenir l'empire Romain, comme advint à Alexandre Sevère, qui rencontra en ceste manière de sort ce vers escript, Aeneid. 6.

Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Romain enfant quand viendras à l'Empire,

Regiz le monde en sorte qu'il n'empire.

Puys feut après certaines années realement & de faict créé Empereur de Rome. En Adrian empereur Romain, lequel estant en doubte & poine de sçavoir quelle opinion de luy avoit Traian, & quelle affection il luy portoit, print advis par sors Virgilianes, & rencontra ces vers, Aeneid. 6.

Quid procul ille autem ramis insignis oliuoe

Sacra ferens? nosco crines, incanaque menta

Regis Romani.

Qui est cestuy qui là loing en sa main,

Porte rameaulx d'olive, illustrement?

A son gris poil & sacré acoustrement,

Ie recongnois l'antique Roy Romain.

Puys feut adopté de Traian, & luy succeda à l'Empire.

En Claude second empereur de Rome bien loué: au quel advint par sort ce vers escript. 6. Aeneid.

Tertia dum Latio regnantem viderit oestas

Lors que t'aura regnant manifesté

En Rome & veu tel le troiziesme aesté.

de faict il ne regna que deux ans. A icelluy mesmes s'enquerant de son frère Quintel, lequel il vouloit prendre au gouvernement de l'Empire, advint ce vers. 6. Aeneid.

Ostendent terris hunc tantum fata.

Les destins seulement le monstreront es terres.

Laquelle chose advint. Car il feut occis dix & sept iours après qu'il eut le maniment de l'Empire. Ce mesmes sort escheut à l'empereur Gordian le ieune. A Clode Albin soucieux d'entendre sa bonne adventure advint ce qu'est escript. Aeneid. 6.

Hic rem Romagnam magno turbante tumultu

Sistet eques, etc.

Ce chevallier grand tumulte advenent,

L'estat Romain sera entretenent

Des Cartagiens victoires aura belles:

Et des Gaulois, s'ilz se montrent rebelles.

En D. Claude empereur predecesseur de Aurelian, auquel se guementant de sa posterité, advint ce vers en sort. Aeneid. 1.

His ego nec metas rerum, nec tempora pono.

Longue durée à ceulx cy ie pretends,

Et à leurs biens ne metz borne ne temps.

Aussi eut il successeurs en longues genealogies.

En M. Pierre Amy: quand il explora pour sçavoir s'il eschapperoit de l'embusche des Farfadetz, & rencontra ce vers, Aeneid. 3.

Heu fuge crudeles terras, fuge littus avarum.

Laisse soubdain ces nations Barbares,

Laisse soubdain ces rivages avares.

Puys eschappa de leurs mains sain & saulve. Mille aultres, des quelz trop prolix seroit narrer les adventures advenues scelon la sentence du vers par tel sort rencontra. Ie ne veulx toutesfoys inferer, que ce sort universellement soit infaillible, affin que ne y soyez abusé.

 

Comment Pantagruel remonstre le sort des dez estre illicite.

 

Chapitre XI.

Ce seroit (dis Panurge) plus toult faict & expedié à troys beaulx dez. Non, respondit Pantagruel. Ce sort est abusif, illicite, & grandement scandaleux. Iamais ne vous y fiez. Le mauldict livre du passetemps des dez feut longtemps a inventé par le calumniateur ennemy en Achaïe près Boure: & davant la statue de Hercules Bouraïque y faisoit iadis, de praesent en plusieurs lieux faict, maintes simples ames errer, & en ses lacz tomber. Vous sçavez comment Gargantua mon père par tous ses royaulmes a defendu, bruslé avecques les moules & protraictz, & du tout exterminé, supprimé & aboly, comme peste tresdangereuse. Ce que des dez ie vous ay dict, ie diz semblablement des tales. C'est sort de pareil abus. Et ne m'alleguez pas au contraire le fortuné iect des tales que feit Tibère dedans la fontaine de Apone à l'oracle de Gerion. Ce sont hamessons par les quelz le calumniateur tire les simples ames à perdition eternelle. Pour toutesfoys vous satisfaire, bien suys d'advis que iectez troys des dez sus ceste table. Au nombre des poinctz advenens nous prendrons les vers du feuillet que aurez ouvert. Avez vous icy dez en bourse?

Pleine gibessière, respondit Panurge. C'est le verd du Diable, comme expose Merl. Coccaius, libro secundo de patria Diabolorum. Le Diable me prendroit sans verd, s'il me rencontroit sans dez.

Les dez feurent tirez & iectez, & tomèrent es poinctz de cinq, six, cinq.

Ce sont, dist Panurge, sèze. Prenons les vers sezièmes du feueillet. Le nombre me plaist. & croy que nos rencontres seront heureuses. Ie me donne à travers tous les Diables, comme un coup de boulle à travers un ieu de quilles, ou comme un coup de canon à travers un bataillon de gens de pied: guare Diables qui vouldra, en cas que autant de foys ie ne belute ma femme future la première nuyct de mes nopces.

Ie ne en fays doubte, respondit Pantagruel, ià besoing n'estoit en faire si horrificque devotion. La première foys sera une faulte, & vauldra quinze: au desiucher vous l'amenderez: par ce moyen seront sèze.

Et ainsi (dict Panurge) l'entendez? Oncques ne feut faict soloecisme par le vaillant champion, qui pour moy faict sentinelle au bas ventre. Me avez vous trouvé en la confrerie des faultiers? Iamais, iamais, au grand fin iamais. Ie le fays en père & en beat père sans faulte. I'en demande aux ioueurs.

Ces parolles achevées feurent aportez les oeuvres de Virgile. Avant les ouvrir, Panurge dist à Pantagruel. Le coeur me bat dedans le corps comme une mitaine. Touchez un peu mon pouls en ceste artère du bras guausche. A la frequence & elevation vous diriez qu'on me pelaude en tentative de Sorbonne. Seriez vous poinct d'advis, avant proceder oultre, que invocquions Hercules, & les déesses Tenites, les quelles on dict praesider en la chambre des Sors?

Ne l'un (respondit Pantagruel) ne les aultres. Ouvrez seulement avecques l'ongle.

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Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes, quel sera le mariage de Panurge.

 

Chapitre XII.

Doncques ouvrant Panurge le livre, rencontra on ranc sezième ce vers.

Nec Deux hunc mensa, Dea nec dignata cubili est.

Digne ne feut d'estre en table du Dieu,

Et n'eut on lict de la Déesse lieu.

Cestuy (dist Pantagruel) n'est à vostre adventaige. Il denote que vostre femme sera ribaulde, vous coqu par consequent. La Déesse que aurez favorable, est Minerve vierge trsredubtée, Déesse puissante, fouldroiante, ennemie des coquz, des muguetz, des adultères: ennemie des femmes lubricques, non tenentes la foy promise à leurs mariz, & à aultruy soy abandonnantes. Le Dieu est Iuppiter tonnant, & fouldroyant des cieulx. Et noterez par la doctrine des anciens Ethrusques, que les manubies (ainsi appeloient ilz les iectz des fouldres Vulcanicques) competent à elles seuleseulement: exemple de ce feut donné en la conflagration des navires de Aiax Oileus, & à Iuppiter son père capital. A aultres dieux Olympicques n'est licite fouldroier. Pourtant ne sont ilz tant redoubtez des humains. Plus vous diray. & le prendrez comme extraict de haulte mythologie. Quand les Geantz entreprindrent guerre contre les Dieux: les Dieux au commencement se mocquèrent de telz ennemis, & disoient qu'il n'y en avoit pas pour leurs pages. Mais quand ilz veirent par le labeur des Geantz le mons Pelion possé dessus le mont Osse, & ià esbranlé le mons Olympe pour estre mis au dessus des deux, feurent tous effrayez. Adoncques tint Iuppiter chapitre general. Là feut conclud de tous les Dieux, qu'ilz se mettroient vertueusement en defence. Et pource qu'ilz avoient plusieurs foys veu les batailles perdues par l'empeschement des femmes qui estoient parmy les armées, feut decreté, que pour l'heure on chasseroit des cieulx en aegypte & vers les confins du Nil, toute ceste vessaille des Déesses desguisées en Beletes, Fouines, Ratepenades, Museraignes, & aultres Metamorphoses. Seule Minerve feut de retenue pour fouldroier avecques Iuppiter, comme Déesse des lettres & de guerre, de conseil & execution: Déesse née armée, Déesse redoubtée on ciel, en l'air, en la mer, & en terre.

Ventre guoy (dist Panurge) seroys ie bien Vulcan, duquel parle le poëte? Non. Ie ne suys ne boiteux, ne faulx monnoieur, ne forgeron, comme il estoit. Par adventure ma feme sera aussi belle & advenente comme sa Venus: mais non ribaulde comme elle: ne moy coqu comme luy. Le villain iambe torte se feist declairer coqu par arrest & en veute figure de tous les Dieux. Pource entendez au rebours. Ce sort denote que ma femme sera preude, pudicque, & loyalle, non mie armée, rebousse, ne ecervelée & extraicte de cervelle, comme Pallas: & ne me sera corrival ce beau Iuppin, & ià ne saulsaulsera son pain en ma souppe, quand ensemble serions à table. Considerez ses gestes & beaulx faictz. Il a esté le plus fort ruffien, & plus infame cor, ie diz Bordelier, qui oncques feut: paillard tousiours comme un verrat: aussi feut il nourry par une Truie en Dicte de Candie, si Agathocles Babylonien ne ment: & plus boucquin que n'est un Boucq: aussi disent les autres, qu'il feut alaicté d'une chèvre Amalthée. Vertus de Acheron il belibelina pour un iour la tierce partie du monde, bestes & gens, fleuves, & montaignes: ce feut Europe. Pour cestuy belinaige les Ammoniens le faisoient protraire en figure de belier belinant, belier cornu. Mais ie sçay comment guarder se fault de ce cornart. Croyez qu'il n'aura trouvé un sot Amphitrion, un niais Argus avecques ses cent bezicles: un couart Acrisius, un lanternier Lycus de Thebes, un resveur Agenor, un Asope phlegmaticq, un Lychaon patepelue, un modourre Corytus de la Toscane, un Atlas à la grande eschine. Il pourroit cent & cent foys se transformer en Cycne, en Taureau, en Satyre, en Or, en Coqu, comme feist quand il depucella Iuno sa soeur: en AIgle, en Belier, en Pigeon, comme feist estant amoureux de la pucelle Phtie, laquelle demouroit en aegie: en Feu, en Serpent, voire certes en Pusse, en Atomes Epicureicques, ou magistrostralement en secondes intenintentions. Ie vous grupperay au cruc. Et sçavez que luy feray? Cor bien ce que feist Saturne au Ciel son père. Senecque l'a de moy predict, & Lactance confirmé. Ce que Rhea feist à Athys. Ie vous luy coupperay les couillons tout rasibus du cul. Il ne s'en fauldra un pelet. Par ceste raison ne fera il iamais Pape, car testiculos non habet.

Tout beau fillol (dist Pantagruel) tout beau. Ouvrez pour la seconde foys.

Lors rencontra ce vers.

Membra quatit, gelidusque coït sormidine sanguis.

Les os luy rompt, & les membres luy casse,

Dont de la paour le sang on corps luy glasse.

Il denote (dist Pantagruel) qu'elle vous battera dos & ventre.

Au rebours (repondist Panurge) C'est de moy qu'il prognosticque, & dict, que ie la batteray en Tigre si elle me fasche. Martin baston en fera l'office. En faulte de baston, le Diable me mange, si ie ne la mangeroys toute vive: comme la sienne mangea Cambles roy des Lydiens.

Vous estez (dist Pantagruel) bien couraigeux. Hercules ne vous combatteroit en ceste fureur: mais c'est ce que l'on dict, que le Ian en vault deux. & Hercules seul n'auza contre deux combattre.

Ie suis Ian? dist Panurge.

Rien, rien, repondist Pantagruel. Ie pensois au ieu de l'ourche & tricquerac.

Au tiers coup rencontra ce vers.

Foemino praedat et spoliorum ardebat amore.

Brusloit d'ardeur en feminin usaige

De butiner, & robber le baguaige.

Il denote (dist Pantagruel) qu'elle vous desrobera. Et ie vous voy bien en poinct, scelon ces troys sors. Vous serez coqu, vous serez batu, vous serez desrobé.

Au rebours, (repondist Panurge) ce vers denote, qu'elle m'aymera d'amour perfaict. Oncques n'en mentit le Satyricque, quand il dist: que femme bruslant d'amour supreme, prent quelquefoys plaisir à desrobber son amy. Sçavez quoy? Un guand, une aiguillette, pour la faire chercher. Peu de chose, rien d'importance. Pareillement ces petites noisettes, ces riottes qui par certain temps sourdent entre les amans, sont nouveaulx refraischissemens, & aiguillons d'amour. Comme nous voyons par exemple les coustelleurs leurs coz quelque foys marteler, pour mieulx aiguiser les ferferremens. C'est pourquoy ie prens ces troys sors à mon grand advantaige. Aultrement i'en appelle.

Appeller (dist Pantagruel) iamais on ne peult des iugemens decidez par Sort & Fortune, comme attestent nos antiques Iurisconsultes: & le dict Balde. L. vlt. C. de leg. La raison est: pource que Fortune ne recongnoist poinct de superieur, auquel d'elle & de ses sors on puisse appeller. Et ne peult en ce cas le mineur estre en son entier restitué, comme apartement il dict in L. Ait praetor.§.ult.ff.de minor.

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Comment Pantagruel conseille Panurge prevoir l'heur ou le malheur de son mariage par songes.

 

Chapitre XIII.

Or puys que ne convenons ensemble en l'exposition des sors Virgilianes, prenons aultre voye de divination. Quelle? (demanda Panurge), Bonne, (respondit Pantagruel) antique, & authenticque, c'est par songes. Car en songeant avecques conditions les quelles descripvent Hippocrates lib., Peri enupniwn, Platon, Plotin, Iamblicque, Synesius, Aristoteles, Xenophon, Galen, Plutarche, Artemidorus Daldianus, Herophilus, Q. Calaber, Theocrite, Pline, Atheneus, et aultres, l'ame souvent prevoit les choses futures. Ià n'est besoing plus au long vous le prouver. Vous l'entendez par exemple vulguaire, quand vous voyez lors que les enfans bien nettiz, bien repeuz, & alaictez, dorment profondement, les nourrices s'en aller esbattre en liberté, comme pour icelle heure licentiées à faire ce que vouldront, car leur presence autour du bers sembleroit inutile. En ceste façon nostre ame lors que le corps dort, & que la concoction est de tous endroictz parachevée, rien plus n'y estant necessaire iusques au reveil, s'esbat & reveoit sa patrie, qui est le ciel. De là reçeoit participation insigne de sa prime & divine origine, & en contemplation de ceste infinie & intellectuale sphaere, le centre de laquelle est en chascun lieu de l'univers, la circunference poinct (c'est Dieu scelon la doctrine de Hermes trismegistus) à laquelle rien ne advient, rien ne passe, rien ne dechet, tous temps sont praesens: note non seulement les choses passées en mouvement inferieurs, mais aussi les futures: & les raportent à son corps, & par les sens & organes d'icelluy les exposant aux amis, est dicte vaticinatrice & prophète. Vray est qu'elle ne les raporte en telle syncerité, comme les avoit veues, obstant l'imperfection & fragilité de sens corporelz: comme la Lune recevant du Soleil sa lumière, ne nous la communicque telle, tant lucide, tant pure, tant vive & ardente comme l'avoit receue. Pourtant reste à ces vaticinations somniales interprète, qui soit dextre, saige, industrieux, expert, rational, & absolu Onirocrite, & Oniropole, ainsi sont appelez des Graecs. C'est pourquoy Heraclitus disoit rien par songe ne nous estre exposé, rien aussi ne nous estre celé: seulement nous estre donnée sigfnification & indice des choses advenir ou pour l'heur & malheur nostre, ou pour l'heur & malheur d'aultruy. Les sacres letres le tesmoignent, les histoires prophanes l'asceurent: nous exposant mille cas advenuz scelon les songes tant de la persone songeante, que d'aultruy pareillement. Les Atlanticques & ceulx qui habitent en l'isle de Thasos l'une des Cyclades, sont privez de ceste commodité, on pays desquelz iamais persone ne songea. Aussi feurent Cleon de Daulie, Thrasymedes, & de nostre temps le docte Villanovanus François, les quelz oncques ne songèrent. Demain doncques sus l'heure que la ioyeuse Aurore aux doigtz rosatz dechassera les tenèbres nocturnes, adonnez vous à songer parfondement. Ce pendent despouillez vous de toute affection humaine: d'amour, de haine, d'espoir, & de craincte. Car comme iadis le grand vaticinateur Proteus estant desguisé & transformé en feu, en eau, en tigre, en dracon, & aultres masques estranges ne praedisoit les choses advenir: pour les praedire force estoit, qu'il feust restitué en sa propre & naifve forme: aussi ne peult l'home recepvoir divinité, & art de vaticiner, sinon lors que la partie qui en luy plus est divine (c'est N o u V & Mens) soit coye, tranquille, paisible, non occupée ne distraicte par raisons & affections foraines.

Ie le veulx, dist Panurge. Fauldra il peu ou beaucoup soupper à ce soir? Ie ne le demande sans cause. Car si bien & largement ie ne souppe, ie ne dors rien qui vaille, la nuict ne foys que ravasser, & autant songe creux que pour lors restoit mon ventre.

Poinct soupper (respondit Pantagruel) seroit le meilleur, attendu vostre bon en poinct & habitude. Amphiarus vaticinateur antique vouloit ceulx qui par songes recepvoient les oracles, rien tout celluy iour ne manger, & vin ne boyre troys iours davant. Nous ne userons de tant extreme, & rigoureuse diaete. Bien croy ie l'homme replet de viandes & crapule, difficilement concepvoir notice des choses spirituelles: ne suys toutesfoys en l'opinion de ceulx qui après longs & obstinez ieusnes cuydent plus avant entrer en contemplation des choses celestes. Souvenir assez vous peut comment Gargantua mon père (lequel par honneur ie nomme) nous a souvent dict, les escriptz de ces hermites ieusneurs autant estre fades, ieiunes, & de maulvaise salive, comme estoient leurs corps lors qu'ilz composoient: & difficile chose estre, bons & serains rester les espritz, estant le corps en inanition: veu que les Philosophes & Medicins afferment les espritz animaulx sourdre, naistre, & practiquer par le sang arterial purifié & affiné à perfection dedans le retz admirable, qui gist soubs les ventricules du cercerveau. Nous baillans exemple d'un Philosophe, qui en solitude pensant estre, & hors la tourbe pour mieulx commenter, discourir, & composer: ce pendent toutesfoys au tour de luy abayent les chiens, ullent les loups, rugient les Lyons, hannissent les chevaulx, barrient les elephans, siflent les serpens, braislent les asnes, sonnent les cigalles, lamentent les tourterelles: c'est à dire plus estoit troublé, que s'il feust à la foyre de Fontenay, ou Niort: car la faim estoit on corps: pour à laquelle remedier, abaye l'estomach, la veue esblouit, les vènes sugcent de la propre substance des membres carniformes: & retirent en bas cestuy esprit vaguabond, negligent du traictement de son nourrisson & hoste naturel, qui est le corps: comme si l'oizeau sus le poing estant, vouloit en l'aër son vol prendre, & incontinent par les longes seroit plus bas deprimé. Et à ce propous nous alleguant l'auctorité de Homère père de toute Philosophie, qui dict les Gregeoys lors, non plus tost, avoir mis à leurs larmes fin du dueil de Patroclus le grand amy de Achilles, quand la faim se declaira, & leurs ventres protestèrent plus de larmes ne les fournir. Car en corps exinaniz par long ieusne plus n'estoit de quoy pleurer & larmoier. Mediocrité est en tous cas louée: & icy la maintiendrez. Vous mangerez à soupper non febves, non lièvres, ne aultre chair, non Poulpre (qu'on nomme Polype) non choulx, ne aultres viandes qui peussent vos espritz animaulx troubler & obfusquer. Car comme le mirouoir ne peult repraesenter les simulachres des choses obiectées & à luy exposées, si sa polissure est par halaines ou temps nubileux obfusquée, aussi l'esprit ne recevoit les formes de divination par songes, si le corps est inquieté & troublé par les vapeurs & fumées des viandes praecedentes, à cause de la sympathie, laquelle est entre eulx deux indissoluble. Vous mangerez bonnes poyres Crustumenies, & Berguamotes, une pome de Court pendu, quelques pruneaulx de Tours, quelques Cerizes de mon verger. Et ne sera pourquoy doibvez craindre que vos songes en proviennent doubteux, fallaces, ou suspectz, comme les ont declairez aulcuns Peripateticques on temps de Automne: lors sçavoir est que les humains plus copieusement usent de fructaiges qu'en aultre saison. Ce que les anciens prophètes & poëtes mysticquement nous enseignent, disans les vains & fallacieux songes gesir & estre cachez soubs les feuilles cheutes en terre. Par ce qu'en Automne les feuilles tombent des arbres. Car ceste ferveur naturelle laquelle abonde es fruictz nouveaulx, & laquelle par son ebullition facillement evapore es parties animales (comme nous voyons faire le moult) est long temps a, expirée & resolue. Et boyrez belle eau de ma fontaine.

La condition (dist Panurge) est quelque peu dure. Ie y consens toutesfois. Couste & vaille. Protestant desieuner demain à bonne heure, incontinent après mes songeailles. Au surplus ie me recommende aux deux portes de Homère, Morpheus, à Icelon, à Phantasus & Phabetor. Si au besoing ilz me secourent, ie leurs erigeray un autel ioyeux tout composé de fin dumet. Si en Laconie i'estois dedans le exemple de Iuno entre Octyle & Thalames, par elle seroit par perplexité resolue en dormant à beaulx & ioyeulx songes. Puys demanda à Pantagruel. Seroit ce poinct bien faict si ie mettoys dessoubs mon coissin quelques branches de Laurier.

Il n'est (respondit Pantagruel) ià besoing. C'est chose superstitieuse: & n'est que abus ce qu'en escript Serapion Ascalonites, Antiphon, Philochorus, Artemon, & Fulgentius Placiades. Autant vous en diroys ie de l'espaule guausche du Crocodile & du Chameleon, sauf l'honneur du vieulx Democrite. Autant de la pierre des Bactrians nommée Eumetrides. Autant de la corne de Hammon. Ainsi nomment les Aethiopiens une pierre precieuse à couleur d'or & forme d'une corne de belier, comme est la corne de Iuppiter Hammonien: affirmans autant estre vrays & infallibles les songes de ceulx qui la portent, que sont les oracles divins. Par adventure est ce que escripvent Homère & Virgile des deux portes de songe, es quelles vous estes recommendé. L'une est de Ivoyre, par laquelle entrent les songes confus, fallaces, & incertains, comme à travers l'ivoire, tant soit deliée que voulvouldrez, possible n'est rien veoir: sa densité & opacité empesche la penepenetration des espritz visifz & reception des espèces visibles. L'aultre est de corne, par laquelle entrent les songes certains, vrays, & infallibles, comme à travers la corne par sa resplendeur & diaphaneité apparoissent toutes espèces certainement & distinctement.

Vous voulez inferer (dist frère Ian) que les songes des coquz cornuz, comme sera Panurge, Dieu aydant & la femme son tousiours vrays & infallibles.

 

Le songe de Panurge & interpretation d'icelluy.

 

Chapitre XIIII.

Sus les sept heures du matin subsequent Panurge se praesenta davant Pantagruel, estans en la chambre Epistemon, frère Ian des entommeures, Ponocrates, Eudemon, Carpalim, & aultres: es quelz à la venue de Panurge dist Pantagruel. Voyez cy nostre songeur.

Ceste parolle, dict Epistemon, iadis cousta bon, & feut cherement vendue es enfans de Iacob.

Adoncques dist Panurge, i'en suys bien ches Guillot le songeur. I'ay songé tant & plus, mais ie n'y entends note. Exceptez que par mes songeries i'avoys une femme ieune, gualante, belle en perfection: laquelle me traitoit & entretenoit mignonnement, comme un petit dorelot. Iamais home ne feut plus aise, ne plus ioyeux. Elle me flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit, me testonnoit, me baisoit, me accolloit, & par esbattement me faisoit deux belles petites cornes au dessus du front. Ie luy remonstroys en folliant qu'elle me les debvoit mettre au dessoubz des oeilz, pour mieulx veoir ce que i'en vouldroys ferir: affin que Momus ne trouvast en elle chose aulcune imperfaicte, & digne de correction, comme il feist en position des cornes bovines. La follastre non obstant ma remonstrance me les fischoyt encore plus avant. Et en ce ne me faisoit mal quiconques, qui est cas admirable. Peu après me sembla que ie feuz ne sçay comment transformé en tabourin, & elle en Chouette. Là feut mon sommeil interrompu, & en sursault me resveiglay tout fasché, perplex, & indigné. Voyez là une belle platelée de songes, faictez grand chère là dessus. Et l'exposez comme l'entendez. Allons desieuner Carpalim.

I'entends (dist Pantagruel) si i'ay iugement aulcun en l'art de divination par songes, que vostre femme ne vous fera realement & en apparence exterieure cornes au front, comme portent les Satyres: mais elle ne vous tiendra foy ne loyauté coniugale, ains à aultruy se abandonnera, & vous fera coqu. Cestuy poinct est apertement exposé par Artemidorus comme le diz. Aussi ne vous sera de vous faicte metamorphose en tabourin, mais d'elle vous serez battu comme tabour à nopces: ne d'elle en Chouette: mais elle vous desrobbera, comme est le naturel de la chouette. Et voyez vos songes conformes es sors Virgilianes. Vous serez coqu: vous serez battu: vous serez desrobbé.

Là s'escria frère Ian, & dist. Il dict par Dieu vray, tu seras coqu home de bien, ie t'en asceure: tu auras belles cornes. Hay, hay, hay, nostre maistre de cornibus, Dieu te guard, faiz no' deux motz de praedication, & ie feray la queste parmy la paroece.

Au rebours (dist Panurge) mon songe presagist qu'en mon mariage, i'auray planté de tous biens, avecques la corne d'abondance. Vous dictez que seront cornes de Satyres. Amen, amen, fiat, fiatur, ad differentia pape. Ainsi auroys ie eternellement le virolet en poinct & infatiguable, comme l'ont les Satyres. Chose que tous desirent, & peu de gens l'impètrent des cieulx. Par consequent, coqu iamais, car faulte de ce est cause sans laquelle non, cause unicque, de faire les mariz coquz. Qui faict les coquins mandier? C'est qu'ilz n'ont en leurs maisons de quoy leur sac emplir. Qui faict le loup sortir du bois? Default de carnage. Qui faict les femmes ribauldes? Vous m'entendez assez. I'en demande à messieurs les clers, à messieurs les presidens, conseillers, advocatz, proculteurs & aultres glossateurs de la venerable rubricque de frigidis et maleficiatis.

Vous (pardonnez moy si ie mesprens) me semblez evidemment errer interpretant cornes pour cocuage. Diane les porte en teste à forme de beau croissant. Est elle coqüe pourtant? Comment diable seroyt elle coqüe, qui ne feut oncques mariée? Parlez de grace correct, craignant qu'elle vous en face au patron que feist à Acteon. Le bon Bacchus porte cornes semblablement: Pan: Iuppiter Ammonien, tant d'aultres. Sont ilz coquz? Iuno seroit elle putain? Car il s'ensuyvroyt par la figure dicte Metalepsis. Comme appelant un enfant en praesence de père & mère, champis ou avoistre, c'est honnestement, tacitement dire le père coqu, & sa femme ribaulde. Parlons mieulx. Les cornes que me faisoit ma femme sont cornes d'abondance, & planté de tous biens. Ie le vous affie. Au demourant ie seray ioyeulx comme un tabour à nopces, tousiours sonnant, tousiours ronflant, tousiours bourdonnant & petant. Croyez que c'est l'heur de mon bien. Ma femme sera coincte & iolie: comme une belle petite Chouette. Qui ne le croid, d'enfer aille au gibbet. Noël nouvelet.

Ie note (dist Pantagruel) le poinct dernier que avez dict, & le confère avecques le premier. Au commencement vous estiez tout confict en delices de vostre songe. En fin vous esveiglastez en sursault fasché, perplex & indigné. (Voire, dist Panurge, car ie n'avoys poinct dipné) Tout ira en desolation, ie le prevoy. Sçaichez pour vray, que tout sommeil finissant en sursault, & laissant la personne faschée & indignée, ou mal signifie, ou mal praesagist. Mal signifie, c'est à dire maladie cacoethe, maligne, pestilente, oculte, & latente dedans le centre du corps. Laquelle par sommeil, qui tousiours renforce la vertu concoctrice (scelon les theoremes de medicine) commenceroit soy declairer, & mouvoir vers la superficie. Au quel triste mouvement seroyt le repous dissolu, & le premier sensitif admonnesté de y compatir & pourveoir. Comme en proverbe l'on dict, irriter les freslons, mouvoir la Camarine, esveigler le chat qui dort. Mal praesagist, c'est à dire, quant au faict de l'alme en matière de divination somnialle, nous donne entendre que quelque malheur y est destiné & preparé, lequel de brief sortira en son effect. Exemple on songe & resveil espovantaespovantable de Hecuba. On songe de Eurydice femme de Orpheus, lequel parparfaict, les dict Ennius s'estre esveiglées en sursault & espovantées. Aussi après veid Hecuba son mary Priam, ses enfans, sa patrie occis & desdestruictz: Eurydice bien tost Aeneas songeant qu'il parloit à Hector defunct: soubdain en sursault s'esveiglant. Aussi feut celle propre nuict Troie sacagée & bruslée. Aultre foys songeant qu'il veoyt ses dieux famifamiliers & Penates, & en espouvantement s'esveiglant, patit au subsequent iour horrible tormente sus mer. En Turnus, lequel estant incité par vision phantasticque de la furie infernale à commencer guerre contre aeneas, s'esveigla en sursault tout indigné: puis feut après longues desolations occis par icelluy Aeneas. Mille aultres. Quand ie vous compte de Aeneas, notez que Fabius pictor dict rien par luy n'avoir esté faict ne entreprins, rien ne luy estre advenu, que preallablement il n'eust congneu & praeveu par divination somniale. Raison ne default es exemples. Car si le sommeil & repous est don & benefice special des Dieux, comme maintiennent les philosophilosophes, & atteste le poète disant.

Lors l'heure estoit, que sommeil, don des Cieulx,

Vient aux humains fatiguez, gracieux.

Tel don en fascherie & indignation ne peut estre terminé, sans grande infelicité praetendue. Aultrement seroit repous non repous: don non don: Non des dieux amis provenent, mais des diables ennemis, iouxte le mot vulgaire: ec q rwn adwra dwra. Comme si le perefamile estant à table opulente, en bon appetit, au commencement de son repas, on voyoit en sursault espoventé soy lever. Qui n'en sçauroit la cause s'en pourroit esbahir. Mais quoy? il avoit ouy ses serviteurs crier au feu: ses servantes crier au larron: ses enfans crier au meurtre. Là failloit le repas laissé accourir, pour y remedier, & donner ordre. Vrayment ie me recorde, que les Caballistes & Massoreths interprètes des sacres letres, exposans en quoy l'on pourroit par discretion congnoistre la verité des apparitions angelicques (car souvent l'Ange de Sathan se transfigure en Ange de lumière) disent la difference de ces deux estres en ce, que l'Ange bening & consolateur apparoissant à l'homme, l'espovante au commencement, le console en la fin, le rend content & satisfaict: l'Ange maling & seducteur au commencement resiouist l'home, en fin le laisse perturbé, fasché, & perplex.

 

Excuse de Panurge & exposition de Caballe monasticque en matière de beuf sallé.

 

Chapitre XV.

Dieu (dist Panurge) guard de mal qui void bien & n'oyt goutte. Ie vous voy tresbien, mais ie ne vous oy poinct. Et ne sçay que vous dictez. Le ventre affamé n'a poinct d'aureilles. Ie brame par Dieu de mal rage de faim. I'ay faict courvée trop extraordinaire. Il sera plus que maistre mousche, qui de cestuy an me fera estre de songeailles. Ne souper poinct de par le Diable? Cancre. Allons frère Ian desieuner. Quand i'ay bien à poinct desieuné, & mon estomach est bien à poinct assené & agrené, encores pour un besoing & en cas de necessité me passeroyz ie de dipner. Mais ne soupper poinct? Cancre. C'est erreur. C'est scandale en nature. Nature a faict le iour pour soy exercer, pour travailler, & vacquer chascun en sa neguociation: & pour ce plus aptement faire, elle nous fournist de chandelle, c'est la claire & ioyeuse lumière du Soleil. Au soir elle commence nous la tollir: & nous dict tacitement. Enfans vous estez gens de bien. C'est assez travaillé. La nuyct vient: il convient cesser du labeur: & soy restaurer par bon pain, bon vin, bonnes viandes: puys soy quelque peu esbaudir, coucher, & reposer, pour au lendemain estre frays & alaigres au labeur comme davant. Ainsi font les Faulconniers quand ilz ont peu leurs oizeaulx, ilz ne les font voler sus leurs guorges: ilz les laissent enduire sus la perche. Ce que tresbien entendit le bon Pape premier instituteur des ieusnes. Il ordona qu'on ieusnast iusques à l'heure de Nones, le reste du iour feut mis en liberté de repaistre. On temps iadis peu de gens dipnoient, comme vous diriez les moines & chanoines, aussi bien n'ont ilz autre occupation, tous les iours leurs sont festes: & observent diligemment un proverbe claustral, de missa ad mensam: & ne differeroient seulement attendans la venue de l'Abbé, pour soy enfourner à table: là en baufrant attendent les moines l'Abbé, tant qu'il vouldra, non aultrement ne en aultre condition: mais tout le monde souppoit, exceptez quelques resveurs songears, dont est dicte la cène comme coene, c'est à dire à tous commune. Tu le sçaiz bien frère Ian. Allons mon amy de par tous les Diables allons. Mon estomach abboye de male faim comme un Chien. Iectons luy force souppes en gueule pour l'appaiser: à l'exemple de la Sibylle envers Cerberus. Tu aymes les souppes de prime: plus me plaisent les souppes de Levrier, associées de quelque pièce de laboureur sallé à neuf leçons.

Ie te entends (respondit frère Ian). Ceste metaphore est extraicte de la marmite claustrale. Le laboureur c'est le beuf, qui laboure ou a labouré: à neuf leçons, c'est à dire cuyt à perfection. Car les bons pères de religion par certaine Caballisticque institution des anciens, non escripte, mais baillée de main en main soy levans, de mon temps, pour matines, faisoient certains preambules notables avant entrer en l'eclise. Fiantoient aux fiantoirs, pissoient aux pissouoirs, crachoient aux crachoirs, toussoient aux toussoirs melodieusement, resvoient aux resvoirs, affin de rien immonde ne porter au service divin. Ces choses faictes, devotement se transportoient en la saincte Chapelle (ainsi estoit en leurs Rebus nommée la cuisine claustrale) & devotement sollicitoient que dès lors feust au feu le beuf mis pour le desieuner des religieux frères de nostre seigneur. Eulx mesmes souvent allumoient le feu soubs la marmite. Or est que matines ayant neuf leçons, plus matin se levoient par raison. Plus aussi multiplioient en appetit & alteration aux abboys du parchemin: que matines estantes ourlées d'une, ou trois leçons seulement. Plus matin se levans, par la dicte Caballe, plus tost estoit le beuf au feu: plus y estant, plus cuict restoit: plus cuict restant, plus tendre estoit, moins usoit les dens, plus delectoit le palat: moins grevoit le stomach, plus nourrissoit les bons religieux. Qui est la fin unicque & intention première des fondateurs: en contemplation de ce qu'ilz ne mangent mie pour vivre, ils vivent pour manger, & ne ont que leur vie en ce monde. Allons Panurge.

A ceste heure (dist Panurge) te ay ie entendu couillon velouté, couillon claustral & Cabalicque. Il me y va du propre cabal. Ie me contente des despens: puys que tant disertement nous as faict repetition sus le chapitre singulier de la Caballe culinaire & monasticque. Allons Carpalim. Frère Ian mon baudrier allons. Bon iour tous mes bons seigneurs. I'avoys assez songé pour boyre. Allons.

Panurge n'avoit ce mot achevé, quand Epistemon à haulte voix s'escria, disant. Chose bien commune & vulguaire entre les humains est, le malheur d'aultruy entendre, praevoir, congnoistre, & praedire. Mais ô que chose rare est son malheur propre praedire, congnoistre, praevoir & entendre. Et que prudentement le figura Aesope en ses Apologes, disant chascun homme en ce monde naissant une bezace au coul porter: on sachet de laquelle davant pendent sont les faultes & malheurs d'aultruy tousiours exposées à nostre veue & congnoissance: on sachet d'arrière pendent les faultes & malheurs propres: & iamais ne sont veues ne entendues, fors de ceulx qui des cieulx ont le benevole aspect.

 

Comment Pantagruel conseille à Panurge de conferer avecques une Sibylle de Panzoust.

 

Chapitre XVI.

Peu de temps après Pantagruel manda querir Panurge, & luy dist. L'amour que ie vous porte inveteré par succession de longs temps me sollicite de penser à vostre bien & profict. Entendez ma conception: On m'a dict que à Panzoust près le Croulay, est une Sibylle tresinsigne, laquelle praedict toutes choses futures: prenez Epistemon de compaignie, & vous transportez devers elle, & oyez de ce que vous dira.

C'est (dist Epistemon) par adventure une Canidie, une Sagane, une Phitonisse & sorcière. Ce que me le faict penser, est que celluy lieu est en ce nom diffamé, qu'il abonde en sorcières plus que ne feit oncques Thessalie. Ie ne iray pas voluntiers. La chose est illicite & defendue en la loy de Moses.

Nous (dist Pantagruel) ne sommez mie Iuifz, & n'est chose confessée ne averée que elle soit sorcière. Remettons à vostre retour le grabeau & belutement de ces matières. Que sçavons nous si c'est une unzième Sibylle: une seconde Cassandre? Et ores que Sibylle ne feust, & de Sibylle ne meritast le nom, quel interest encourrez vous avecques elle conferent de vostre perplexité? entendu mesmement qu'elle est en estimation de plus sçavoir, plus entendre, que ne porte l'usance ne du pays, ne du sexe. Que nuist sçavoir tousiours, & tousiours aprendre, feust ce d'un sot, d'un pot, d'une guedoufle, d'une moufle, d'une pantoufle? Vous soubvieigne que Alexandre le grand: ayant obtenu victoire du roy Darie en Arbelles, praesens les Satrapes quelque foys refusa audience à un compaignon, puys en vain mille & mille foys s'en repentit. Il estoit en Perse victorieux, mais tant esloigné de Macedonie son royaulme hereditaire, que grandement se contristoit, par non povoir moyen aulcun inventer d'en sçavoir nouvelles: tant à cause de l'enorme distance des lieux, que de l'interposition des grands fleuves, empeschement des desers, & obiection des montaignes. En cestuy estrif & soigneux pensement, qui n'estoit petit, (Car on eust peu son pays & royaulme occuper, & là installer Roy nouveau & nouvelle colonie long temps davant que il en eust advertissement pour y obvier) davant luy se presenta un home de Sidoine, marchant petit, & de bon sens, mais au reste assez pauvre & de peu d'apparence, luy denonceant & affermant avoir chemin & moyen inventé, par lequel son pays pourroit de ses victoires Indianes, puy de l'estat de Macedonie & aegypte estre en moins de cinq iours asçavanté. Il estima la promesse tant abhorrente & impossible, qu'oncques l'aureille prester ne luy voulut, ne donner audience. Que luy eust cousté ouyr & entendre ce que l'homme avoit inventé. Quelle nuisance, quel dommaige eust il encouru pour sçavoir quel estoit le moyen, quel estoit le chemin, que l'homme luy vouloit demonstrer? Nature me semble non sans cause nous avoir formé aureilles ouvertes, n'y appousant porte ne clousture aulcune, comme a faict es oeilz, langue, & aultres issues du corps. La cause ie cuide estre, affin que tousiours toutes nuyctz, continuellement, puissions ouyr: & par ouye perpetuellement aprendre: car c'est le sens sus tous aultres plus apte es disciplines. Et peut estre: que celluy home estoit ange, c'est à dire: messagier de Dieu envoyé, comme feut Raphael à Thobie. Trop soubdain le contemna trop long temps après s'en repentit.

Vous dictez bien, respondit Epistemon, mais ià ne me ferez entendre, que chose beaucoup adventaigeuse soit, prendre d'une femme, & d'une telle femme, en tel pays, conseil & advis.

Ie (dist Panurge) me trouve fort bien du conseil des femmes, & mesmement des vieilles. A leur conseil ie foys tous iours une selle ou deux extraordinaires. Mon amy ce sont vrays chiens de monstre, vrays rubricques de droict. Et bien proprement parlent ceulx qui les appellent Sages femmes. Ma coustume & mon style est les nommer Praesages femmes. Sages sont elles: car dextrement elles congnoissent. Mais ie les nomme Praesages, car divinement elles prevoyent, & praedisent certainement toutes choses advenir. Aulcunesfoys ie les appelle non Maunettes, mais Monettes, comme à Iuno des Romains. Car de elles tousiours nous viennent admonitions salutaires & profitables. Demandez en à Pythagoras, Socrates, Empedocles, & nostre maistre Ortuinus. Ensemble ie loue iusques es haulx cieulx l'antique institution des Germains, les quelz prisoient au poix du Sanctuaire & cordialement requeroient le conseil des vieilles: par leurs advis & responses tant heureusement prosperoient, comme les avoient prudentement receues. Tesmoings la vieille Aurinie, & la bonne mère Vellede on temps de Vaspasian. Croyez que vieillesse feminine est tousiours foisonnante en qualité soubeline: ie vouloys dire Sybilline. Allons par l'ayde, allons par la vertu Dieu, allons. Allons frère Ian, ie te recommande ma braguete.

Bien (dist Epistemon) ie vous suivray, protestant que si i'ay advertissement qu'elle use de sort ou enchantement en ses responses, ie vous laisseray à la porte, & plus de moy accompaigné ne seray.

 

Comment Panurge parle à la Sibylle de Panzoust.

 

Chapitre XVII.

Leur chemin feut de troys iournées. La troizième à la crouppe de une montaigne soubs un grand & ample Chastaignier leurs feut monstrée la maison de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrèrent en la case chaumine, mal bastie, mal meublée, toute enfumée.

Baste, dist Epistemon, Heraclitus grand Scotiste & tenebreux philosophe ne s'estonna entrant en maison semblable, exposant à ses sectateurs & disciples, que là aussi bien residoient les Dieux, comme en palais pleins de delices. Et cry que telle estoit la case de la tant celebrée Hecale, lors qu'elle y festoya le ieune Theseus: telle aussi cele de Hireus ou Oenopion, en laquelle Iuppiter, Neptune, & Mercure ensemble ne prindrent à desdaing entrer, repaistre, & loger: en laquelle officialement pour l'escot forgèrent Orion.

Au coing de la chemminée trouvèrent la vieille.

Elle est (s'escria Epistemon) vraye Sibylle & vray protraict naïfvement repraesenté par th kaminoi de Homère.

La vieille estoit mal en poinct, mal vestue, mal nourrie, edentée, chassieuse courbassée, roupieuse, languoureuse, & faisoit un potaige de choux verds, avecques une couane de lard iausne, & un vieil savorados.

Verd & bleu (dist Epistemon) nous avons failly. Nous ne aurons d'elle responce aulcune. Car nous n'avons le rameau d'or.

Ie y ay (respondit Panurge) pourveu. Ie l'ay icy dedans ma gibbessière en une verge d'or acompaigné de beaulx & ioyeulx Carolus.

Ces motz dictz, Panurge la salua profondement, luy praesenrta six langues de beuf fumées, un grand pot beurrier plein de coscotons, un bourrabaquin guarny de brevaige, une couille de belier pleine de Carolus nouvellement forgez: en fin avecques profonde reverence luy mist on doigt medical une verge d'or bien belle: en laquelle estoit une Crapaudine de Beusse magnificquement enchassée. Puys en briefves parolles luy exposa le motif de sa venue, la priant courtoisement luy dire son advis & bonne fortune de son mariage entreprins.

La vieille resta quelque temps en silence pensifve & richinante des dens, puys s'assit sus le cul d'un boisseau, print en ses mains troys vieulx fuseaulx, les tourna & vira entre ses doigtz en diverses manières: puys esprouva leurs poinctes, le plus poinctu retint en main, les deux aultres iecta soubs une pille à mil. Après print ses devidouères, & par neuf foys les tourna, au neufvième tour consydera sans plus toucher le mouvement des devidouères, & attendit leur repous perfaict. Depuys ie veidz qu'elle deschaussa un de ses esclos, (nous les nommons Sabotz) mist son davantau sus sa teste, comme les prebstres mettent leur amict quand ilz voulent messe chanter: puys avecques un antique tissu riolé, piolé, le lia soubs la guorge. Ainsi affeublée tira un grand traict du bourrabaquin, print de la couille belinière trois carolus, les mist en trois coques de noix, & les posa sus le cul d'un pot à plume, feist trois tours de balay par la cheminée, iecta on feu demy fagot de bruière, & un rameau de laurier sec. Le consydera brusler en silence, & veid que bruslant ne faisoit grislement ne bruyt aulcun. Adoncques s'escria espovantablement, sonnant entre les dens quelques motz barbares & d'estrange termination, de mode que Panurge dit à Epistemon.

Par la vertus Dieu ie tremble, ie croy que ie suys charmé, elle ne parle poinct Christian. Voyez comment elle me semble de quatre empans plus grande, que n'estoit lors qu'elle se capitonna de son davantau. Que signifie ce remuement de badiguoinces? Que pretend ceste iectigation des espaulles? A quelle fin fredonne elle des babines, comme un Cinge demembrant escrevisses? Les aureilles me cornent, il m'est advis que ie oy Proserpine bruyante: les Diables bien toust en place sortiront. O les laydes bestes. Fuyons. Serpe Dieu ie meurs de paour. Ie n'ayme poinct les Diables. Ilz me faschent & sont mal plaisans. Fuyons. Adieu ma Dame, grand mercy de vos biens. Ie ne me marieray poinct, non. Ie y renonce des à prasens comme allors.

Ainsi commençoit escamper de la chambre, mais la vieille anticipa, tenente le fuseau en sa main: & sortis en un courtil près sa maison. Là estoit un Sycomore antique: elle l'escroulla par troys fois, & sus huyct feueilles qui en tombèrent, sommairement avecques le fuseau escrivit quelques briefz vers. Puys les iecta au vent, & leurs dist.

Allez les chercher si voulez, trouvez les si povez, le sort fatal de vostre mariage y est descript.

Ces parolles dictes, se retira en sa tesnière, & sus le perron de la porte se recoursa robe, cotte, & chemise iusques aux escelles, & leurs monstroit son cul.

Panurge l'aperceut, & dist à Epistemon. Par le sambre guoy de boys voy là le trou de la Sibylle.

Soubdain elle barra sus soy la porte: depuys ne feut veue. Ilz coururent après les feueilles, & les recueillèrent, mais non sans grand labeur. Car le vent les avoit esquartées par les buissons de la vallée. Et les ordonnans l'une après l'aultre, trouvèrent ceste sentence en mètres.

T'esgoussera

de renom.

Engroissera

de toy non.

Te sugsera

le bon bout.

T'escorchera

mais non tout.

 

Comment Pantagruel & Panurge diversement exposent les vers de la Sibylle de Panzoust.

 

Chapitre XVIII.

Les feueilles recueillies, retournèrent Epistemon & Panurge en la court de Pantagruel, part ioyeulx, part faschez. Ioyeulx pour le retour: faschez pour le travail du chemin, lequel trouvèrent raboteux, pierreux, & mal ordonné. De leur voyage feirent ample raport à Pantagruel, & de l'estat de la Sibylle. En fin luy praesentèrent les feueilles de Sycomore, & monstrèrent l'escripture en petitz vers. Pantagruel avoir leur le totaige, dist à Panurge en souspirant.

Vous estez bien en poinct. La prophetie de la Sibyle apertement expose ce que ià nous estoit denoté tant par les sors Virgilianes, que par vos propres songes, c'est que par vostre femme serez deshonoré: que elle vous fera coqu se abandonant à aultruy, & par aultruy devenent grosse: que elle vous desrobbera par quelque bonne partie, & qu'elle vous battera escorchant & meurtrissant quelque membre du corps.

Vous entendez autant (respondit Panurge) en exposition de ces recentes propheties, comme faict Truys en espices. Ne vous desplaise si ie le diz. Car ie me sens un peu fasché. Le contraire est veritable. Prenez bien mes motz. La vieille le dict. Ainsi comme la febve n'est veue se elle ne est esgoussée, aussi ma vertu & ma perfection iamais ne seroit mise en renom, si marié ie n'estoys. Quantes foys vous ay ie ouy disant que le magistrat, & l'office descoeuvre l'homme, mect en evidence ce qu'il avoit dedans le iabot? C'est à dire, que lors on congnoist certainement, quel est le personaige, & combien il vault, quand il est appellé au maniment des affaires. Paravant, sçavoir est estant l'homme en son privé, on ne sçait pour certain quel il est, non plus que d'une febve en gousse. Voylà quant au premier article. Aultrement vouldriez vous maintenir que l'honneur & bon renom d'un homme de bien pendist au cul d'une putain.

Le second dict. Ma femme engroissera, (entendez icy la prime felicité de mariage) mais non de moy. Cor Bieu ie le croy. Ce sera d'un beau petit enfantelet qu'elle sera grosse. Ie l'ayme desià tout plein, & ià en suys tout assoty. Ce sera mon petit bedault. Fascherie du monde tant grande & vehemente n'entrera desormais à mon esprit, que ie ne passe, seulement le voyant & le oyant iargonner en son iargonnoys pueril. Et benoiste soit la vieille. Ie luy veulx vraybis constituer en Salmigondois quelque bonne rente, non courante comme bacheliers insensez, mais assise comme beaulx docteurs regens. Aultrement vouldriez vous que ma femme dedans ses flans me portast? me conceust? Me enfantast? & qu'on dist, Panurge est un second Bacchus. Il est deux foys né. Il est René, comme feut Hippolytus, comme feut Proteus, une foys de Thetis, & secondement de la mère du Philosophe Apollonius. Comme feurent les deux Palices près le fleuve Symethos en Sicile. Sa femme estoit grosse de luy. En luy est renouvellée l'antique Palintocie des Megariens, & la Palingenesie de Democritus. Erreur. Ne m'en parlez iamais.

Le tiers dict. Ma femme me sugsera le bon bout. Ie m'y dispose. Vous entendez assez que c'est le baston à un bout, qui me pend entre les iambes. Ie vous iure & promectz que tousiours le maintiendray succullent & bien avitaillé. Elle ne me le sugsera poinct en vain. Eternellement y sera le petit picotin ou mieulx. Vous exposez allegoricquement ce lieu, & le interpretez à larrecin & furt. Ie loue l'exposition, l'allegorie me plaist, mais non à vostre sens. Peut estre que l'affection syncère que me portez vous tire en partie adverse & refraictaire, comme disent les clercs chose merveilleusement crainctive estre amour, & iamais le bon amour estre sans craincte. Mais (scelon mon iugement) en vous mesmes vous entendez que furt en ce passaige, comme en tant d'aultres des scipteurs Latins & antiques, signifie le doulx fruict de amourettes: lequel veult Venus estre secretement & furtivement cuilly. Pourquoy, par vostre foy? Pour ce que la chosette faicte à l'emblée, entre deux huys, à travers les degrez, darrière la tapisserie, en tapinois, sus un fagot desroté, plus plaist à la déesse de Cypre, (& en suys là, sans praeiudice de meilleur advis) que faicte en veue du Soleil, à la Cynique, ou entre les precieulx conopées, entre les courtines dorées, à longs intervalles, à plein guogo, avec un esmouchail de soye cramoisine, & un panache de plumes Indicques chassant les mousches d'autour, & la femelle s'escurante les dens avecques un brin de paille, qu'elle cependent auroit desraché du fond de la paillasse. Aultrement vouldriez vous dire qu'elle me desrobbast en sugsant comme on avalle les huytres en escalle, & comme les femmes de Cilicie (tesmoing Dioscorides) cuillent la graine de Alkermès? Erreur. Qui desrobbe, ne sugse, mais gruppe: ne avalle, mais emballe, ravist & ioue de passe passe.

Le quart dict. Ma femme me l'escorchera, mais non tout. O le beau mot. Vous l'interpretez à batterie & meurtrissure. C'est bien à propous truelle, Dieu te guard de mal masson. Ie vous supply, levez un peu vos espritz de terrienne pensée en contemplation haultaine des merveilles de Nature. & icy condemnez vous, vous mesmes pour erreurs qu'avez commis perversement exposant les dictz propheticques de la Dive Sibylle. Posé, mais non admis ne concedé le cas, que ma femme par l'instigation de l'ennemy d'enfer voulust & entreprint me faire un malvais tour, me diffamer, me faire coqu iusqu'au cul, me desrober & oultrager: encores ne viendra elle à fin de son vouloir & entreprinse.

La raison qui à ce me meut, est en ce poinct dernier fondée, & est extraicte du fond de Pantheologie monasticque. Frère Artus Culletant me l'a aultres foys dict, & feut par un Lundy matin, mangeans ensemble un boisseau de guodiveaulx, & si pleuvoit, il m'en souvient, Dieu luy doint le bon iour.

Les femmes au commencement du monde, ou peu après, ensemble conspirèrent escorcher les homes tous vifz, par ce que sus elles maistriser vouloient en tous lieux. Et feut cestuy decret promis, confermé, & iuré entre elles par le sainct sang breguoy. Mais ô vaines entreprinses des femmes, ô grande fragilité du sexe feminin. Elles commencèrent escorcher l'home, ou gluber, comme le nomme Catulle, par la partie qui plus leurs hayte, c'est ce membre nerveulx, caverneulx, plus de six mille ans a, & toutesfoys iusques à praesent n'en ont escorché que la teste. Dont par fin despit les Iuifz eulx mesmes en circuncision se le couppent & retaillent, mieulx aymans estre dictz recutitz & retaillatz marranes, que escorchez par femmes, comme les aultres nations. Ma femme non degenerante de ceste commune entreprinse, me l'escorchera, s'il ne l'est. Ie y consens de franc vouloir, mais non tout: ie vous en asceure mon bon Roy. Vous (dist Epistemon) ne respondez à ce que le rameau de laurier nous voyans, elle consyderant & exclamante en voix furieuse & espovantable, brusloit sans bruyt ne grislement aulcun. Vous sçavez que c'est triste augure & signe grandement redoutable, comme attestent Properce, Tibulle, Porphyre philosophe argut, Eustathius sus l'iliade Homericque, & aultres.

Vrayement (dist Panurge) vous me alleguez de gentilz veaulx, Ils feurent folz comme poëtes, & resveurs comme philosophes: autant pleins de fine follie, comme estoit leur philosophie.

 

Comment Pantagruel loue le conseil des muetz.

 

Chapitre XIX.

Pantagruel, ces motz achevez, se teut assez longtemps, & sembloit grandement pensif. Puys dist à Panurge.

L'esprit maling vous seduyt. Mais escoutez. I'ay leu qu'on temps passé les plus veritables & sceurs oracles n'estoient ceulx que par escript on bailloit, ou par parolle on proferoit. Maintes foys y ont faict erreur, ceulx voyre qui estoient estimez fins & ingenieux, tant à cause des amphibologies, équivocques, & obscuritez des motz, que de la briefveté des sentences. Pourtant feut Apollo dieu de vaticination surnommé. Ceulx que l'on exposoit par gestes & par signes, estoient les plus veritables & certains estimez. Telle estoit l'opinion de Heraclitus. Et ainsi vaticinoit Iuppiter en Amon: ainsi prophetisoit Apollo entre les Assyriens. Pour ceste raison le paingnoient ilz avecques longue barbe, & vestu comme personaige vieulx, & de sens rassis: non nud, ieune, & sans barbe, comme faisoient les Grecz. Usons de ceste manière: & par signes sans parler, conseil prenez de quelque Mut.

I'en suys d'advis (respondit Panurge).

Mais (dist Pantagruel) il conviendroit que le Mut feut sourd de sa naissance: & par consequent Mut. Car il n'est Mut plus naïf, que celluy qui oncques ne ouyt.

Comment (respondit Panurge) l'entendez? Si vray feust que l'home ne parlast, qui n'eust ouy parler, ie vous menerois à logicalement inferer une proposition bien abhorrente & paradoxe. Mais laissons la. Vous doncques ne croyez ce qu'escript Herodote des deux enfans guardez dedans une case par le vouloir de Psammetic roy des Aegyptiens, & nourriz en perpetuelle silence? les quelz après certain temps prononcèrent ceste parolle Becus, laquelle en langue Phrygienne signifie pain?

Rien moins, respondit Pantagruel. C'est abus dire que nous ayons languaige naturel. Les languaiges sont par institutions arbitraires & convenences des peuples: les voix (comme disent les Dialecticiens) ne signifient naturellement, mais à plaisir. Ie ne vous diz ce propous sans cause. Car Barthole. 1. prima de verb. oblig. raconte que de son temps, feut en Eugube un nommé messer Nello de Gabrielis, lequel par accident estoit sourd devenu: ce non obstant entendoit tout homme Italian parlant tant secretement que ce feust, seulement à la veue de ses gestes, & mouvement des baulevres. I'ay d'adventaige leu en autheur docte & eleguant, que Tyridates roy de Armenie, on temps de Neron, visita Rome, & feut receu en solennité honorable, & pompes magnificques affin de l'entretenir en amitié sempiternelle du Senat & peuple Romain: & n'y eut chose memorable en la cité, qui ne luy feust monstrée & exposée. A son departement l'empereur luy feist dons grands, & excessifz: oultre, luy feist option, de choisir ce que plus en Rome luy plairoit, avecques promesse iurée de non l'esconduyre quoy qu'il demandast. Il demanda seulement un ioueur de farces, lequel il avoit veu on theatre, & ne entendent ce qu'il disoit, entendoit ce qu'il exprimoit par signes & gesticulations: alleguant que soubs sa domination estoient peuples de divers languaiges, pour es quelz respondre & parler, luy convenoit user de plusieurs truchemens: il seul à tous suffiroit. Car en matière de signifier par gestes estoit tant excellent, qu'il sembloit parler des doigtz. Pourtant vous fault choisir un mut sourd de nature, affin que ses gestes & signes vous soient naifvement propheticques: non saincts, fardez, ne affectez. Reste encores sçavoir si tel advis voulez ou d'home ou de femme prendre.

Ie (respondit Panurge) voluntiers d'une femme le prendroys, ne feust que ie crains deux choses. L'une, que les femmes quelques choses qu'elles voyent, elles se repraesentent en leurs espritz, elles pensent, elles imaginent, que soit l'entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, signes, & maintiens que l'on face en leur veue & praesence, elles les interpretent & referent à l'acte mouvent de belutaige. Pourtant y serions nous abusez. Car la femme penseroit tous nos signes, estre signes Veneriens. Vous souvieigne de ce que advint en Rome deux cens lx ans après la fondation d'icelle. Un ieune gentil home Romain rencontrant au mont Coelion une dame Latine nommée Verone mute & sourde de nature, luy demanda avecques gesticulations Italicques en ignorance d'icelle surdité, quelz senateurs elle avoit rencontré par la montée? Elle non entendent ce qu'il disoit, imagina estre ce qu'elle pourpensoit, & ce que un ieune home naturellement demande d'une femme. Adoncques par signes (qui en amour sont incomparablement plus attractifz, efficaces, & valables que parolles) le tira à part en sa maison, signes luy feist que le ieu luy plaisoit. En fin sans de bouche mot dire, feirent beau bruit de culletis.

L'aultre: qu'elles ne feroient à nos signes responce aulcune: elles soubdain tomberoient en arrière comme reallement consententes à nos tacites demandes. Ou si signes aulcuns nous faisoient responsifz à nos propositions, ilz seroient tant follastres & ridicules, que nous mesmes estimerions leurs pensemens estre Venereicques. Vous sçavez comment à Croquignoles quand la nonnain seur Fessue, feut par le ieune Briffault dam Royddimet engroissée, & la groisse congnue, appellée par l'abbesse en chapitre & arguée de inceste, elle s'excusoit, alleguante que ce n'avoit esté de son consentement, ce avoit esté par violence & par la force du frère Royddimet. L'abbesse replicante & disante, meschante, c'estoit on dortouoir, pourquoy ne crioys tu à la force, no' toutes eussions couru à ton ayde? Respondit qu'elle ne ausoit crier on dortouoir: pource qu'on dortouoir, y a silence sempiternelle. Mais (dist l'abbesse) meschante que tu es, pourquoy ne faisois tu signes à tes voisines de chambre? Ie (respondit la Fessue) leurs faisois signes du cul tant que povois, mais persone ne me secourut. Mais (demanda l'abbesse) meschante, pourquoy incontinent ne me le veins tu dire, & l'accuser reguliairement? Ainsi eusse ie faict, si le cas me feust advenu, pour demonstrer mon innocence, (respondit la fessue) que craignante demourer en peché & estat de damnation, de paour que ne feusse de mort soubdaine praevenue, ie me confessay à luy avant qu'il departist de la chambre: & il me bailla en penitence non le dire ne deceler à persone. Trop enorme eust esté le peché, reveler sa confession, & trop detestable davant Dieu & les anges. Par adventure eust ce esté cause: que le feu du Ciel eust ars toute l'abbaye: & toutes feussions tombées en abisme avecques Dathan & Abiron.

Vous (dist Pantagruel) ià ne m'en ferez rire. Ie sçay assez que toute moinerie moins crainct les commandemens de Dieu transgresser, que leurs statutz provinciaulx. Prenez doncques un homme. Nazdecabre me semble idoine. Il est mut & sourd de naissance.

 

Comment Nazdecabre par signes respond Panurge.

 

Chapitre XX.

Nazdecabre feut mandé, & au lendemain arriva. Panurge à son arrivée luy donna un veau gras, un demy pourceau, deux bussars de vin, une charge de bled, & trente francs en menue monnoye: puis le mena davant Pantagruel & en praesence des gentilz homes de chambre luy feist tel signe. Il baisla assez longuement, & en baislant faisoit hors la bouche avecques le poulce de la main dextre la figure de la lettre Grecque dite Tau, par frequente reiterations. Puis leva les oeilz au Ciel, & les tournoyoit en la teste comme une chèvre qui avorte: toussoit ce faisant & profondement souspiroit. Cela faict monstroit le default de sa braguette: puys soubs sa chemise print son pistolandier à plein poing, & le faisoit melodieusement clicquer entre ses cuisses: se enclina flechissant le genoil guausche, & resta tenent les deux braz sus la poictrine lassez l'un sus l'aultre.

Nazdecabre curieusement le reguardoit, puys leva la main guausche en l'aër, & retint clous en poing tous les doigtz d'icelle, excepté le poulce & le doigt indice, des quelz il accoubla mollement les deux ongles ensemble.

I'entends (dist Pantagruel) ce qu'il praetend par cestuy signe. Il denote mariage: & d'abondant le nombre trentenaire scelon la profession des Pythagoriens. Vous serez marié.

Grand mercy (dist Panurge se tournant vers Nazdecabre) mon petit architriclin, mon comite, mon algousan, mon sbire, mon barizel.

Puys leva en l'aër plus hault la dicte main guausche, extendent tous les cinq doigtz d'icelle, & les esloignant uns des aultres, tant que esloigner povait.

Icy (dist Pantagruel) plus amplement nous insinue par signification du nombre quinaire, que serez marié. Et non seulement effiancé, espousé, & marié, mais en oultre que habiterez & serez bien avant de feste. Car Pythagoras appelloit le nombre quinaire, nombre nuptial, nopces, & mariage consommé: pour ceste raison qu'il est composé de Trias, qui est nombre premier impar & superflu: & de Dyas, qui est nombre premier par: comme de masle & de femelle coublez ensemblement. De faict à Rome iadis au iour des nopces on allumoit cinq flambeaulx de cire, & n'estoit licite d'en allumer plus, feust es nopces des plus riches: ne moins, feust es nopces des plus indigens. D'adventaige on temps passé les Payens imploroient cinq Dieux, ou un Dieu en cinq benefices, sus ceulx que l'on marioit: Iuppiter nuptial: Iuno praesidente de la feste: Venus la belle: Pitho déesse de persuasion & beau parler: & Diane pour secours on travail d'enfantement.

O (s'escria Panurge) le gentil Nazdecabre. Ie luy veulx donner une metairie près Cinay, & un moulin à vent en Mirebalais.

Ce faict, le mut esternua en insigne vehemence & concussion de tout le corps se destournant à guausche.

Vertus beuf de boys (dist Pantagruel) qu'est ce là? Ce n'est à vostre adventaige. Il denote que vostre mariage sera infauste & malheureux. Cestuy esternuement (scelon la doctrine de Terpsion) est le demon Socraticque: lequel faict à dextre signifie qu'en asceurance & hardiment on peut faire & aller ce & la part qu'on a deliberé, les entrée, progrès, & succès seront bons & heureux: faict à guausche, au contraire.

Vous (dist Panurge) tousiours prenez les matières au pis, & tousiours obturbez, comme un aultre Davus. Ie n'en croy rien. Et ne congneuz oncques sinon en deception ce vieulx trepelu Terpsion.

Toutesfoys (dist Pantagruel) Ciceron en dict ie ne sçay quoy, on second livre de divination.

Puys se tourne vers Nazdecabre, & luy faict tel signe. Il renversa les paulpières des oeilz contre mont, tortoit les mandibules de dextre en senestre, tira la langue à demy hors la bouche. Ce faict, posa la main guausche ouverte, exceptez le maistre doigt, lequel retint perpendiculairement sus la paulme, & ainsi l'assist au lieu de sa braguette: la dextre retint clause en poing, exceptez le poulce, lequel droict il retourna arrière soubs l'escelle dextre, & l'assist au dessus des fesses on lieu que les Arabes appellent Al Katim. Soubdain après changea, & la main dextre tint en forme de la senestre, & la posa sus le lieu de la braguette, la guausche tint en forme de la dextre, & la posa sus l'Al Katim. Cestuy changement de main reitera par neuf foys. A la neufiesme remist les paupières des oeilz en leur position naturelle: aussi feist les mandibules, & la langue: puys iecta son reguard biscle suz Naedecabre, branlant les baulevres, comme font les Cinges de seiour, & comme font les Connins mangeans avoine en herbe.

Adoncques Nazdecabre eleva en l'aër la main dextre toute ouverte, puys mist le poulce d'icelle iusques à la première articulation entre la tierce ioincture du maistre doigt & du doigt medical, les resserrant assez fort au tour du poulce: le reste des ioinctures d'iceulx retirant on poing, & droictz extendent les doigtz indice & Petit. La main ainsi composée posa sus le nombril de Panurge mouvent continuellement le poulce susdict, & appuyant icelle main sus les doigtz Petit & Indice, comme sus deux iambes. Ainsi montoit d'icelle main successivement à travers le ventre, le stomach, la poictrine, & le coul de Panurge: puys luy en frota le nez, & montant oultre aux oeilz faignoit les luy couloir crever avecques le poulce. A tant Panurge se fascha, & taschoit se defaire & retirer du Mur. Mais Nazdecabre continuoit luy touchant avecques celuy poulce branslant, maintenant les oeilz, maintenant le front, & les limittes de son bonnet. En fin Panurge s'escria, disant.

Par Dieu maistre fol, vous serz battu si ne me laissez, si plus me faschez, vous aurez de ma main un Masque sus vostre paillard visaige.

Il est (dist lors frère Ian) sourd. Il n'entend ce que tu luy diz couillon. Faictz luy en signe une gresle de coups de poing sus le mourre.

Que Diable (dist Panurge) veult praetendre ce maistre Alliboron? Il m'a presque poché les oeilz au beurre noir. Par Dieu da iurandi, ie vous festoiray d'un banquet de Nazardes, entrelardé de doubles Chinquenaudes.

Puys le laissa luy faisant la petarrade. Le Mut votant Panurge demarcher, guaigna le davant, l'arresta par force, & luy feist tel signe. Il baissa le braz dextre vers le genoil tant que povoit l'extendre, clouant tous les doigtz en poing, & passant le poulce entre les doigtz Maistre & Indice. Puys avecques la main guausche frottoit le dessus du coubté du susdict braz dextre, & peu à peu ce frottement levoit en l'aër la main d'icelluy iusques au coubté & au dessus, soubdain la rabaissoit comme davant: puys à intervalles la relevoit, la rabaissoit, & la monstroit à Panurge.

Panurge de ce fasché leva le poing pour frapper le Mut: mais il revera la prasence de Pantagruel & se retint. Alors dist Pantagruel.

Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées. Tout vray à tout vray consone. Le Mut praetend & denote, que serez marié, coqu, battu, & desrobbé.

Le mariage (dist Panurge) ie concède, ie nie le demourant. Et vous prie me faire ce bien de croyre, que iamais homme n'eut en femme & en chevaulx heurt tel que m'est predestiné.

 

Comment Panurge prend conseil d'un vieil Poete François nommé Raminagrobis.

 

Chapitre XXI.

Ie ne pensoys (dist Pantagruel) iamais rencontrer homme tant obstiné à ses apprehensions comme ie vous voy. Pour toutesfoys vostre doubte esclarcir, suys d'advis que mouvons toute pierre. Entendez ma conception. Les cycnes, qui sont oyseaulx sacrez à Apollo, ne chantent iamais, si non quand ilz approchent de leur mort: mesmement en Meander fleuve de Phrygie (ie le diz pource que Aelianus, & Alexander Myndius escrivent en avoir ailleurs veu plusieurs mourir, mais nul chanter en mourant) de mode que chant de Cycne est praesaige certain de sa mort prochaine, & ne meurt que praealablement n'ayt chanté. Semblablement les poëtes qui sont en protection de Apollo, approchans de leur mort ordinairement deviennent prophètes, & chantent par Apolline inspiration vaticinans des choses futures.

I'ay d'adventaige ouy dire que tout homme vieulx, decrepit, & près de sa fin, facilement divine des cas advenir. Et me souvient que Aristophanes en quelque comedie appelle les gens vieulx Sibylles,

O de gepwn sibullia.

Car comme nous estans sur le moule, & de loing voyans les mariniers & voyagiers dedans leurs naufz en haulte mer, seulement en silence les considerons, & bien prions pour leur prospère abourdement: mais lors qu'ilz approchent du havre, & par parolles & par gestes les saluons, & congratulons de ce que à port de saulveté sont arrivez: aussi les Anges, les Heroes, les bons Daemons (scelon la doctrine des Platonicques) voyans les humains prochains de mort, comme de port tresceur & salutaire: port de repous, & de tranquillité, hors les troubles & sollicitudes terrienes, les saluent, les consolent, parlent avecques eulx, & ià commencent leurs communicquer art de divination. Ie ne vous allegueray exemples antiques, de Isaac, de Iacob, de Patroclus envers Hector, de Hector envers Achilles, de Polynestor envers Agamemnon & Hecuba: du Rhodien celebré par Posidonius le grand, de Orodes envers Mezentius, & aultres: seulement vous veulx ramentevoir le docte & preux chevallier Guillaume du Bellay, seigneur iadis de Langey, lequel on mont de Tarare mourut le 10 de Ianvier l'an de son aage le climatère & de nostre supputation l'an 1543 en compte Romanicque. Les troys & quatre heures avant son decès, il employa en parolles viguoureuses, en sens tranquil & serain: nous praedisant ce que depuys part avons veu, part attendons advenir. Combien que pour lors nous semblassent ces propheties aulcunement abhorrentes & estranges, par ne nous apparoistre cause ne signe aulcun present pronostic de ce qu'il praedisoit. Nous avons icy, près la Villaumère, un homme & vieulx & poëte, c'est Raminagrobis, lequel en seconde nopces espousa la grande Guorre dont nasquit la belle Bazoche. I'ay entendu qu'il est en l'article & dernier moment de son decès. Transportez vous vers luy, & oyez son chant. Pourra estre que de luy aurez ce que praetendez, & par luy Apollo vostre doubte dissouldra.

Ie le veulx (respondit Panurge). Allons y Epistemon de ce pas: de paour que mort ne le praevieigne. Veulx tu venir frère Ian?

Ie le veulx (respondit frère Ian) bien voluntiers, pour l'amour de toy couillette. Car ie t'ayme du bon du foye.

Sus l'heure feut par eulx chemin prins, & arrivans au logis poëticque trouvèrent le bon vieillart en agonie, avecques maintient ioyeulx, face ouverte, & reguard lumineux. Panurge le saluant luy mist on doigt Medical de la main guausche en pur don un anneau d'or, en la palle duquel estoit un sapphyr oriental, beau & ample: Puys à l'imitation de Socrates luy offrit un beau coq blanc, lequel incontinent posé sus son lict la teste elevée en grande alaigresse secoua son pennaige, puys chanta en bien hault ton. Cela faict Panurge requist courtoisement dire & exposer son iugement sus le doubte du mariage praetendu. Le bon vieillard commenda luy estre apporté ancre, plume, & papier. Le tout feut promptement livré. Adoncques escrivit ce que s'ensuyt.

Prenez là, ne la prenez pas.

Si vous la prenez, c'est bien faict.

Si ne la prenez en effect,

Ce sera oeuvré par compas.

Guallopez, mais allez le pas.

Recullez, entrez y de faict.

Prenez la, ne...

Ieusnez, prenez double repas.

Defaictez ce qu'estoit refaict.

Refaictez ce qu'estoit defaict.

Soubhaytez luy vie & trespas.

Prenez la, ne...

Puys leurs bailla en main, & leurs dist.

Allez enfans en la guarde du grand Dieu des cieulx, & plus de cestuy affaire ne de aultre que soit, ne me inquietez. I'ay ce iourd'huy, qui est le dernier & de May & de moy, hors ma maison à grande fatigue & difficulté chassé un tas de villaines, immondes, & pestilentes bestes, noires, guarres, fauves, blanches, cendrées, grivolées: les quelles laisser ne me vouloient à mon aise mourir: & par fraudulentes poinctures, gruppemens harpyacques, importunitez freslonnicques, toutes forgées en l'officine de ne sçay quelle insatiabilité, me evocquoient du doulx pensement on quel ie acquiesçois contemplant, & voyans & ià touchant & guoustant le bien, & felicité, que le bon Dieu a praeparé à ses fidèles & esleuz en l'aultre vie: & estat de immortalité. Declinez de leur voye, ne soyez à elles semblables: plus ne me molestez, & me laissez en silence, ie vous supply.

 

Comment Panurge patrocine à l'ordre des fratres Mendians.

 

Chapitre XXII.

Issant de la Chambnre de Raminagrobis, Panurge comme tout effrayé dist.

Ie croy par la vertus Dieu, qu'il est Hereticque, ou ie me donne au Diable. Il mesdict des bons pères mendians Cordeliers, & Iacobins, qui sont les deux hemisphères de la Christianté, & par la gyrognomonique circumbilivagination desquelz comme par deux filopendoles coelivages, tout l'Antonomatic matagrobolisme de l'eclise Romaine, soy snetente emburelucoquée d'aulcun baraguouinage d'erreur ou de haeresie, homocentricalement se tremousse. Mais que tous les Diables luy ont faict, les paouvres Diables de Capussins, & Minimes? Ne sont ilz assez enfumez & perfumez de misère & calamité les paouvres haires extraictz de Ichthyophagie? Est il, frère Ian, par ta foy, en estat de salvation? Il s'en va par Dieu damné comme une serpe à trente mille hottées de Diables. Mesdire de ces bons & vaillans piliers d'eclise? Appellez vous cela fureur poëticque? Ie ne m'en peuz contenter: il pèche villainement, il blasphème contre la religion. I'en suys fort scandalisé.

Ie (dist frère Ian) ne m'en soucie d'un bouton. Ilz mesdisent de tout le monde: si tout le monde mesdit d'eulx, ie n'y pretends aulcun interest. Voyons ce qu'il a escript.

Panurge leut attentement l'escripture du bon vieillart: puys leurs dist. Il resve le paouvre Beuveur. Ie l'excuse toutesfoys. Ie croy qu'il est près de sa fin. Allons faire son epitaphe. Par la response qu'il nous donne, ie suys aussi saige que oncques puys ne fourneasmes nous. Escoute ça Epistemon mon bedon. Ne l'estimez tu pas bien resolu en ses responses? Il est par Dieu: sophiste argut, ergoté, & naïf. Ie guaige qu'il est Marrabais. Ventre beuf comment il se donne guarde de mesprendre en ses parolles. Il ne respond que par disionctives. Il ne peult dire vray. Car à la verité d'icelles suffist l'une partie estre vraye. O quel Patelineux. Sainct Iago de Bressuire, en est il encores de l'eraige?

Ainsi (respondit Epistemon) protestoit Tiresias le grand Vaticinateur, au commencement de toutes ses divinations, disant apertement à ceulx qui de luy prenoient advis. Ce que ie diray, adviendra, ou ne adviendra poinct. Et est le style des prudens prognosticqueurs.

Toutesfoys (dist Panurge) Iuno luy creva les deux oeilz.

Voyre (respondit Epistemon) par despit de ce que il avoit mieulx sententié que elle, sus le doubte propousé par Iuppiter.

Mais (dist Panurge) quel Diable possède ce maistre Raminagrobis, qui ainsi sans propous, sans raison, sans occasion, mesdict des paouvres beatz pères Iacobins, Mineurs, & Minimes? Ie en suys grandement scandalisé, ie vous assie, & ne me en peuz taire. Il a grefvement peché. Son ame s'en va à trente mille panerées de Diables.

Ie ne vous entends poinct (respondit Epistemon). Et me scandalisez vous mesmes grandement, interpretant perversement des fratres Mendians, ce que le bon Poëte disoit des bestes noires, fauves, & aultres. Il ne l'entend (scelon mon iugement) en telle sophisticque & phantasticque allegorie. Il parle absolument & proprement des pusses, punaises, cirons, mousches, culices, & aultres telles bestes: les quelles sont unes noires, aultres fauves, aultres cendrées, aultres tannées & basanées: toutes importunes, tyrannicques, & molestes, non es malades seulement, mains aussi à gens sains & viguoureux. Par adventure a il des Ascarides, Lumbriques, & Vermes dedans le corps. Par adventure patist il (comme est en Aegypte, & lieux confins de la mer Erithrée, chose vulgaire & usitée) es bras & iambes quelque poincture de Draconneaulx grivolez, que les arabes appellent Meden. Vous faictez mal aultrement expousant ses parolles. Et faictez tord au bon Poëte par detraction, & es dictz Fratres par imputation de tel meshain. Il fault tousiours de son presme interpreter toutes choses à bien.

Aprenez moy (dist Panurge) à congnoistre mousches en laict. Il est par la vertus Dieu haereticque. Ie diz haereticque formé, haereticque clavelé, haereticque bruslable, comme une belle petite horologe. Son ame s'en va à trente mille charretées de Diables. Sçavez vous où? Cor Bieu mon amy droict dessoubs la scelle persée de Proserpine, dedans le propre bassin infernal, on quel elle rend l'operation fecale de ses clystères, à cousté guausche de la grande chauldière, à trois toises près les gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho le villain.

 

Comment Panurge faict discours pour retourner à Raminagrobis.

 

Chapitre XXIII.

Retournons (dist Panurge continuant) l'admonester de son salut. Allons on nom, allons en la vertus de Dieu. Ce sera oeuvre charitable à nous faire: au moins s'il perd le corps & la vie, qu'il ne damne son ame. Nous le induirons à contrition de son peché: à requerir pardon es dictz tant beatz pères: absens comme praesens. Et en prendrons acte, affin qu'après son trespas ilz ne le declairent hereticque & damné: comme les Farfadetz feirent de la praevosté d'Orleans: & leurs satisfaire de l'oultrage, ordonnant par tous les convens de ceste province aux bons pères religieux force bribes, force messes, force obitz & anniversaires. Et que au iour de son trespas sempiternellement, ilz ayent tous quintuple pitance: & que le grand bourrabaquin plein du meilleur trote de ranco par leurs tables, tant des Burgotz, Layz, & Brissaulx, que des prebstres & des clercs: tant des Novices, que des Profès. Ainsi pourra il de Dieu, pardon avoir.

Ho, ho, ie me abuse, & me esguare en mes discours. Le Diable me emport si ie y voys. Vertus Dieu, la chambre est desià pleine de Diables. Ie les oy desià soy pelaudans & entrebattans en Diable, à qui humera l'ame Raminagrobidicque, & qui premier de broc en bouc la portera à messer Lucifer. Houstez vous de là. Ie ne y vois pas. Le Diable me emport si ie y voys. Qui sçait s'ilz useroient de qui pro quo, & en lieu de Raminagrobis grupperoient le paouvre Panurge quitte? Ilz y ont maintes foys failly estant safrané & endebté. Houstez vous de là. Ie ne y vois pas. Ie meurs par Dieu de male raige de paour. Soy trouver entre Diables affamez? entre Diables de faction? entre Diables negocians? Houstez vous de là. Ie guage que par mesmes doubte à son enterrement n'assistera Iacobin, Cordelier, Carme, Capussin, Theatin, ne Minime. Et eulx saiges. Aussi bien ne leurs a il rien ordonné par testament. Le Diable me emport si ie y voys. S'il est damné, à son dam. Pour quoy mesdisoit il des bons pères de religion? Pour quoy les avoit il chassé hors sa chambre, sus l'heure que il avoit plus de besoing de leur ayde, de leurs devotes prières, de leurs sainctes admonitions? Pour quoy par testament ne leurs ordonnoit il au moins quelques bribes, quelque bouffaige, quelque carreleure de ventre, aux paouvres gens qui n'ont que leur vie en ce monde? Y aille qui vouldra aller. Le Diable me emport si ie y voys. Si ie y allois, le Diable me emporteroit. Cancre. Houstez vous de là.

Frère Ian veulx tu que praesentement mille charretées de Diables t'emportent? Fays trois choses. Baille moy ta bourse. Car la croix est contraire au charme. Et te adviendroit ce que naguères advint à Ian Dodin recepveur du Couldray au gué de Vède, quand les gens d'armes rompirent les planches. Le pinart rencontrant sus la rive frère Adam Couscoil Cordelier observantin de Myrebeau, luy promist un habit en condition qu'il le passa oultre l'eau à la cabre morte sus ses espaules. Car c'estoit un puissant ribault. Le pacte feut accordé. Frère Couscoil se trousse iusques aux couilles, & charge à son dours comme un beau petit sainct Christophe, ledict suppliant Dodin. Ainsi le portoit guayement, comme Aeneas porta son père Anchises, hors la conflagration de Troie, chantant un bel Ave maris stella. Quand ilz feurent au plus parfond du gué, au dessus de la roue du moulin, il luy demanda, s'il avoit poinct d'argent sus luy. Dodin respondit, qu'il en avoit pleine gibessière, & qu'il ne se desfiast de la promesse faicte d'un habit neuf. Comment (dist frère Couscoil) tu sçaiz bien que par chapitre exprès de nostre reigle il nous est riguoureusement defendu de porter argent sus nous. Malheureux es tu bien certes: qui me as faict pecher en ce poinct. Pourquoy ne laissas tu ta bourse au meusnier? Sans faulte tu en seras praesentement puny. Et si iamais ie te peuz tenir en nostre chapitre à Myrebeau, tu auras du Miserere iusques à Vitulos. Soubdain se descharge, & vous iecte Dodin en pleine eau la teste au fond. A cestuy exemple frère Ian mon amy doulx, affin que les Diables t'emportent mieulx à ton aise, baille moy ta bourse: ne porte croix aulcune sus toy. Le danger y est evident. Ayant argent, portant croix, ilz te iecteront sus quelques rochiers, comme les aigles iectent les tortues pour les casser, tesmoing la teste pelée du poëte Aeschyl'. Et tu te ferois mal mon amy. I'en seroys bien fort marry: ou te laisseront tomber dedans quelque mer ie ne sçay où, bien loing, comme tomba Icarus. Et seroit par après nommée la mer Entommericque. Secondement sois quitte. Car les Diables ayment fort les quittes. Ie le sçay bien quant est de moy. Les paillars en cessent de mugueter, & me faire la court. Ce que ne souloient estant safrané & endebté. L'ame d'un home endebté est toute hecticque & discrasiée. Ce n'est viande à Diables. Tiercement avecques ton froc & ton domino de grobis retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille batelées de Diables ne t'emportent ainsi qualifié, ie payeray pinthe & fagot. Et si pour la sceureté, tu veulx compaignie avoir, ne me cherchez pas, non. Ie t'en advise. Houstez vous de là. Ie n'y voys pas. Le diable m'emport si ie y voys.

Ie ne m'en souriroys (respondit frère Ian) pas tant par adventure que l'on diroyt, ayant mon bragmard on poing.

Tu le prens bien (dist Panurge) & en parle comme docteur subtil en lard. On temps que i'estudiois à l'eschole de Tolete, le reverend père en Diable Picatris recteur de la faculté diabolologicque, nous disoit que naturellement les Diables craignent la splendeur des espées, aussi bien que la lueur du Soleil. De faict Hercules descendent en enfer à tous les Diables, ne leurs feist tant de paour ayant seulement sa peau de Lion, & sa massue, comme par après feist Aeneas estant couvert d'un harnoys resplendissant, & guarny de son bragmard bien apoinct fourby & desrouillé à l'ayde & conseil de la Sibylle Cunnant. C'estoit (peut estre) la cause pourquoy le seigneur Ian Iacques Trivolse mourant à Chartres, demanda son espée, & mourut l'espée nue on poing, s'escrimant tout autour du lict, comme vaillant & chevalereux, & par ceste escrime mettant en fuyte tous les Diables qui le guettoient au passaige de la mort. Quand on demande aux Massorethz & Caballistes, pourquoy les Diables n'entrent iamais en paradis terrestre? Ilz ne donnent aultre raison, si non que à la porte est un Cherubin tenent en main une espée flambante. Car parlant en vraye diabolologie de Tolete, te confesse que les Diables vrayment ne peuvent par coups d'espée mourir: mais ie maintiens scelon la dicte diabolologie, qu'ilz peuvent patir solution de continuité. Comme si tu couppois de travers avecques ton bragmard une flambe de feu ardent, ou une grosse & obscure fumée. Et crient comme Diables à ce sentement de solution, laquelle leurs est doloreuse en Diable.

Quand tu voids le hourt de deux armées, pense tu Couillasse, que le bruyt si grand & horrible que l'on y oyt, proviene des voix humaines? du hurtis des harnoys, du clicquetis des bardes, du chaplis des masses? du froissis des picques, du bris des lances, du cris des navrez? du son des tabours & trompettes? du hannissement des chevaulx? du tonnoire des escouppettes & canons? Il en est veritablement quelque chose. Force est que le confesse. Mais le grand effroy, & vacarme principal provient du dueil & ulement des Diables: qui là guestans pelle melle les paouvres ames des blessez, reçoivent coups d'espée à l'improviste, & patissent solution en la continuité de leurs substances aërées & invisibles: comme si à quelque lacquais crocquant les lardons de la broche, maistre Hordoux donnoit un coup de baston sus les doigts. Puys crient & ulent comme Diables: comme Mars, quand il feut blessé par Diomèdes davant Troie, Homère dict avoir crié en plus hault ton & plus horrificque effroy, que ne feroient dix mille hommes ensemble. Mais quoy? Nous parlons de harnoys fourbiz, & d'espées resplendentes. Ainsi n'est il de ton bragmard. Car discontinuation de officier, & par faulte de operer, il est par ma foy plus rouillé, que la claveleure d'un vieil charnier. Pourtant faiz de deux choses l'une. Ou desrouille bien apoinct & guaillard: ou maintenant ainsi rouillé, guarde que ne tourne en la maison de Raminagrobis. De ma part ie n'y voys pas. Le Diable m'emport si ie y voys.

 

Comment Panurge prend conseil de Epistemon.

 

Chapitre XXIIII.

Laissans la Villaumère, & retournans vers Pantagruel, par le chemin Panurge s'adressa à Epistemon, & luy dist.

Compère mon antique amy, vous voyez la perplexité de mon esprit. Vous sçavez tant de bons remèdes. Me sçauriez vous secourir?

Epistemon print le propous, & remonstroit Panurge comment la voix publicque estoit toute consommée en mocqueries de son desguisement: & luy conseilloit prendre quelque peu de Ellebore, affin de purger cestuy humeur en luy peccant, & reprendre ses accoustremens ordinaires.

Ie suys (dist Panurge) Epistemon mon compère, en phantasie de me marier. Mais ie crains estre coqu & infortuné en mon mariage. Pourtant ay ie faict veu à sainct François la ieune, lequel est au Plessis lez Tours reclamé de toutes femmes en grande devotion (car il est premier fondateur des bons hommes, lesquelz elles appetent naturellement) porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chausses, que sus ceste mienne perplexité d'esprit ie n'aye eu resolution aperte.

C'est (dist Epistemon) vrayment un beau & ioyeulx veu. Ie me esbahys de vous, que ne retournez à vous mesmes, & que ne revocquez vos sens de ce farouche esguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez souvenir du veu des Argives à la large perrucque, les quelz ayant perdu la bataille contre les Lacedaemoniens en la controverse de Tyrée, feirent veu: cheveux en teste ne porter, iusques à ce qu'ils eussent recouvert leur honneur & leur terre: du veu aussi du plaisant Hespaignol Michel Doris, qui porta le trançon de grève en sa iambe. Et ne sçay lequel des deux seroit plus digne & meritant porter chapperon verd & iausne à aureilles de lièvre, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant qui en faict le tant long, curieux, & fascheux compte, oubliant l'art & manière d'escrire histoires, baillée par le philosophe Samosatoys. Car lisant icelluy long narré, l'on pesne que doibve estre commencement, & occasion de quelque forte guerre, ou insigne mutation des Royaulmes: mais en fin de compte on se mocque & du benoist champion, & de l'Angloys qui le deffia, & de Enguerrant leur tabellion: plus baveux qu'un pot à moustarde. La mocquerie est telle que de la montaigne d'Hiorace, laquelle crioyt & lamentoyt enormement, comme femme en travail d'enfant. A son cris & lamentation accourut tout le voisinaige en expectation de veoir quelque admirable & monstrueux enfantement, mais en fin ne nasquit d'elle qu'une petite souriz.

Non pourtant (dist Panurge) ie m'en soubrys. Se mocque qui clocque. Ainsi seray comme porte mon veu. Or long temps a que avons ensemble vous & moy, foy & amitié iurée, par Iuppiter Philios, dictez m'en vostre advis. Me doibz ie marier, ou non?

Certes (respondit Epistemon) le cas est hazardeux, ie me sens par trop insuffisant à la resolution. Et si iamais feut vray en l'art de medicine le dict du vieil Hippocrates de Lango, IUGEMENT DIFFICILE, il est cestuy endroict verissime. I'ay bien en imagination quelques discours moienans les quelz nous aurions determination sus vostre perplexité. Mais ilz ne me satisfont poinct apertement. Aulcuns Platonicques disent que qui peut veoir son Genius, peut entendre ses destinées. Ie ne comprens pas bien leur discipline, & ne suys d'advis que y adhaerez. Il y a de l'abus beaucoup. I'en ay veu l'expereince en un gentil home studieux & curieux on pays d'Estangourre. C'est le poinct premier. Un aultre y a. Si encores regnoient les oracles de Iuppiter en Mon: de Apollo en Lebadie, Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneste, Lycie, Colophon: en la fontaine Castallie près Antioche en Syrie: entre les Branchides: de Bacchus, en Dodone: de Mercure, en Phares près Tatras: de Apis, en Aegypte: de Serapis, en Canobe: de Faunus, en Maenalie & en Albunée près Tivoli: de Tyresias, en Orchomène: de Mopsus, en Cilicie: de Orpheus, en Lesbos: de Trophonius, en Leucadie. Ie seroys d'advis (paradventure non seroys) y aller & entendre quel seroit leur iugement sus vostre entreprinse. Mais vous sçavez que tous sont devenuz plus mutz que poissons, depuys la venue de celluy Roy servateur, on quel ont prins fin tous oracles & toutes propheties: comme advenente la lumière du clair Soleil disparent tous Lutins, Lamies, Lemures, Guaroux, Farfadetz, & Tenebrions. Ores toutesfoys qu'encores feussent en règne, ne conseilleroys ie facillement adiouster foy à leurs responses. Trop de gens y ont esté trompez. D'adventaige mist sus à Lollie la belle, avoir interrogué l'oracle de Apollo Clarius pour entendre si mariée elle seroit avecques Claudius l'empereur. Pour ceste cause feut premierement banie, & depuys à mort ignominieusement mise.

Mais (dist Panurge) faisons mieulx. Les isles Ogygies ne sont loing du port Sammalo, faisons y un voyage après qu'aurons parlé à nostre Roy. En l'une des quatre, laquelle plus à son aspect vers Soleil couchant, on dict, ie l'ay leu en bons & antiques autheurs, habiter plusieurs divinateurs, vaticinateurs, & prophètes: y estre Saturne lié de belles chaines d'or, dedans une roche d'or, alimenté de Ambrosie & Nectar divin, les quelz iournellement luy sont des cieulx transmis en abondance par ne sçay quelle espèce d'oizeaulx (peut estre que sont les mesmes Corbeaulx, qui alimentoient es desers sainct Paul premier hermite) & apertement predire à un chascun qui veult entendre son sort, sa destinées, & ce que luy doibt advenir. Car les Parces rien ne sillent, Iuppiter rien ne propense & rien ne delibère, que le bon père en dormant ne congnoisse. Ce nous seroit grande abbreviation de labeur, si nous le oyons un peu sus ceste mienne perplexité.

C'est (respondit Epistemon) abus trop evident, & fable trop fabuleuse. Ie ne iray pas.

 

Comment Panurge se conseille à Her Trippa.

 

Chapitre XXV.

Voyez cy (dist Epistemon continuant) toutesfoys que ferez, avant que retournons vers nostre Roy, si me croyez. Icy près l'isle Bouchart demeure Her Trippa, vous sçavez comment par art de Astrologie, Geomantie, Chiromantie, Metopomantie, & aultres de pareille farine il praedict toutes choses futures: conferons de vostre affaire avecques luy.

De cela (repondist Panurge) ie ne sçay rien. Bien sçay ie que luy un iour parlant au grand Roy des choses celestes & transcendentes, les lacquais de court par les degrez, entre les huys sabouloient sa femme à plaisir, laquelle estoit assez bellastre. Et il voyant toutes choses aetherées & terrestres sans bezicles, discourant de tous cas passez & praesens, praedisant tout l'advenir, seulement ne voioit sa femme brimballante, & oncques n'en sceut les nouvelles. Bien allons vers luy, puys qu'ainsi le voulez, on ne sçauroit trop apprendre.

Au lendemain arrivèrent au logis de Her Trippa. Panurge luy donna une robbe de peau de loup, une grande espée bastarde bien dorée à fourreau de velours, & cinquante beaulx angelotz: puis familiairement avecques luy confera de son affaire. De première venue Her Trippa le reguardant en face dist.

Tu as la metaposcopie & physionomie d'un coqu. Ie diz coqu scandalé & diffamé.

Puys consyderant la main dextre de Panurge en tous endroictz, dist.

Ce faulx traict que ie voy icy au dessus du mons Iovis, oncques ne feut qu'en la main d'un coqu.

Puys avecques un style feist hastivement certain nombre de poinctz divers, les accoubla par Geomantie, & dist.

Plus vraye n'est la verité, qu'il est certain que seras coqu, bien tost après que seras marié.

Cela faict, demanda à Panurge l'horoscope de sa nativité. Panurge luy ayant baillé, il fabrica promptement sa maison du ciel en toutes ses parties, & consyderant l'assieté, & les aspectz en leurs triplicitez, iecta un grand soupir & dist.

I'avois ià predict apertement que tu serois coqu, à cela tu ne povoys faillir: icy i'en ay d'abondant asceurance nouvelle. Et te afferme que tu seras coqu. D'adventaige seras de ta femme battu, & d'elle seras desrobbé. Car ie trouve la septiesme maison en aspectz tous malings, & en batterie de tous signes portans cornes, comme Aries, Taurus, Capricorne, & aultres. En la quarte ie trouve decadence de Iovis, ensemble aspect tetragone de Saturne, associé de Mercure. Tu seras bien poyvré, homme de bien.

Ie seray (respondit Panurge) tes fortes fiebvres quartaines, vieulx fol: sot: mal plaisant que tu es. Quand tous coqus s'assembleront, tu porteras la banière. Mais dont me vient ce Cyron icy entre mes deux doigtz?

Cela disoit tirant droict vers Her Trippa les deux premiers doigtz ouvers en forme de deux cornes, & fermant on poing tous les aultres. Puys ict à Epistemon.

Voyez cy le vray Ollus de Martial. Lequel tout son estude adonnoit à observer & entendre les maulx & misères d'aultruy. Ce pendent sa femme tenoit le brelant. Il de son cousté pouvre plus que ne feut Irus. Au demourant glorieux, oultrecuydé, intolerable plus que dix sept diables, en un mot ptwc alaz wn, comme bien proprement telle peaultraille de belistrandiers nommoient les anciens. Allons. Laissons icy ce fol enraigé, mat de cathène, ravasser tout son saoul avecques ses diables privez? Ie croirois tantost que les diables voulussent servir un tel marault. Il ne sçait le premier traict de philosophie, qui est, CONGNOIS TOY. & se glorifiant veoir un festu en l'oeil d'aultruy, ne void une grosse souche laquelle luy poche les deux oeilz. C'est un tel Polypragmon, que descript Plutarche. C'est une aultre Lamie, laquelle en maisons estranges, en public, entre le commun peuple, voyant plus penetramment qu'un Oince, en sa maison propre, estoit plus aveugle qu'une Taulpe: chés soy rien ne voioyt. Car retournant du dehors en son privé, oustoit de sa teste ses oeilz exemptiles comme lunettes, & les cachoit dedans un sabot attaché darrière la porte de son logis.

A ces motz print Her Trippa un rameau de Tamarix.

Il prend bien (dist Epistemon) Nicander la nomme divinatrice.

Voulez vous (dist Her Trippa) en sçavoir plus amplement la verité par Pyromantie, par Aëromantie celebrée entre les Assyriens & exprovée par Hermolaus Barbarus? Dedans un bassin plein d'eau ie te montreray ta femme future brimballant avecques deux rustres.

Quand (dist Panurge) tu mettras ton nez en mon cul, soys recors de deschausser tes lunettes.

Par Catoptromantie (dist Her Trippa continuant) moyenant laquelle Didius Iulianus empereur de Rome, praevoyoit tout ce que luy doibvoit advenir, il ne te fauldra poinct de lunettes. Tu la voyras en un mirouoir brisgoutant en la fontaine du temple de Minerve près Patras. Par Coscinomantie iadis tant religieusement observée entre les cerimonies des Romains. Ayons un crible & des forcettes, tu voyras Diables. Par Alphitomantie designée par Theocrite en sa Pharmaceutrie, & par Alevromantie meslant du froment avecques de la farine. Par Astragalomantie. I'ay ceans les proiectz tous pretz. Par Tyromantie. I'ay un fromaige de Brehemont à propous. Par Gyromantie ie te feray icy tournoyer force cercles, les quelz tous tomberont à gausche ie t'en asceure. Par Sternomantie. Par ma foy tu as le pietz assez mal proportionné. Par Libanomantie. Il ne fault qu'un peu d'encent. Par Gastromantie, de laquelle en Ferrare longuement usa la dame Iacoba Rhodogine Engastrimythe: par Cephaleonomantie, de laquelle user souloient les Alemans, routissans la teste d'un Asne sus des charbons ardens. Par Ceromantie. Là par cire fondue en eaue tu voiras la figure de ta femme & de ses taboureurs. Par Capnomantie. Sus des charbons ardens nous mettrons de la semence de Pavot & de Sisame. O chose gualante! Par Axinomantie. Fais icy provision seulement d'une coingnée & d'une pierre Gagate, laquelle nous metterons sus la braze. O comment Homère en use bravement envers les amoureux de Penelope. Par Onymantie. Ayons de l'huylle & de la cire. Par Tephramantie. Tu voiras la cendre en l'aër figurante ta femme en bel estat. Par Botanomantie. I'ay icy des feuilles de Saulge à propos. Par Sycomantie. O art divine en feueille de figuier! Par Ichthyomantie tant iadis celebrée & practiquée par Tiresias & Polydamas. Aussi certainement que iadis estoit faict en la fosse Dina on boys sacré à Apollo en la terre des Lyciens. Par Choeromantie. Ayons force pourceaulx, tu en auras la vessie. Par Cleromantie, comme l'on trouve la febve on guasteau la vigile de l'Epiphanie. Par Anthromantie, de laquelle usa Heliogabalus empereur de Rome. Elle est quelque peu fascheuse. Mais tu l'endureras assez, puis que tu es destiné coqu. Par Stichomantie Sibylline. Par Onomatomantie. Comment as tu nom? (Maschemerde respondit Panurge) ou bien par Alectryomantie. Ie feray icy un cerne gualantement, lequel ie partiray toy voyant & considerant en vingt & quatre portions equales. Sus chascune ie figureray une letre de l'alphabet: sus chascune letre ie poseray un grain de froment: puys lascheray un beau coq vierge à travers. Vous voirez (ie vous assie) qu'il mangera les grains posez sus les letres C.O.Q.U.S.E.R.A. aussi fatidicquement, comme soubs l'empereur Valens estant en perplexité de sçavoir le nom de son successeur, le coq vaticinateur & Alectryomantie mangea sus les letres Q.E.O.D. Voulez vous en sçavoir par l'art de Aruspiscine? par Extispicine? par Augure prins du vol des oizeaulx? du chant des Oscines? du bal solistime des canes? (Par Estronspicine, respondit Panurge) ou bien par Necromantie? Ie vous feray soubdain resusciter quelqu'un peu cy devant mort, comme feist Apollonius de Tyane envers Achilles, comme feist la Phitonisse en praesence de Saul: lequel nous en dira le totage, ne plus ne moins que à l'invocation de Reritho un deffunct praedist à Pompée tout le progrès & issue de la bataille Pharsalicque. Ou si avez paour des mors, comme ont naturellement tous coquz, ie useray seulement de Sciomantie.

Va (respondit Panurge) fol enraigé au Diable: & te faiz lanterner à quelque Albanoys, si auras un chapeau poinctu. Diable que ne me conseillez tu aussi bien tenir une Esmeraulde, ou la pierre de Hyène soubs la langue? ou me munir de langues de Puputz, & de coeurs de Ranes verdes? ou manger du coeur & du foye de quelque Dracon, pour à la voix & au chant des Cycnes & oizeaulx entendre mes destinées, comme faisoient iadis les Arabes on pays de Mesopotamie? A trente Diables soit le coqu, cornu, marrane, sorcier au Diable, enchanteur de l'Antichrist. Retournons vers nostre Roy. Ie suys asceuré que de nous content ne sera, s'il entend une foys que soyons icy venuz en la tesnière de ce Diable emgiponné. Ie me repens d'y estre venu. Et donnerois voluntiers cent nobles & quatorze roturiers, en condition que celluy qui iadis souffloit de son crachatz luy enluminast les moustaches. Vray Dieu: comment il m'a perfumé de fascherie & diablerie, de charme & de sorcellerie! Le Diable le puisse emporter. Dictez amen, & allons boyre. Ie ne feray bonne chère de deux, non de quatre iours.

 

Comment Panurge prend conseil de frère Ian des Entommeures.

 

Chapitre XXVI.

Panurge estoit fasché des propous de Her Trippa, & avoir passé la bourgade de Huymes, s'addressa à frère Ian, & luy dist becguetant, & soy gratant l'aureille guausche.

Tien moy un peu ioyeulx mon bedon. Ie me sens tout matagrabolisé en mon esprit, des propous de ce fol endiablé. Escoute couillon mignon.

Couillon moignon c. de renom.

c. paté. c. naté

c. plombé c. laicté.

c. feutré c. calfaté.

c. madré c. relevé.

c. de stuc. c. de crotesque.

c. Arabesque. c. asseré.

c. troussé à la levresque. c. antiquaire.

c. asceuré. c. guarancé.

c. calandré. c. requamé.

c. diapré. c. estamé.

c. martelé. c. entrelardé.

c. iuré. c. bourgeois.

c. grené. c. d'esmorche.

c. endesvé. c. goildronné.

c. palletoqué. c. aposté.

c. lyripipié. c. desiré.

c. vernissé. c. d'Ebène.

c. de Bresil. c. de Bouys.

c. organizé. c. Latin.

c. de passe. c. à croc.

c. d'estoc. c. effrené.

c. forcené. c. affecté.

c. entassé. c. compassé.

c. farcy. c. bouffy.

c. polly. c. iolly.

c. poudrebif. c. brandif.

c. positif. c. gerondif.

c. genitif. c. actif

c. gigantal. c. vital.

c. oval. c. magistral.

c. claustral. c. monachal.

c. viril. c. subtil.

c. de respect. c. de relés.

c. de seiour. c. d'audace.

c. massif. c. lascif.

c. manuel. c. guoulu.

c. absolu. c. resolu.

c. membru. c. cabus.

c. gemeau. c. courtoys.

c. turquoys. c. second.

c. brislant. c. sifflant.

c. estrillant. c. gent.

c. urgent. c. banier.

c. duisant. c. brusquer.

c. prompt. c. prinsaultier.

c. fortuné. c. clabault.

c. coyrault. c. usual.

c. de haulte lisse. c. c. exquis.

c. requis. c. fallot.

c. cullot. c. picardent.

c. de raphe. c. Guelphe.

c. ursin. c. de triage.

c. de paraige. c. de mesnage.

c. patronymicque. c. pouppin.

c. guespin. c. d'alidada.

c. d'algamala. c. d'algebra.

c. robuste. c. venuste.

c. d'appetit. c. insuperable.

c. secourable. c. agreable.

c. redoubtable. c. espovantable.

c. affable. c. profitable.

c. memorable. c. notable.

c. palpable. c. musculeux.

c. bardable. c. subsidiaire.

c. Tragicque. c. Satyricque.

c. transpontin. c. repercussif.

c. digestif. c. convulsif.

c. incarnatif. c. restauratif.

c. sigillatif. c. masculinant.

c. ronssinant. c. baudouinant.

c. refaict. c. fulminant.

c. tonnant. c. estincelant.

c. martelant. c. arietant.

c. strident. c. aromatisant.

c. timpant. c. diaspermatisant.

c. pimpant. c. ronflant.

c. paillard. c. pillard.

c. guaillard. c. hochant.

c. brochant. c. talochant.

c. avorté. c. eschalloté.

c. syndicqué. c. farfouillant.

c. belutant. c. culbutant.

Couillon hacquebutant, couillon culletant frère Ian mon amy, ie te porte reverence bien grande. & te reservoys à bonne bouche: ie te prie dys moy ton advis. Me doibs ie marier ou non?

Frère Ian luy respondit en alaigresse d'esprit, disant.

Marie toy de par le Diable, marie toy, & carillonne à doubles carrillons de couillons. Ie diz & entends le plus toust que faire pourras. Dès huy au soir faiz en crier les bancs & le challit. Vertus Dieu à quand te veulx tu reserver? Sçaiz tu pas bien, que la fin du monde approche? Nous en sommes huy plus près de deux trabutz & demie toise, que n'estions avant hier. L'Antichrist est desià né. Ce m'a l'on dict. Vray est que il ne faict encores que esgratigner sa nourrisse & ses gouvernantes: & ne monstre encores les thesaurs. Car il est encores petit. Crescite. Nos qui vivimus. Multiplicamini. Il est escript. C'est matière de breviaire. Tant que le sac de bled ne vaille trois patacz, & le bussart de vin, que six blancs. Vouldrois tu bien qu'on te trouvast les couilles pleines au iugement? dum venerit indicare.

Tu as (dist Panurge) l'esprit moult limpide & serain, frère Ian couillon Metropolitain, & parlez pertinemment. C'est ce dont Leander de Abyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s'amie Hero de Seste en Europe, prioit Neptune & tous les Dieux marins.

Si en allant ie suys de vous choyé,

Peu au retour me chault d'estre noyé.

Il ne vouloit poinct mourir les couilles pleines. Et suys d'advis que dorenavant en tout mon Salmigondinoys, quand on vouldra par iustice executer quelque malfaicteur, un iour ou deux davant on le face brisgoutter en Onocrotale, si bien que en tous ses vases spermaticques ne reste de quoy protraire un Y Gregoys. Chose si precieuse ne doibt estre follement perdue. Par adventure engendrera il un home. Ainsi mourra il sans regret, laissant home pour home.

 

Comment Frère Ian ioyeusement conseille Panurge.

 

Chapitre XXVII.

Par sainct Rigomé (dist frère Ian) Panurge mon amy doulx, ie ne te conseille chose que ie ne feisse, si i'estoys en ton lieu.

Seulement ayez esguard & consyderation: de tousiours bien lier & continuer tes coups. Si tu y fays intermission, tu es perdu paouvret: & t'adviendra ce que advient es nourrisses. Si elles desistent alaicter enfans, elles perdent leur laict. Si continuellement ne exercez ta mentule, elle perdra son laict, & ne te servira que de pissotière: les couilles pareillement ne te serviront que de gibbessière. Ie t'en advise mon amy. I'en ay veu l'experience en plusieurs: qui ne l'ont peu quand ilz vouloient: car ne l'avoient faict quand le povoient. Aussi par non usaige sont perduz tous privilèges, ce disent les clercs. Pourtant fillol: maintien tout ce bas & menu populaire Troglodyte. Donne ordre qu'ilz ne vivent en gentilz homes: de leurs rantes, sans rien faire.

Ne dea (respondit Panurge) frère Ian mon couillon guausche, ie te croiray. Tu vas rondement en besoigne. Sans exception ne ambages tu m'as apertement dissolu toute craincte qui me povoit intimider. Ainsi te soit donné des cieulx, tousiours bas & roydde operer. Or doncques à ta parolle ie me marieray. Il n'y aura poinct de faulte. Et si auray tousiours belles chambrières, quand tu me viendras veoir, & seras protecteur de leur sororité. Voy là quand à la première partie du sermon.

Escoute (dist frère Ian) l'oracle des cloches de Varenes. Que disent elles?

Ie les entends, (respondit Panurge). Leur son est par ma soif plus fatidicque que des chauldrons de Iuppiter en Dodone. Escoute. Marie toy, marie toy: marie, marie. Si tu te marie, marie, marie, tresbien t'en trouveras, veras, veras. Marie, marie. Ie te asceure que ie me marieray: tous les elemens me y invitent. Ce mot te soit comme une muraille de bronze.

Quant au second poinct, tu me semblez aulcunement doubter, voyre deffier, de ma paternité: comme ayant peu favorable le roydde Dieu des iardins. Ie te supply me faire ce bien de croire, que ie l'ay à commandement, docile, benevole, attentif, obeissant en tout & par tout. Il ne luy fault que lascher les longes, ie diz l'aiguillette, luy monstrer de près la proye: & dire, hale compaignon. Et quand ma femme future seroit aussi gloute du plaisir Venerien, que fut oncques Messalina, ou la marquise de Oinsestre en Angleterre, ie te prie croire, que ie l'ay encores plus copieux au contentement. Ie ne ignore que Solomon dict, & en parloit comme clerc & sçavant: depuys luy Aristoteles, a declairé l'estre des femmes estre de soy insatiable: mais ie veulx qu'on saiche que de mesmes qualibre i'ay le ferrement infatiguable. Ne me allègue poinct icy en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Proculus, Caesar, & Mahumet, qui se vente en son Alchoran avoir en ses genitoires la force de soixante guallefretiers. Il a menty le paillard. Ne me alleguez poinct l'Indian tant celebré par Theophraste, Pline, & AThenaeus, lequel avecques l'ayde de certaine herbe le faisoit en un iour soixante & dix fois & plus. Ie n'en croy rien. Le nombre est supposé. Ie te prie ne le croyre. Ie te prie croyre (& ne croyras chose que ne soit vraye) mon naturel le sacre Ithyphalle messer Cotal d'Albingues, estre le prime d'el monde, Escoute ça couillette. Veidz tu oncques le froc du moine de Castres? Quand on le posoit en quelque maison, feust à descouvert, feust à cachettes, soubdain par sa vertus horrificque tous les manens & habitans du lieu entroient en ruyt bestes & gens: homes & femes, iusques aux ratz & au chatz. Ie te iure qu'en ma braguette i'ay aultres foys congneu certaine energie, encores plus anomale. Ie ne te parleray de maison ne de buron: de sermon ne de marché: mais à la passion qu'on iouoit à sainct Maixent entrant un iour dedans le parquet ie veidz par la vertus & occulte proprieté d'icelle soubdainement tous tant ioueurs que spectateurs entrer en tentation si terrificque, qu'il ne y eut Ange, Home, Diable, ne Diablesse, qui ne voulust biscoter. Le Portecole abandonna sa copie: celluy qui iouoit sainct Michel, descendit par la colerie: les Diables sortirent d'enfer, & y emportoient toutes ces paouvres femmelettes: mesmes Lucifer se deschayna. Somme, voyant le desarroy, ie deparquay du lieu à l'exemple de Caton le Censorin: lequel voyant par sa praesence les festes Floralies en desordre, desista estre spectateur.

 

Comment frère Ian reconforte Panurge sus le doubte de Coqüage.

 

Chapitre XXVIII.

Ie t'entends (dist frère Ian) mais le temps matte toutes choses. Il n'est le marbre ne le Porphyre, qui n'ayt sa vieillesse & decadence. Si tu ne en es las pour ceste heure, peu d'années après subsequentes ie te oiray confessant, que les couilles pendent à plusieurs par faulte de gibbessière. Desià voy ie ton poil grisonner en teste. Ta barbe par les distinctions du gris, du blanc, du tanné, & du noir, me semble une Mappemonde. Reguarde icy. Voy là Asie. Icy sont Tigris & Euphrates. Voy là Afrique? Icy est la montaigne de la Lune. Voydz tu les paluz du Nil? Deça est Europe. Voydz tu Thelème? Ce touppet icy tout blanc, sont les monts Hyperborées. Par ma soif mon amy, quand les neiges sont es montaignes: ie diz la teste & le menton, il n'y a pas grand chaleur par les valées de la braguette.

Tes males mules (respondit Panurge). Tu n'entends pas les Topiques. Quand la neige est sus les montaignes: la fouldre, l'esclair, les lanciz, le mau lubec, le rouge grenat, le tonnoirre, la tempeste, tous les Diables, sont par les vallées. En veulx tu veoir l'experience. Va on pays de Souisse: & consydère le lac de Wunderbarlich à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil grisonnant, & ne consydère poinct comment il est de la nature des pourreaux, es quelz nous voyons la teste blanche, & la queue verde droicte & viguoureuse. Vray est que en moy ie recongnois quelque signe indicatif de vieillesse. Ie diz verde vieillesse. Ne le diz à personne. Il demourera secret entre nous deux. C'est que ie trouve le vin meilleur & plus à mon goust savoureux, que ne soulois: plus que ne soulois, ie crains la rencontre du mauvais vin. Note que cela argue ie ne sçay quoy du ponent, & signifie que le midy est passé. Mais quoy? Gentil compaignon tousiours, autant ou plus que iamais. Ie ne crains pas cela de par le Diable. Ce n'est là où me deult. Ie crains que par quelque longue absence de nostre Roy Pantagruel, au quel force est que ie face compaignie, voire allast il à tous les Diables, ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire. Car tous ceulx à qui i'en ay parlé, me en menassent. Et afferment qu'il me est ainsi prestiné des cieulx.

Il n'est (respondit frère Ian) coqu, qui veult. Si tu es coqu, ergo ta femme sera belle? ergo tu seras bien traicté d'elle: ergo tu seras saulvé. Ce sont Topicques monachales. Tu ne en vauldras que mieulx, pecheur. Tu ne feuz iamais si aize. Tu n'y trouveras rien moins. Ton bien acroistra d'adventaige. S'il est ainsi praedestiné, y vouldrois tu contrevenir? diz Couillon flatry. C. moisy.

c. rouy. c. chaumeny.

c. poitry d'eaue froyde. c. pendillant.

c. transy. c. appellant.

c. avallé. c. guavasche.

c. fené. c. esgrené.

c. esrené. c. incongru.

c. de saillance. c. forbeu.

c. hallebrené. c. lanterné.

c. prosterné. c. embrené.

c. engroué. c. amadoué.

c. ecremé. c. exprimé.

c. supprimé. c. chetif.

c. retif. c. putatif.

c. moulu. c. vermoulu.

c. dissolu. c. courbatu.

c. morfondu. c. malautru.

c. dyscrasié. c. biscarié.

c. disgratié. c. liegé.

c. flacque. c. diaphane.

c. esgoutté. c. desgousté.

c. acravanté. c. chippoté.

c. escharbotté. c. halleboté.

c. mitré. c. chapitré.

c. baratté. c. chicquané.

c. bimbelotté. c. eschaubouillé.

c. entouillé. c. barbouillé.

c. vuidé. c. riddé.

c. chagrin. c. have.

c. demanché. c. morné.

c. vereux. c. pesneux.

c. vesneux. c. forbeu.

c. malandré. c. meshaigné.

c. thlasié. c. thlibié.

c. spadonicque. c. sphacelé.

c. bistorié. c. deshinguandé.

c. farineux. c. farcineux.

c. hergneux. c. varicqueux.

c. gangreneux; c. vereux.

c. croustelevé. c. esclopé.

c. depenaillé. c. fanfreluché.

c. matté. c. frelatté.

c. guoguelu. c. farfelu.

c. trepelu. c. mitonné.

c. trepané. c. boucané.

c. basané. c. effilé.

c. eviré. c. vietdazé.

c. feueilleté. c. mariné.

c. estiomené. c. extirpé.

c. etrippé. c. constippé.

c. nieblé. c. greslé.

c. syncopé. c. soufleté.

c. ripoppé. c. busseté.

c. dechicqueté. c. corneté.

c. ventousé. c. talemousé.

c. effructé. c. balafré.

c. gersé. c. eruyté.

c. pantois. c. putois.

c. fusté. c. poulsé.

c. de godalle. c. frilleux.

c. fistuleux. c. scrupuleux.

c. languoureux. c. fellé.

c. maleficié. c. rance.

c. hectique. c. diminutif.

c. usé. c. tintalorisé.

c. quinault. c. marpault.

c. matagrabolisé. c. rouillé.

c. maceré. c. indague.

c. paralyticque. c. antidaté.

c. degradé. c. manchot.

c. perclus. c. confus.

c. de Ratepenade. c. Maussade.

c. de petarrade. c. acablé.

c. hallé. c. affablé.

c. dessiré. c. desolé.

c. hebeté. c. decadent.

c. cornant. c. soloecisant.

c. appellant. c. mince.

c. barré. c. ulceré.

c. assassiné. c. bobeliné.

c. devalizé. c. engourdely.

c. anonchaly. c. aneanty.

c. de matafain. c. de zero.

c. badelorié. c. frippé.

c. deschalandé. c. febricitant.

Couillonnas au diable, Panurge mon amy: puys qu'ainsi t'est praedestiné, vouldroys ty faire retrograder les planètes? demancher toutes les sphaeres celestes? propouser erreur aux Intelligences motrices? espoincter les fuzeaulx, articuler les vertoilz, calumnier les bobines, reprocher les detrichouères, condempner les frondrillons, defiller les pelotons des Parces? Tes fiebvres quartaines Couillu. Tu serois pis que les Geants. Vien ça couillaud. Aimerois tu mieulx estre ialoux sans cause, que coqu sans congnoissance?

Ie ne vouldrois (respondit Panurge) estre ne l'un ne l'aultre. Mais si i'en suys une foys adverty, ie y donneray bon ordre, ou bastons fauldront on monde. Ma foy, frère Ian, mon meilleur sera poinct ne me marier. Escoute que me disent les cloches à ceste heure que sommes plus près. Marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te marie: marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct: tu t'en repentiras, tiras, tiras, tiras. Coqu seras. Digne vertus de Dieu, ie commence entre en fascherie. Vous aultres cerveaulx enfrocquez, n'y sçavez vous remède aulcun? Nature a elle tant destitué les humains, que l'homme marié ne puisse passer ce monde sans tomber es goulphres & dangiers de Coqüage?

Ie te veulx (dist frère Ian) enseigner un expedient moyenant lequel iamais ta femme ne te fera coqu sans ton sceu & ton consentement.

Ie t'en prie (dist Panurge) couillon velouté. Or diz mon amy.

Prens (dist frère Ian) l'anneau de Hans Carüel grand lapidaire du Roy de Melinde. Hans Carüel estoit home docte, expert, studieux, homme de bien, de bons sens, de bon iugement, debonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe: ioyeulx au reste, bon compaignon, & raillart, si oncques en feut: ventru quelque peu, branslant de teste, & aulcunement mal aisé de sa personne. Sus ses vieulx iours il espousa la fille du baillif Concordat, ieune, belle, frisque, guallante, advenente, gratieuse par trop envers ses voisins & serviteurs. Dont advint en succession de quelques hebdomades, qu'il en devint ialous, comme un Tigre: & entra en soubson, qu'elle se faisoit tabourer les fesses d'ailleurs. Pour à la quelle chose obvier, luy faisoit tout plein de beaulx comptes touchant les desolations advenues par adultère: luy lisoit souvent la legende des preudes femmes: la preschoit de pudicité, luy feist un livre des louanges de fidelité coniugale, detestant fort & ferme la meschanceté des ribauldes mariées: & luy donna un beau carcan tout couvert de Sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt tant deliberée, & de bonne chère avecques ses voisins, que de plus en plus croissoit sa ialousie. Une nuyct entre les aultres estant avecques elles couché en telles passions, songea qu'il parloit au diable & qu'il luy comptoit ses doleances. Le diable le reconfortoit, & luy mist un anneau on maistre doigt disant. Ie te donne cestuy anneau: tandis que l'auras on doigt, ta femme ne fera d'aultruy charnellement congneue sans ton sceu & consentement. Grand mercy (dist Hans Carüel) monsieur le diable. Ie renye Mahon, si iamais on me l'oste du doigt. Le diable disparut: Hans CarÅel tout ioyeulx s'esveigla, & trouva qu'il avoit le doigt au comment à nom? de sa femme. Ie oubliois à compter comment sa femme le sentent, reculloit le cul arrière, comme disant ouy nenny. Ce n'est ce qu'il y fault mettre. & lors sembloit à Hans CarÅel qu'on luy voulust desrobber son anneau. N'est ce remède infallible? A cestuy exemple faiz, si me croys, que continuellement tu ayez l'anneau de ta femme on doigt.

Icy feut fin & du propous & du chemin.

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Comment Pantagruel faict assemblée d'un Theologien, d'un medicin, d'un legiste, & d'un Philosophe, pour la perplexité de Panurge.

 

Chapitre XXIX.

Arrivez au palais, comptèrent à Pantagruel le discours de leur voyage, & luy monstrèrent le dicté de Raminagrobis. Pantagruel l'avoir leu & releu, dist.

Encores n'ay ie veu response, que plus me plaise. Il veult dire sommairement, qu'en l'entreprinse de mariage chascun doibt estre arbitre de ses propres pensées, & de soy mesmes conseil prendre. Telle a tousiours esté mon opinion: & autant vous en diz la première foys que m'en parlastez. Mais vous en mocquiez tacitement, il m'en soubvient, & congnois que Philautie & amour de soy vous deçoyt. Faisons aultrement. Voicy quoy. Tout ce que sommes & qu'avons, consiste en trois choses, en l'ame, on corps, es biens. A la conservation de chascun des trois respectivement sont au iourd'huy destinées troys manières de gens. Les Theologiens à l'ame, les Medicins au corps, les Iurisconsultes aux biens. Ie suys d'advis que dimanche nous ayons icy à dipner un Theologien, un Medicin, & un Iurisconsulte. Avecques eulx ensemble nous confererons de vostre perplexité.

Par sainct Picault (respondit Panurge) nous ne feront rien qui vaille, ie le voy desià bien. Et voyez comment le monde est vistempenardé. Nous baillons en guarde nos ames aux Thelogiens, les quelz pour la plus part sont haereticques: Nos corps es medicins qui tous abhorrent les medicamens, iamais ne prenent medicine: Et nos biens es Advocatz, qui n'ont iamais procès ensemble.

Vous parlez en Courtisan (dist Pantagruel). Mais le premier poinct ie nie, voyant l'occupation principale, voyre unicque & totale des bons Theologiens estre emploictée par faictz, par dictz, par escriptz, à extirper les erreurs & haeresies, (tant s'en fault qu'ilz en soient entachez) & planter profundement es cueurs humains la vraye & vive foy catholicque. Le second ie loue, voyant les bons Medicins donner tel ordre à la partie prophylactice & conservatrice de santé en leur endroict, qu'ilz n'ont besoing de la therapeutice & curative par medicamens. Le tiers ie concède, voyant les bons advocatz tant distraictz en leurs patrocinations & responses du droict d'aultruy, qu'ilz n'ont temps ne loisir d'entendre à leur propre. Pourtant dimanche prochain ayons pour Theologien nostre père Hippothadée: pour medicin, nostre maistre Rondibilis: pour Legiste, nostre amy Bridoye. Encores suys ie d'advis que nous entrons en la tetrade Pythagoricque, & pour soubrequart ayons nostre feal le Philosophe Trouillogan, attendu mesmement que le Philosophe perfaict, & tel qu'est Trouillogan, respond assertivement de tous doubtes proposez. Carpalim donnez ordre que les ayons tous quatre dimanche prochain à dipner.

Ie croy (dist Epistemon) qu'en toute la patrie vous ne eussiez mieulx choisy. Ie ne diz seulement touchant les perfections d'un chascun en son estat, les quelles sont hors de tout iugement: mais d'abondant en ce que Rondibilis marié est, ne l'avoit esté: Hyppothadée oncques le feut, & ne l'est: Bridoye l'a esté, & ne l'est: Trouillogan l'est, & l'a esté. Ie releveray Carpalim d'une peine. Ie iray inviter Bridoye, (si bon vous semble) lequel est de mon antique congnoissance: & au quel i'ay à parler pour le bien & advencement d'un sien honeste & docte filz, lequel estudie à Tholose soubs l'auditoire du tresdocte & vertueux Boissoné. Et advisez si ie peuz rien pour l'advencement du filz, & dignité du seigneur Boissoné, lequel ie ayme & revère comme l'un des plus suffisans qui soit huy en son estat. Ie me y emploiray de bien bon coeur.

 

Comment Hippothadée Theologien donne conseil à Panurge sus l'entreprinse de mariage.

 

Chapitre XXX.

Le dipner au dimanche subsequent ne feut si tost prest, comme les invitez comparurent, excepté Bridoye lieutenant de Fonsbeton. Sus l'apport de la seconde table Panurge en parfonde reverence dist.

Messieurs, il n'est question que d'un mot. Me doibs ie marier, ou non? Si par vous n'est mon doubte dissolu, ie le tiens pour insoluble comme sont Insolubilia de Alliaco. Car vous estes tous esleuz, choisiz, & triez chascun respectivement en son estat, comme beaulx Pois sus le volet.

Le père Hippothadée à la semonce de Pantagruel, & reverence de tous les assistans respondit en modestie incroyable.

Mon amy vous nous demandez conseil, mais premier fault que vous mesmes vous conseillez. Sentez vous importunement en vostre corps les aiguillons de la chair.

Bien fort, (respondit Panurge) ne vous desplaise nostre père.

Non faict il (dist Hippothadée) mon amy. Mais en cestuy estrif: avez vous de Dieu le don & grace speciale de continence?

Ma foy non, respondit Panurge.

Mariez vous donc mon amy, dist Hippothadée. Car trop meilleur est soy marier, que ardre on feu de concupiscence.

C'est parlé cela (s'escria Panurge) gualantement, sans circumbilivaginer au tour du pot. Grand mercy monsieur nostre père. Ie me mariray sans poinct de faulte & bien tost. Ie vous convie à mes nopces. Corps de galline nous ferons chière lie. Vous aurez de ma livrée, & si mangerons de l'oye, cor beuf que ma femme ne roustira poinct. Encores vous priray ie mener la première dance des pucelles, s'il vous plaist me faire tant de bien & d'honneur, pour la pareille. Reste un petit scrupule à rompre. Petit diz ie, moins que rien. Seray ie poinct coqu?

Nenny dea mon amy (respondit Hippothadée) si Dieu plaist.

O la vertus de Dieu (s'escria Panurge) nous soit en ayde. Ou me renvoyez vous bonnes gens? Aux conditionales, les quelles en Dialectique reçoivent toutes contradictions & impossibilitez. Si mon mulet Transalpin voloit, mon mulet Transalpin auroit aesles. Si Dieu plaist, ie ne seray poinct coqu: ie seray coqu, si Dieu plaist. Deau, si feust condition à laquelle ie peusse obvier, ie ne me desespererois du tout. Mais vous me remettez au conseil privé de Dieu: en la chambre de ses menuz plaisirs. Ou prenez vous le chemin pour y aller, vous aultres François? Monsieur nostre père, ie croy que vostre mieulx sera ne venir pas à mes nopces. Le bruyt & la triballe des gens de nopces vous romperoient tout le testament. Vous aymez repous, silence, & solitude. Vous n'y viendrez pas, ce croy ie. Et puys vous dansez assez mal, & seriez honteux menant le premier bal. Ie vous envoiray du rillé en vostre chambre, de la livrée nuptiale aussy. Vous boirez à nous s'il vous plaist.

Mon amy (dist Hippothadée) prenez bien mes parolles, ie vous en prie. Quand ie vous diz, s'il plaist à Dieu, vous fays ie tord? Est ce mal parlé? Est ce condition blasphème ou scandaleuse? N'est ce le recongnoistre unicque dateur de tout bien? N'est ce nous declairer tous dependre de sa benignité? Rien sans luy n'estre, rien ne valoir, rien ne povoir: si sa saincte grace n'est sus nous incluse? N'est ce mettre exception canonicque à toutes nos entreprinses? & tout ce que proposons remettre à ce que sera disposé par sa saincte volunté, tant es cieulx comme en la terre? N'est ce veritablement sanctifier son benoist nom? Mon amy, vous ne serez poinct coqu, si Dieu plaist. Pour sçavoir sur ce quel est son plaisir, ne fault entrer en desespoir, comme de chose absconse, & pour laquelle entendre, fauldroit consulter son conseil privé, & voyager en la chambre de ses tressainctz plaisirs. Le bon Dieu nous a faict ce bien, qu'ilz nous les a revelez, annoncez, declairez, & apertemernt descriptz par les sacres Bibles. Là vous trouverez que iamais ne serez coqu, c'est à dire que iamais vostre femme ne sera ribaulde, si la prenez issue de gens de bien, instruite en vertus & honnesteté, non ayant hanté ne frequenté compaignie que de bonnes meurs, aymant & craignant Dieu, aymant complaire à Dieu par foy & observation de ses sainctz commandemens: craignant l'offenser & perdre sa grace par default de foy & transgression de sa divine loy, en laquelle est rigoureusement defendu adultère, & commendé adhaerer unicquement à son mary, le cherir, le servir, totalement l'aymer après Dieu. Pour renfort de ceste discipline vous de vostre cousté l'entretiendrez en amitié coniugale, continuerez en preud'homie, luy monstrerez bon exemple, vivrez pudicquement, chastement, vertueusement en vostre mesnaige, comme voulez qu'elle de son cousté vive. Car comme le mirouoir est dict bon & perfaict, non celluy qui plus est orné de dorures & pierreries, mais celluy qui veritablement repraesente les formes obiectes: aussi celle femme n'est la plus à estimer, laquelle seroit riche, belle, elegante, extraicte de noble race: mais celle qui plus s'efforce avecques Dieu soy former en bonne grace, & conformer aux meurs de son mary. Voyez comment la Lune ne prent lumière de Mercure, ne de Iuppiter, ne de Mars, ne d'aultre planète ou estoille qui soyt on ciel. Elle n'en reçoit que du Soleil son mary, & de luy n'en reçoit poinct plus qu'il luy en donne par son infusion & aspectz. Ainsi serez vous à vostre femme en patron & exemplaire de vertus & honnesteté. Et continuement implorerez la grace de Dieu à vostre protection.

Vous voulez doncques (dist Panurge sillant les moustaches de sa barbe) que i'espouse la femme forte descripte par Solomon. Elle est morte sans poinct de faulte. Ie ne la veid oncques, que ie saiche. Dieu me le veuille pardonner. Grand mercy toutesfoys mon père. Mangez ce taillon de massepain. Il vous aydera à faire digestion. Puys boirez une couppe de Hippocras clairet. Il est salubre & stomachal. Suyvons.

 

Comment Rondibilis medicin conseille Panurge.

 

Chapitre XXXI.

Panurge continuant son propous, dist.

Le premier mot que dist celluy, qui escouilloit les moines beurs à Saussignac, ayant escouillé le frai Cauldavreil, feut: aux aultres. Ie diz pareillement: aux aultres. Cza monsieur nostre maistre Rondibilis despeschez moy? Me doibz ie marier ou non?

Par les ambles de mon mulet (respondit Rondibilis) ie ne sçay que ie doibve respondre à ce problème. Vous dictez que sentez en vous les poignans aiguillons de sensualité. Ie trouve en nostre faculté de Medicine, & l'avons prins de la resolution des anciens Platonicques, que la concupiscence charnelle est refrenée par cinq moyens.

Par le vin, Ie le croy, dist frère Ian. Quand ie suys bien yvre, ie ne demande qu'à dormir.

I'entends (dist Rondibilis) par vin prins intemperamment. Car par l'intemperance du vin advient au corps humains refroidissement de sang, resolution des nerfs, dissipation de semence generative, hebetation des sens, perversion des mouvemens. Qui sont toutes impertinences à l'acte de generation. De faict vous voyez painct Bacchus Dieu des Yvroignes, sans barbe, & en habit de femme, comme tout effoeminé, comme eunuche & escouillé. Aultrement est du vin prins temperement. L'antique proverbe nous le designe, on quel est dict: que Venus se morfond dans la compaignie de Ceres & Bacchus. Et estoit l'opinion des anciens, scelon le recite Diodore Sicilien, mesmement des Lampsaciens: comme atteste Pausanias, que messer Priapus feut filz de Bacchus & Venus.

Secondement par certaines drogues & plantes, les quelles rendent l'home refroidy, maleficié, & impotent à generation. L'experience y est en Nymphea Heraclia, Amerine, Saule, Chenevé, Periclymenos, Tamarix, Vitex, Mandragore, Cigüe, Orchis le petit, la peau d'un Hippopotame, & aultres: les quelles dedans les corps humains tant par leurs vertus elementaires, que par leurs proprietez specificques, glassent & mortifient le germe prolificque: ou dissipent les espritz, qui le doibvoient conduire aux lieux destinez par nature: ou oppilent les voyes & conduictz, par les quelz povoit estre expulsé. Comme au contraire nous en avons qui eschaufent, excitent, & habilitent l'homme à l'acte Venerien.

Ie n'en ay besoing (dist Panurge) Dieu mercy, & vous: nostre maistre. Ne vous desplaise toutesfoys. Ce que i'en diz, n'est par mal que ie vous veuille.

Tiercement (dist Rondibilis) par labeur assidu. Car en icelluy est faicte si grande dissolution du corps, que le sang qui est par icelluy espars pour l'alimentation d'un chascun membre, n'a temps, ne loisir, ne faculté de rendre celle resudation seminale, & superfluité de la tierce concoction. Nature particuliairement se la reserve, comme trop plus necessaire à la conservation de son individu, qu'à la multiplication de l'espèce & genre humain. Ainsi est dicte Diane chaste, laquelle continuellement travaille à la chasse. Ainsi iadis estoient dictz les Castres, comme castes: es quelz continuellement travailloient les Athlètes & soubdars. Ainsi escript Hippocrates lib. de aëre, aqua, & locis, de quelques peuples en Scythie, les quelz de son temps plus estoient impotens que Eunuches, à l'esbatement Venerien: par ce que continuellement ilz estoient à cheval & au travail. Comme au contraire disent les Philosophes, Oysiveté estre mère de Luxure. Quand l'on demandoit à Ovide, quelle cause feut parquoy Aegistus devint adultère? rein plus ne respondoit, si non, par ce qu'il estoit ocieux. Et qui housteroit Oysiveté du monde, bien toust periroient les ars de Cupido. Son arc, sa trousse, & ses flèches, luy seroient en charge inutile: iamais n'en feriroit persone. Car il n'est mie si bon archier, qu'il puisse ferir les Grues volans par l'aër, & les Cerfz relancez par les boucaiges, comme bien faisoient les Parthes: c'est à dire, les humains tracassans & travaillans. Il les demande quoys, assis, couchez, & à seiour. De faict Theophraste quelques foys interrogé, quelle beste, quelle chose il pensoit estre Amourettes? respondit, que c'estoient passions des espritz ocieux. Diogenes pareillement disoit Paillardise, estre l'occupation des gens non aultrement occupez. Pourtant Canachus Sicyonien sculpteur, voulent donner entendre que Oysiveté, Paresse, non chaloir, estoient les gouvernantes de ruffiennerie, feist la statue de Venus, assise, non de bout, comme avoient faict tous ses predecesseurs.

Quartement, par fervente estude. Car en icelle est faicte incredible resolution des espritz, tellement qu'il n'en reste de quoy poulser aux lieuz destinez ceste resudation generative, & enfler le nerf caverneux: duquel l'office est hors la praiecter pour la propagation d'humaine Nature. Qu'ainsi soit, contemplez la forme d'un home attentif à quelque estude. Vous voirez en luy toutes les artères du cerveau bendées comme la chorde d'une arbaleste, pour luy fournir dextrement espritz suffisans à emplir les ventricules du sens commun, de l'imagination & apprehension, de la ratiocination & resolution, de la memoire & recordation: & agilement courir de l'un à l'aultre, par les conduictz manifestes en anatomie sus la fin du retz admirable, on quel se terminent les artères: les quelles de la fenestre armoire du coeur prenoient leur origine, & les espritz vitaulx affinoient en longs ambages, pous estre faictz animaulx. De mode que en tel personnaige studieux, vous voirez suspendues toutes les facultez naturelles: cesser tous sens exterieurs: brief, vous le iugerez n'estre en soy vivent, estre hors soy abstrait par ecstase. & direz que Socrates n'abusoit du terme, quand il disoit Philosophie n'estre aultre chose que meditation de mort. Par adventure est ce pour quoy Democritus se aveugla, moins estimant la perte de sa veue, que diminution de ses contemplations: les quelles il sentoit interrompues par l'esguarement des oeilz. Ainsi est vierge dicte Pallas: Déesse de Sapience, tutrice des gens studieux. Ainsi sont les Muses vierges. Ainsi demeurent les Charités en pudicité eternelle. Et me soubvient avoir leu, que Cupido quelques foys interrogé de sa mère Venus, pour quoy il n'assailloit les Muses? respondit, qu'il les trouvoit tant belles, tant nettes, tant honestes, tant pudicques, & continuellement occupées: l'une à contemplation des astres, l'autre à supputation des nombres, l'autre à dimension des corps Geometricques, l'aultre à invention Rhetoricque, l'aultre à composition Poëticque, l'aultre à disposition de Musique: que approchans d'elles, il desbandoit son arc, fermoit sa trousse, & extaignoit son flambeau par honte & craincte de leurs nuire. Puys houstoit le bandeau de ses oeilz pour plus apertement les veoir en face, & ouyr leurs plaisans chantz & odes Poëticques. Là prenoit le plus grand plaisir du monde. Tellement que souvent il se sentoit tout ravy en leurs beaultez & bonnes graces, & s'endormoit à l'harmonie. Tant s'en fault qu'il les voulsist assaillir, ou de leurs estudes distraire. En cestuy article ie comprens ce que escript Hippocrates on livre susdict, parlant des Scythes, & au livre intitulé, De geniture, disant tous humains estre à generation impotens, es quelz l'on a une foys couppé les artères parotides, les quelles sont à cousté des aureilles, par la raison cy davant exposée, quand ie vous parlois de la resolution des espritz, & du sang spirituel, du quel les artères font receptacles: aussi qu'il maintient grande portion de la geniture sourdre du cerveau, & de l'espine du dours.

Quintement, par l'acte Venerien.

Ie vous attendoys là, (dist Panurge) & le prens pour moy. Use des praecedens qui vouldra.

C'est (dist frère Ian) ce que Fray Scyllino prieur de sainct Victor lez Marseille appelle maceration de la chair. Et suys en ceste opinion: aussi estoit l'Hermite de saincte Radegonde au dessus de Chinon: que plus aptement ne porroient les hermites de Thebaïde macerer leurs corps, dompter ceste paillarde Sensualité, deprimer la rebellion de la chair, que le feisant vingt & cinq ou trente foys par iour.

Ie voy Panurge (dist Rondibilis) bien proportionné en ses membres, bien temperé en ses humeurs, bien complexionné en ses espritz, en aage competent, en temps oportun, en vouloir equitable de soy marier: s'il rencontre femme de semblable temperature, ilz engendreront ensemble enfans dignes de quelque monarchie Transpontine. Le plus toust sera le meilleur, s'il veult veoir ses enfans pourveuz.

Monsieur nostre maistre (dist Panurge) ie le feray, n'en doubtez, & bien toust. Durant vostre docte discours ceste Pusse que i'ay en l'aureille, m'a plus chatouillé que ne feist oncques. Ie vous retiens de la feste. Nous y ferons chère & demie, ie vous le prometz. Vous y amenerez vostre femme, s'il vous plaist, avecques ses voisines, cella s'entend. Et ieu sans villenie.

 

Comment Rondibilis declaire Coqüage estre naturellement des apennages de mariage.

 

Chapitre XXXII.

Reste (dist Panurge continuant) un petit poinct à vuider. Vous avez aultres foys veu on confanon de Rome: S.P.Q.R. Si peu que rien. Seray ie poinct coqu?

Havre de Grace (s'escria Rondibilis) que me demandez vous? Si serez coqu? Mon amy ie suys marié, vous le serez par cy après. Mais escrivez ce mot en vostre cervelle avecques un style de fer, que tout home marié, est en dangier d'estre coqu. Coqüage est naturellement des apennages de mariage. L'umbre plus naturellement ne suyt le corps, que Coqüage suyt les gens mariez. Et quand vous oirez dire de quelqu'un ces trois motz: Il est marié, si vous dictez, il est doncques, ou a esté, ou sera, ou peult estre coqu: vous ne serez dict imperit architecte de consequences naturelles.

Hypochondres de tous les Diables (s'escria Panurge) que me dictez vous!

Mon amy (respondit Rondibilis) Hippocrates allant un iour de Lango en Polystylo visiter Democritus le philosophe, escrivit unes letres à Dionys son antique amy, par les quelles le prioit que pendent son absence, il conduist sa femme chez ses père & mère, les quelz estoient gens honorables & bien famez, ne voulant qu'elle seule demourast en son mesnaige. Ce neantmoins qu'il veiglast sus elle soingneusement, & espiast quelle part elle iroit avecques sa mère, & quelz gens la visiteroient chez ses parens. Non (escrivoit il) que ie me defie de sa vertus & pudicité, laquelle par le passé m'a esté explorée & congnue: mais elle est femme. Voy là tout. Mon amy le naturel des femmes nous est figuré par la Lune, & en aultres choses, & en ceste: qu'elles se mussent, elles se constraignent, & dissimulent en la veue & praesence de leurs mariz. Iceulx absens elles prenent leur adventaige, se donnent du bon temps, vaguent, trotent, deposent leur hypocrisie, & se declairent: comme la Lune en conionction du Soleil n'apparoist on ciel, ne en terre. Mais en son opposition, estant au plus du Soleil esloingnée, reluist en sa plenitude, & apparoist toute, notamment on temps de nuyct. Ainsi sont toutes femmes, femmes.

Quand ie diz femme, ie diz un sexe tant fragil, tant variable, tant muable, tant inconstant, & imperfaict, que nature me semble (parlant en tout honneur & reverence) s'estre esguarée de ce bon sens, part lequel elle avoit créé & formé toutes choses, quand elle a basty la femme. Et y ayant pensé cent & cinq foys, ne sçay à quoy m'en resouldre: si non que forgeant la femme, elle a eu esguard à la sociale delectation de l'homme, & à la perpetuité de l'espèce humaine: plus qu'à la perfection de l'individuale muliebrité. Certes Platon ne sçait en quel ranc il les doibve colloquer, ou des animans raisonnables, ou des bestes brutes. Car Nature leurs a dedans le corps posé en lieu secret & intestin un animal, un membre, lequel n'est es hommes: on quel quelques foys sont engendrées certaines humeurs falses, nitreuses, bauracineuses, acres, mordicantes, lancinantes, chatouillantes amerement: par la poincture & fretillement douloureux des quelles (car ce membre est tout nerveux, & de vif sentement) tout le corps est en elles esbranlé, tous les sens raviz, toutes affections interinées, tous pensemens confonduz. De manière, que si Nature ne leurs eust arrousé le front d'un peu de honte, vous les voiriez comme forcenées courir l'aiguillette plus espovantablement que ne feirent oncques les Proetides, les Mimallonides, ne les Thyades Bacchicques au iour de leurs Bacchanales. Par ce que cestuy terrible animal a colliguance à toutes les parties principales du corps, comme est evident en l'Anatomie.

Ie le nomme animal, suyvant la doctrine tant des Academicques, que des Peripateticques. Car si mouvement propre est indice certain de chose animée, comm escript Aristoteles: & tout de ce qui de soy se meut, est dict animal: à bon droict Platon le nomme animal, recongnoissant en luy mouvements propres de suffocation, de praecipitation, de corrugation, de indignation: voire si violens, que bien souvent par eulx est tollu à la femme, tout aultre sens & mouvemens, comme si feust Lipothymie, Syncope, Epilepsie, Apoplexie, & vraye resemblance de mort. Oultre plus, nous voyons en icelluy, discretion des odeurs manifeste, & le sentent les femmes fuyr les puantes, suyvre les Aromaticques. Ie sçay que Cl. Galen s'efforce prouver que ne sont mouvements propres & de soy, mais par accident: & que aultres de sa secte travaillent à demonstrer, que ne soit en luy discretion sensitive des odeurs: mais efficace diverse procedente de la diversité des substances odorées. Mais si vous examinez studieusement & pesez en la balance de Critolaus leurs propous & raisons, vous trouverez que & en ceste matière, & beaucoup d'aultres ilz ont parlé par guayeté de coeur, & affection de reprendre leurs maieurs, plus que par recherchement de Verité. En ceste disputation ie ne entreray plus avant. Seulement vous diray, que petite ne est la louange des preudes femmes, les quelles ont vescu pudicquement & sans blasme, & ont eu la vertus de ranger cestuy effrené animal à l'obéissance de raison. Et seray fin si vous adiouste, que cestuy animal assovy (si assovy peut estre) par l'aliment que Narture luy a praeparé en l'homme, sont tous ses particuliers mouvemens à but: sont tous ses appetitz assopiz: sont toutes ses furies appaisées. Pourtant ne vous esbahissez, si sommes en dangier perpetuel d'estre coquz, nous qui n'avons pas touiours bien de quoy payer, & satisfaire au consentement.

Vertus d'aultre que d'un petit poisson, (dist Panurge) n'y sçavez vous remède aulcun en vostre art?

Ouy dea mon amy, (respondit Rondibilis) & tresbon, du quel ie use: & est escript en autheur celèbre passé à dix huict cens ans. Entendez.

Vous estez (dist Panurge) par la vertus Dieu homme de bien. & vous ayme tout mon benoist saoul. Mangez un peu de ce pasté de Coins: ilz ferment proprement l'orifice du ventricule à cause de quelque stypticité ioyeuse qui est en eulx, & aydent à la concoction première. Mais quoy? Ie parle Latin davant les clercs. Attendez que ie vous donne à boyre dedans cestuy hanat Nestorien. Voulez vous encores un traict de Hippocras blanc. Ne ayez paour de l'Esquinance, non. Il n'y a dedans ne Squinanthi, ne Zinzembre, ne graine de Paradis. Il n'y a que la belle cinamome triée, & le beau sucre fin, avecques le bon vin blanc du cru de la Devinière, en la plante du grand Cormier, au dessus du Noyer groslier.

 

Comment Rondibilis le medicin donne remède à Coqüage.

 

Chapitre XXXIII.

On temps (dist Rondibilis) que Iuppiter feist l'estat de sa maison Olympicque, & le calendrier de tous ses Dieux & Déesses: ayant estably à un chascun, iour & saison de sa feste: assigné lieu pour les oracles & voyages: ordonné de leurs sacrifices: Feist il poinct (demanda Panurge) comme Tinteville evesque d'Auxerre? Le noble Pontife aymoit le bon vin, comme faict tout homme de bien. Pourtant avoit il en soing & cure speciale le bourgeon père ayeul de Bacchus. Or est que plusieurs années, il veid lamentablement le bourgeon perdu par les gelées, bruines, frimatz, verglatz: froidures, gresles & calamitez advenues par les festes des S. George, Marc, Vital, Eutrope, Philippe, saincte Croix, l'Ascension, & aultres, qui sont on temps que le Soleil passe soubs le signe de Taurus. Et entra en ceste opinion, que les saincts susdictz estoient saincts gresleurs, geleurs, & guasteurs du bourgeon. Pourtant vouloit il leurs festes transplanter en hyver, entre Noël & l'Epiphanie: les licentiant en tout honneur & reverence, de gresler lors, & geler tant qu'ilz voudroient. La gelée lors en rien ne seroit dommageable, ains evidentemment profitable au bourgeon. En leurs lieux mettre les feste des sainct Christophle, sainct Ian decollaz, saincte Magdalene, saincte Anne, sainct Dominicque, sainct Laurens, voire la Myoust colloquer en May. Es quelles tant s'en fault, qu'on soit en dangier de gelée, que lors mestier on monde n'est, qui tant soit de requeste: comme est des faiseurs de friscades, composeurs de ioncades, agenseurs de feuillades, & refraischisseurs de vin.

Iuppiter (dist Rondibilis) oublia le paouvre Diable Coqüage, lequel pour lors ne feut praesent: il estoit à Paris on Palais sollicitant quelque paillard procès pour quelqu'un de ses tenanciers & vassaulx. Ne sçay quants iours après, Coqüage entendit la forbe qu'on luy avoit faict: desista de sa sollicitation par nouvelle sollicitude de n'estre forclus de l'estat: & comparut en persone davant le grand Iuppiter, alleguant ses merites precedens, & les bons & agreables services que aultres foys luy avoit faict, & instantement requerant qu'il ne le laissast sans feste, sans sacrifices, sans honneur. Iupiter se excusoit remonstrant, que tous ces benefices estoient distribuez, & que son estat estoit clous. Feut toutesfoys tant importuné par messer Coqüage, que en fin le mist en l'estat & catalogue, & luy ordonna en terre honneur, sacrifices & feste. Sa feste feut, pour ce que lieu vuide & vacant n'estoit en tout le calendrier, en concurrence & au iour de la Déesse Ialousie: sa domination, sus les gens mariez, notamment ceulx qui auroient belles femmes: ses sacrifices, soubson, defiance, malengroin, guet, recherche, & espies des mariz sus leurs femmes. Avecques commandement riguoureux à un chascun marié, de le reverer & honorer, celebrer sa feste à double: & luy faire les sacrifices susdictz. Sus peine & intermination, que à ceulx ne seroit messer Coqüage en faveur, ayde, ne secours, qui ne l'honoreroient comme est dict: iamais ne tiendroit de eulx compte: iamais n'entreroit en leurs maisons: iamais ne hanteroit leurs compaignies: quelques invocations qu'ilz luy feissent: ainsi les laisseroit eternellement pourrir seulz avecques leurs femmes sans corrival aulcun: & les refuyroit sempiternellement comme gens Haereticques & sacrilèges. Ainsi qu'est l'usance des aultres Dieux, envers ceulx qui deuement ne les honorent: de Bacchus, envers les vignerons: de Cerès, envers les laboureux: de Pomona, envers les fruictiers: de Neptune, envers les nautonniers: de Vulcan, envers les forgerons: & ainsi des aultres. Adioincte feut promesse au contraire infaillible, qu'à ceulx, qui (comme est dict) chommeroient sa feste, cesseroient de toute negociation, mettroient leurs affaires propres en non chaloir, pour espier leurs femmes, les reserrer & mal traicter par Ialousie, ainsi que porte l'ordonnance de ses sacrifices, il seroit continuellement favorables: les aymeroit, les frequenteroit, seroit iour & nuyct en leurs maisons: iamais ne seroient destituez de sa praesence? I'ay dict.

Ha, ha, ha, (dist Carpalim en riant). Voylà un remède encores plus naïf que l'anneau de Hans Carüel. Le Diable m'emport, si ie ne le croy. Le naturel des femmes est tel. Comme la fouldre ne brise & ne brusle, sinon les matières dures, solides, resistentes: elle ne se arreste es choses molles, vuides, & cedentes: elle bruslera l'espée d'assier, sans endommaiger le fourreau de velours: elle consumera les os des corps sans entommer la chaire qui les couvre: ainsi ne bendent les femmes iamais la contention, subtilité, & contradiction de lerus espritz, si non envers ce que congnoistront leurs estre prohibé & defendu.

Certes (dist Hippothadée) aulcuns de nos docteurs disent, que la première femme du monde, que les Hebrieux nomment Eve, a poine eu iamais entré en tentation de manger le fruict de tout sçavoir, s'il ne luy eust esté defendu. Qu'ainsi soit, consyderez comment le Tentateur cauteleux luy remembra on premier mot la defense sus ce faicte, comme voulent inferer: il t'est defendu, tu en doibs doncques manger: ou tu ne serois pas femme.

 

Comment les femmes ordinairement appetent choses defendues.

 

Chapitre XXXIIII.

On temps (dist Carpalim) que i'estois ruffien à Orleans, ie n'avois couleur de Rhetoricque plus valable, ne argument plus persuasif envers les dames, pour les mettre aux toilles, & attirer au ieu d'amours, que vivement, apertement, detestablement remonstrant comment leurs mariz estoient d'elles ialous. Ie ne l'avois mie inventé. Il est escript. Et en avons loix, exemples, raisons, & experiences quotidianes. Ayans ceste persuasion en leurs caboches, elles feront leurs mariz coquz infalliblement par Dieu, sans iurer, deussent elles faire ce que feirent Semyramis, Pasiphaé, Egesta, les femmes de l'isles Mandes en Aegypte blasonées par Herodotes & Strabo: & aultres telles mastines.

Vrayment (dist Ponocrates) i'ay ouy compter, que le Pape Ian XXII passant un iour par l'abbaye de Coingnaufond, feut requis par l'Abbesse, & mères discrètes, leurs conceder un indult, moyenant lequel se peussent confesser les unes es aultres, alleguantes que les femmes de religion ont quelques petites imperfections secrètes, les quelles honte insupportable leurs est deceler aux hommes confesseurs: plus librement, plus familierement les diroient unes aux aultres soubs le sceau de confession. Il n'y a rien (respondit le Pape) que voluntiers ne vous oultroye, mais ie y voy un inconvenient. C'est que la confession doibt estre tenue secrette. Vous aultres femmes à poine la celeriez. Tresbien, (dirent elles & plus que ne sont les hommes. Au iour propre le père saint leur bailla une boyte en guarde, dedans laquelle il avoit faict mettre une petite Linote: les priant doulcement qu'elles la serrassent en quelque lieu sceur & secret, leurs promettant en foy de Pape, oultroyer ce que portoit leur requeste, si elles la guardoient secrette: ce neantmoins leurs faisant defense riguoreuse, qu'elles ne eussent à l'ouvrir en façon quelconques sus poine de censure ecclesiasticque & de excommunication eternelle. La defense ne feut si tost faicte, qu'elles grisloient en leurs entendemens d'ardeur de veoir qu'estoit dedans: & leurs tardoit que le Pape ne feut ià hors la porte, pour y vacquer. Le père sainct avoit donné sa benediction sus elles, se retira en son logis. Il n'estoit encores trois pas hors l'Abbaye, quand les bonnes dames toutes à la foulle accoururent pour ouvrir la boyte defendue, & veoir qu'estoit dedans. Au lendemain le Pape les visita en intention, ce leurs sembloit, de leurs depescher l'indult. Mais avant entrer en propous, commanda qu'on luy apporta sa boyte. Elle luy feut apportée. Mais l'oizillet n'y estoit plus. Adoncques leur remonstra, que chose trop difficile leurs seroit receller les confessions, veu que n'avoient si peu de temps tenu en secret la boyte tant recommandée.

Monsieur nostre maistre, vous soyez le tresbien venu. I'ay prins moult grand plaisir vous oyant. Et loue Dieu de tout. Ie ne vous avois oncques puys veu que iouastez à Monspellier avecques nos antiques amys Ant. Saporta, Guy Bouguier, Balthasar Noyer, Tollet, Ian Quentin, François Robinet, Ian Perdrier, & François Rabelais, la morale comoedie de celluy qui avoit espousé une femme mute.

Ie y estois (dist Epistemon). Le bon mary voulut qu'elle parlast. Elle parla par l'art du Medicin & du Chirurgien, qui luy couppèrent un encyliglotte qu'elle avoit soubs la langue. La parolle recouverte, elle parla tant, & tant, que son mary retourna au Medicin pour remède de la faire taire. Le Medicin respondit en son art bien avoir remèdes propres pour faire parler les femmes: n'en avoir pour les faire taire. Remède unicque estre surdité du mary, contre cestuy interminable parlement de femme. Le paillard devint sourd par ne sçay quelz charmes qu'ilz feirent. Sa femme, voyant qu'il estoit sourd devenu, qu'elle parloit en vain, de luy n'estoit entendue, devint enraigée. Puys le Medicin demandant son salaire, le mary respondit qu'il estoit vrayment sourd: & qu'il n'entendoit sa demande. Le Medicin luy iecta on dous ie ne sçay quelle pouldre, par vertus de laquelle il devint fol. Adoncques le fol mary & la femme enragée se raslièrent ensemble & tant bastirent les Medicin & Chirurgien qu'ilz les laissèrent à demy mors. Ie ne riz oncques tant, que ie feis à ce Patelinage.

Retournons à nos moutons (dist Panurge). Vos parolles translatées de Baragouin en François voulent dire, que ie me marie hardiment, & que ne me soucie d'estre coqu. C'est bien rentré de treufles noires. Monsieur nostre maistre, ie croy bien qu'au iour de mes nopces, vous serez d'ailleurs empesché à vos pratiques, & que n'y pourrez comparoistre. Ie vous en excuse.

Stercus & urina Medici sunt prandia prima

Ex aliis paleas, ex istis collige grana.

Vous prenez mal, (dist Rondibilis) le vers subsequent est tel:

Nobis sunt signa, vobis sunt prandia digna.

Si ma femme se porte mal: I'en vouldroys veoir l'urine, (dist Rondibilis) toucher le pouls: & veoir la disposition du bas ventre, & des parties umbilicares, comme nous commende Hippo. z. Apho. 35 avant oultre proceder.

Non, non, (dist Panurge) cela ne faict à propous. C'est pour nous aultres Legistes, qui avons la rubricque, De ventre inspiciendo. Ie luy apprendray un clystère barbarin. Ne laissez vos affaires d'ailleurs plus urgens. Ie vo' envoiray du rislé en vostre maison. Et serez tousiours nostre amy.

Puys s'approcha de luy, & luy mist en main sans mot dire quatre Nobles à la rose. Rondibilis les print tresbien: puys luy dist en effroy, comme indigné.

He, he, he, monsieur, il ne failloit rien. Grand mercy toutes foys. De meschantes gens iamais ie ne prens rien. Rien iamais des gens de bien ie ne refuse. Ie suys tousiours à vostre commendement.

En payant, dist Panurge.

Cela s'entend, respondit Rondibilis.

 

Comment Trouillogan Philosophe traicte la difficulté de mariage.

 

Chapitre XXXV.

Ces parolles achevées, Pantagruel dist à Trouillogan le philosophe. Nostre feal, de main en main vous est la lampe baillée. C'est à vous maintenant de respondre. Panurge se doibt il marier, ou non?

Tous les deux, respondit Trouillogan.

Que me dictez vous, demanda Panurge?

Ce que avez ouy, respondit Trouillogan.

Que ay ie ouy? demanda Panurge.

Ce que i'ay dict, respondit Trouillogan.

Ha, ha. En sommes nous là! dist Panurge, Passe sans fluz. Et docnques me doibs ie marier ou non?

Ne l'un ne l'aultre, respondit Trouillogan.

Le Diable m'emport (dict Panurge) si ie ne deviens resveur: & me puisse emporter, si ie vous entends. Attendez: ie mettray mes lunettes à ceste aureille guausche, pour vous ouyr plus clair.

En cestuy instant Pantagruel aperceut vers la porte de la salle le petit chien de Gargantua, lequel il nommoit Kyne, pour ce que tel fut le nom du chien de Thobie. Adoncques dist à toute la compagnie. Nostre Roy n'est pas loing d'icy: levons nous. Ce mot ne feut achevé, quand Gargantua entra dedans la salle du bancquet. Chascun se leva pour luy faire reverence. Gargantua ayant debonnairement salüé toute l'assistence, dist.

Mes bons amys vous me ferez ce plaisir, ie vous en prie, de non laisser ne vos lieux ne vos propos. Apportez moy à ce bout de table une chaire. Donnez moy que ie boyve à toute la compaignie. Vous soyez les tresbien venuz. Ores me dictez. Sur quel propous estiez vous?

Pantagruel luy respondit, que sus l'apport de la seconde table Panurge avoit propousé une matière problematicque, à sçavoir s'il se doibvait marier ou non? & que le père Hippothadée & maistre Rondibilis estoient expediez de leurs responses: lors qu'il est entré respondoit le feal Trouillogan. Et premierement quand Panurge luy a demandé, me doibz ie marier ou non? avoit respondu: Tous les deux ensemblement: à la seconde foys avoit dict: Ne l'un ne l'aultre. Panurge se complainct de telles repugnantes & contradictoires responses: & proteste n'y entendre rien.

Ie l'entends (dist Gargantua) en mon advis. La response est semblable à ce que dist un ancien philosophe interrogé s'il avoit quelque femme qu'on luy nommoit? Ie l'ay (dist il) amie, mais elle ne me a mie. Ie la possède, d'elle ne suys possedé.

Pareille response (dist Pantagruel) feist une fantesque de Sparte. On luy demanda si iamais elle avoit eu affaire à homme? Respondit que non iamais: bien que les hommes quelques foys avoient eu affaire à elle.

Ainsi (dist Rondibilis) mettons nous neutre en Medicine, & moyen en philosophie: par participation de l'une & de l'aultre extremité: par abnegation de l'une & de l'aultre extremité: & par compartiment du temps, maintenant en l'une, maintenant en l'aultre extremité.

Le sainct Envoyé (dist Hippothadée) me semble l'avoir plus apertement declairé, quand il a dict. Ceulx qui sont mariez, soient comme non mariez: ceulx qui ont femme, soient comme non ayans femme.

Ie interprete (dist Pantagruel) avoir & n'avoir femme en ceste façon: que femme avoir, est l'avoir à usaige tel que nature la créa, qui est pour l'ayde, esbatement, & societé de l'home: n'avoir femme, est ne soy apoiltronner au tour d'elle: pour elle ne contaminer celle unicque & supreme affection, que doibt l'homme à Dieu: ne laisser les offices qu'il doibt naturellement à sa patrie, à la Republicque, à ses amys: ne mettre en non chaloir ses estudes & negoces, pour continuellement à sa femme complaire. Prenant ceste manière avoir & n'avoir femme, ie ne voids repugnance ne contradiction es termes.

 

Continuation des responses de Trouillogan philosophe Ephecticque & Pyrrhonien.

 

Chapitre XXXVI.

Vous dictez d'orgues, respondit Panurge. Mais ie croy que ie suis descendu on puiz tenebreux, on quel disoit Heraclytus estre Verité cachée. Ie ne voy goutte: ie n'entends rien: ie sens mes sens tout hebetez. Et doubte grandement que ie soye charmé. Ie parleray d'aultre style. Nostre feal ne bougez. N'emboursez rien. Muons de chanse, & parlons sans disiunctives. Ces membres mal ioinctz vous faschent, à ce que ie voy. Or ça de par Dieu. Me doibz ie marier.

Trouillogan. Il y a de l'apparence.

Panurge. Et si ie ne me marie poinct?

TROU. Ie n'y voy inconvenient aulcun?

PANUR. Vous n'y en voyez poinct?

TRO. Nul, ou la veue me deçoit.

PAN. Ie y en trouve plus de cinq cens.

TRO. Comptez les.

PAN. Ie diz improprement parlant: & prenent nombre certain pour incertain: determiné, pour indeterminé. C'est à dire beaucoup.

TROUIL. I'escoute.

PANUR. Ie ne peuz me passer de femme, de par tous les diables.

TROUIL. Houstez ces villaines bestes.

PANUR. De par Dieu soit, Car mes Salmiguondinoys disent coucher seul ou sans femme, estre vie brutale, & telle la disoit Dido en ses lamentations.

TROUIL. A vostre commandement.

PANUR. Pé lé qua Dé i'en suis bien. Doncques me marieray ie.

TROUIL. Par adventure.

PAN. M'en trouveray ie bien?

TRO. Scelon la rencontre.

PAN. Aussi si ie rencontre bien, comme i'espoire, seray ie heureux?

TRO. Assez.

PAN. Tournons à contrepoil. Et si rencontre mal?

TRO. Ie m'en excuse.

PAN. Mais conseillez moy de grace. Que doibs ie faire?

TRO. Ce que vouldrez.

PAN. Tarabin tarabas.

TRO. Ne invocquez rien ie vo' pris.

PA. On nom de Dieu soit, Ie ne veulx sinon ce que me conseillerez. Que m'en conseillez vous?

TRO. Rien.

PAN. Me mariray ie?

TROU. Ie n'y estois pas.

PAN. Ie ne me mariray doncques poinct?

TRO. Ie n'en peu mais.

PAN. Si ie ne suys marié, ie ne seray iamais coqu?

TRO. Ie y pensois.

PAN. Mettons le cas que ie sois marié.

TRO. Où le mettons nous?

PA. Ie diz, Prenez le cas que marié ie soys.

TRO. Ie suys d'ailleurs empesché.

PA. Merde en mon nez, Dea si ie ausasse iurer quelque petit coup en cappe, cela me soulageroit d'autant. Or bien. Patience. Et doncques, si ie suys marié, ie seray coqu?

TRO. On le diroit.

PA. Si ma femme est preude & chaste, ie ne seray iamais coqu?

TRO. Vous me semblez parler correct.

PA. Escoutez.

TRO. Tant que vouldrez.

PAN. Sera elle preude & chaste? reste seulement ce poinct.

TROUIL. I'en doubte.

PAN. Vous ne la veistez iamais?

TRO. Que ie sache.

PAN. Pourquoy doncques doubtez vous d'une chose que ne congnoissiez?

TRO. Pour cause.

PA. Et si la congnoissiez?

TRO. Encores plus.

PANU. Paige mon mignon, tien icy mon bonnet, ie te le donne, saulve les lunettes & va en la basse court iurer une petite demie heure pour moy. Ie iureray pour toy quand tu vouldras. Mais qui me fera coqu?

TROUIL. Quelqu'un.

PANUR. Par le ventre beuf de boys ie vous froteray bien monsieur le quelqu'un.

TROU. Vous le dictez.

PAN. Le diantre, celluy qui n'a poinct de blanc en l'oeil m'emporte doncques ensemble si ie ne boucle ma femme à la Bergamasque, quand ie partiray hors mon serrail.

TR. Discourez mieulx.

PA. C'est bien chien chié chanté pour les discours. Faisons quelque resolution.

TR. Ie n'y contrediz.

PA. Attendez. Puis que de cestuy endroict ne peuz sang de vous tirer, ie vous saigneray d'aultre vène. Estez vo' marié ou non?

TR. Ne l'un ne l'aultre, & tous les deux ensemble.

PA. Dieu nous soit en ayde. Ie sue par la mort beuf d'ahan: & sens ma digestion interrompue. Toutes mes phrènes, metaphrènes, & diaphragmes sont suspenduz & renduz pour incornifistibuler en gibessière de mon entendement ce que dictez & respondez.

TR. Ie ne m'en empesche.

P. Trut avant, nostre feal estez vo' marié?

TR. Il me l'est advis.

PA. Vous l'aviez esté une aultre foys?

TR. Possible est.

PA. Vous en trouvastez vous bien la première fois?

TR. Il n'est pas impossible.

P. A ceste seconde fois comment vous en trouvez vous?

TR. Comme porte mon sort fatal.

PANUR. Mais quoy à bon essiant, vous en trouvez vous bien?

TROUIL. Il est vraysemblable.

PANU. Or ça de par Dieu. I'aymerois par le fardeau de sainct Christofle autant entreprendre de tirer un pet d'un Asne mort, que de vous une resolution. Si vous auray ie à ce coup. Nostre feal, faisons honte au diable d'enfer, confessons verité. Feustez vous iamais coqu? Ie diz vous qui estez icy: ie ne diz pas vous qui estez là bas au ieu de paulme.

TROUIL. Non, s'il n'estoit praedestiné.

PAN. Par la chair, ie renie: par le sang, ie renague: par le corps, ie renonce. Il m'eschappe.

A ces mots Gargantua se leva, & dist. Loué soit le bon Dieu en toutes choses. A ce que ie voy, le monde est devenu beau filz: depuys ma congnoissance première. En sommes nous là? Doncques sont huy les plus doctes & prudens Philosophes entrez on phrontistère & escholle des Pyrrhoniens, Aporrheticques, Scepticques, & Epheticques. Loué soit le bon Dieu. Vrayment on pourra dorenavant prendre les Lions par les iubes: les chevaulx par les crains: les boeufz par les cornes: les buffles, par le museau: les loups, par la queue: les chèvres, par la barbe: les oiseaux, par les piedz. Mais ià ne seront telz Philosophes par leurs parolles pris. Adieu mes bons amys. Ces motz prononcez, se retira de la compaignie. Pantagruel & les aultres le vouloient suyvre: mais il ne le voulut permettre.

Issu Gargantua de la salle, Pantagruel dist es invitez. Le Timé de Platon au commencement de l'assemblée compta les invitez: nous au rebours les compterons en la fin. Un, deux, trois: où est le quart? N'estoit ce nostre amy Bridoye?

Epistemon respondit, avoir esté en sa maison pour l'inviter: mais ne l'avoir trouvé. Un huissier du parlement Myrelinguoys en Myrelingues, l'estoit venu querir & adiourner pour personellement comparoistre, & davant les Senateurs raison rentre de quelque sentence par luy donnée. Pourtant estoit il au iour praecedent departy affin de soy repraesenter au iour de l'assignation, & ne tomber en deffault ou contumace.

Ie veulx (dist Pantagruel) entendre que c'est. Plus de quarante ans y a qu'il est iuge de Fonsbeton: icelluy temps pendent a donné plus de quatre mille sentences definitives. De deux mille trois cens & neuf sentences par luy données, feut appellé par les parties condemnées en la Court souveraine du parlement Myrelinguoys en Mirelingues: toutes par arrestz d'icelle ont esté ratifiées, approuvées, & confirmées: les appeaulx renversez, & à neant mis. Que maintenant doncques soit personnellement adiourné sus ses vieulx iours: il qui par tout le passé a vescu tant sainctement en son estat, ne peut estre sans quelque desastre. Ie luy veulx de tout mon povoir estre aidant en aequité. Ie sçay huy tant estre la malignité du monde aggravée, que bon droict a bien besoing d'aide. Et praesentement delibère y vacquer de paour de quelque surprinse.

Allors feurent les tables levées. Pantagruel feist es invitez dons precieux & honorables de bagues, ioyaulx, & vaissele tant d'or comme d'argent: & les avoir cordialement remercié, se retira vers sa chambre.

 

Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre conseil de quelque fol.

 

Chapitre XXXVII.

Pantagruel soy retirant, aperceut par la guallerie Panurge en maintien de un resveur ravassant, & dodelinant de la teste, & luy dist.

Vous me semblez à une souriz empegée: tant plus elle s'efforce soy depestrer de la poix, tant plus elle s'en embrène. Vous semblablement efforsant issir hors les lacs de perplexité, plus que davant y demourez empestré, & n'y sçay remède fors un. Entendez. I'ay souvent ouy en proverbe vulguaire, Qu'un fol enseigne bien un saige. Puys que par les responses des saiges n'estez à plein satisfaict, conseillez vous à quelque fol. Pourra estre que ce faisant, plus à vostre gré serez satisfaict & content. Par l'advis, conseil, & prediction des folz vous sçavez quants princes, roys, & republicques ont esté conservez, quantes batailles guaingnées, quantes perplexitez dissolues. Ià besoing n'est vous ramentevoir les exemples. Vous acquiescerez en ceste raison. Car comme celluy qui de près reguarde à ses affaires privez & domesticques, qui est vigilant & attentif au gouvernement de sa maison, duquel l'esprit n'est poinct esguaré, qui ne pert occasion quelconques de acquerir & amasser biens & richesses, qui cautement sçayt obvier es inconveniens de paouvreté, vous appellez Saige mondain, quoy que fat soit il en l'estimation des Intelligences coelestes: ainsi fault il pour davant icelles saige estre: ie diz sage & praesage par Inspiration divine, & apte à recepvoir benefice de divination, se oublier soy mesmes, issir hors de soy mesmes, vuider ses sens de toute terrienne affection, purger son esprit de toute humaine sollicitude, & mettre tout en non chaloir. Ce que vulguairement est imputé à follie. En ceste manière feut du vulgue imperit appellé Fatuel le grand vaticinateur, Faunus filz de Picus roy des Latins. En ceste manière voyons nous entre les Iongleurs à la distribution des rolles le personaige du Sot & du Badin estre tousiours représenté par le plus perit & perfaict ioueur de leur compaignie. En ceste manière disent les Mathematiciens un mesmes horoscope estre à la nativité des Roys & des Sotz. Et donnent exemple de Aeneas & Choroebus, lequel Euphorion dict avoir esté fol, qui eurent un même genethliaque. Et ne seray hors de propous, si ie vous raconte ce que dict Io. André sus un canon de certain rescript papal addressé au Maire & Bourgeoys de la Rochelle: & après luy Panorme en mesmes canon: Barbatia sus les Pandectes, & recentement Iason en ses conseilz, de Seigny Ioan fol insigne de Paris, bisayeul de Caillette. Le cas est tel.

A Paris en la roustisserie du petit Chastelet, au davant de l'ouvroir d'un Roustisseur, un Faquin mangeoit son pain à la fumée du roust, & le trouvoist ainsi perfumé grandement savoureux. Le Roustisseur le laissoit faire. En fin quand tout le pain feut baufré, le Roustisseur happe le Faquin au collet, & vouloit qu'il luy payast la fumée de son roust. Le Faquin disoit en rien n'avoir ses viandes endommaigé, rien n'avoir du sien prins: en rien ne luy estre debiteur. La fumée dont estoit question, evaporoit par dehors: ainsi comme ainsi se perdoit elle: iamais n'avoit esté ouy que dedans Paris on eust vendu fumée de roust en rue. Le Roustisseur replicquoit que de fumée de son roust n'estoit tenu nourrir les Faquins: & renioit en cas qu'il ne le payast, qu'il luy housteroit ses crochetz. Le Faquin tire son tribart, & se mettoit en defense. L'altercation feut grande. Le badault peuple de Paris accourut au debat de toutes pars. Là se trouva à propous Seigny Ioan le fol Citadin de Paris. L'ayant apperceu le Roustisseur, demanda au Faquin. Veulx tu sus nostre different croire ce noble Seigny Ioan? Ouy par le sambreguoy, respondit le Faquin. Adoncques Seigny Ioan avoir leur discord entendu, commenda au Faquin, qu'il luy tirast de son baudrier quelque pièce d'argent. Le Faquin luy mist en main un Tournoys Philippus. Seigny Ioan le print, & le mist sus son espaule guausche, comme explorant s'il estoit de poys: puys le timpoit sus la paulme de sa main guausche, comme pour entendre s'il estoit de bon alloy: puys le posa sus la prunelle de son oeil droict, comme pour veoir s'il estoit bien marqué. Tout ce feut faict en grande silence, de tout le badault peuple, en ferme attente du Roustisseur, & desespoir du Faquin. En fin le feist sus l'ouvroir sonner par plusieurs foys. Puys en maiesté Praesidentale tenent sa marote on poing, comme si feust un sceptre, & affeublant en teste son chapperon de martres cingesses à aureilles de papier, fraizé à poincts d'orgues, toussant prealablement deux ou trois bonnes foys, dist à haulte voix. La court vous dict, que le Faquin qui a son pain mangé à la fumée du roust, civilement a payé le Roustisseur au son de son argent. Ordonne la dicte court que chascun se retire en sa chascunière: sans despens, & pour cause.

Ceste sentence du fol Parisien tant a semblé equitable, voire admirable es docteurs sudictz, qu'ilz font doubte en cas que la matière eust esté on Parlement dudict lieu, ou en la rotte à Rome, voire certes entre les Areopagites decidée, si plus iuridicquement eust esté par eulx sententié. Pourtant advisez si conseil voulez de un fol prendre.

 

Comment par Pantagruel & Panurge est Triboullet blasonné.

 

Chapitre XXXVIII.

Par mon ame (respondit Panurge) ie le veulx. Il m'est advis que le boyau m'eslargist. Ie l'avois naguères bien serré & constipé. Mais ainsi comme avons choisy la fine crème de Sapience pour conseil, aussi vouldrois ie qu'en nostre consultation praesidast quelqu'un qui feust fol en degré souverain.

Triboulet (dist Pantagruel) me semble competentement fol.

Panurge respond. Proprement & totalement fol.

f. fatal. f. de haulte game.

f. de nature. f. de b quarre & de b mol

f. celeste. f. terrien.

f. Iovial. f. ioyeulx & folastrant.

f. Mercurial. f. iolly & folliant.

f. Lunaticque. f. à pompettes.

f. erraticque. f. à pilettes.

f. eccentricque. f. à sonnettes.

f. aeteré & Iunonien. f. riant & Venerien.

f. arcticque. f. de soustraicte.

f. heroicque. f. de mère goutte.

f. Genial. f. de la prime cuvée.

f. praedestiné. f. de montaison.

f. Auguste. f. original.

f. Caesarin. f. Papal.

f. Imperial. f. consistorial.

f. Royal. f. conclaviste.

f. Patriarchal. f. buliste.

f. Original. f. synodal.

f. loyal. f. Episcopal.

f. ducal. f. Doctoral.

f. banerol. f. Monachal.

f. seigneurial. f. fiscal.

f. palatin. f. extravaguant.

f. principal. f. à bourlet.

f. pretorial. f. à simple tonsure.

f. total. f. cotal.

f. eleu. f. gradué nommé en follie.

f. curial. f. commensal.

f. primipile f. premier de sa licence.

f. triumphant. f. caudataire.

f. vulguaire. f. de supererogation.

f. domesticque. f. collateral.

f. exemplaire. f. alateré alteré.

f. rare & peregrin. f. niais.

f. aulicque. f. passagier.

f. civil. f. branchier.

f. populaire. f. f. aguard.

f. familier; f. gentil.

f. insigne. f. maillé.

f. favorit. f. pillart.

f. Latin. f. revenu de queue.

f. ordinaire. f. griays.

f. redoubté. f. radotant.

f. transcendent. f. de soubarbade.

f. souverain. f. boursouflé.

f. special. f. supercoquelicantieux.

f. ecstaticque. f. de levant.

f. Categoricque. f. soubelin.

f. predicable. f. cramoisy.

f. decumane. f. tainct en graine.

f. officieux. f. bourgeoys.

f. de perspective. f. vistempenard.

f. d'Algorisme. f. de gabie.

f. d'Algebra. f. modal.

f. de Caballe. f. de seconde intention.

f. Talmudicque. f. Tacuin.

f. d'Alguamala f. heteroclite.

f. compendieux. f. Sommiste.

f. abrevié. f. Abreviateur.

f. hyperbolicque. f. de morisque.

f. antonomaticque. f. bien nullé.

f. allegoricque. f. mandataire.

f. tropologicque. f. capussionnaire.

f. pleonasmicque. f. titulaire.

f. capital. f. Tapinois.

f. cerebreux. f. rebarbatif.

f. cordial. f. bien mentulé.

f. intestin. f. mal empieté.

f. epaticque. f. couilart.

f. spleneticque. f. grimault.

f. venteux. f. esventé.

f. legitime. f. culinaire.

f. d'Azimuth. f. de haulte fustaie.

f. d'Almucantarath. f. contrehastier.

f. proportionné. f. marmiteux.

f. d'architrave. f. catarrhé.

f. de pedestal. f . braguart.

f. parraguon. f. à xxiiij. caratz.

f. celèbre. f. bigearre.

f. alaigre. f. guinguoys.

f. solenel. f. à la Martingualle.

f. annuel. f. à bastons.

f. festival. f. à marotte.

f. recreatif. f. de bon bies.

f. villaticque. f. à la grande laise.

f. plaisant. f. trabuchant.

f. privilegié. f. susanné.

f. rusticque. f. de rustrie.

f. ordinaire. f. à plain bust.

f. de toutes heures. f. guourrier.

f. en diapason. f. guourgias.

f. resolu. f. d'arrachepied.

f. hieroglyphicque. f. de rebus.

f. autenticque. f. à patron.

f. de valleur. f. à chapron.

f. precieux. f. à double rebras.

f. fanaticque. f. à la Damasquine.

f. fantasticque. f. de tauchie.

f. lymphaticque. f. d'azemine.

f. Panicque. f. barytonant.

f. alambicqué. f. mouscheté.

f. non fascheux. f.à espreuve de hacquebutte.

PANT. Si raison estoit pourquoy iadis en Rome les Quirinales on nommoit la efste des folz, iugement en France on pourroit instituer les Triboulletinales.

PAN. Si tous folz portoient cropière, il auroit les fesses bien escorchées.

PANT. S'il estoit Dieu Fatuel, du quel avons parlé, mary de la dive Fatue, son père seroit Bonadies, sa grande mère Bonedée.

PAN. Si tous folz alloient les ambles, quoy qu'il ayt les iambes tortes, il passeroit de une grande toise. Allons vers luy sans seiourner. De luy aurons quelque belle resolution, ie m'y attends.

Ie veulx (dist Pantagruel) assister au iugement de Bridoye. Ce pendent que ie iray en Myrelingues, (qui est delà la rivière de Loyre) ie depescheray Carpalim pour de Bloys icy amener Triboullet.

Lors feut Carpalim depesché. Pantagruel accompaigné de ses domesticques Panurge, Epistemon, Ponocrates, frère Ian, Gymnaste, Rhizotome, & aultres print le chemin de Myrelingues.

 

Comment Pantagruel assiste au iugement du iuge Bridoye, lequel sententioit les procès au sort des dez.

 

Chapitre XXXIX.

Au iour subsequent à heure de l'assignation Pantagruel appriva en Myrelingues. Les President, Saneteurs, & Conseillers le prièrent entrer avecques eulx, & ouyr la decision des causes & raisons que allegueroit Bridoye, pourquoy auroit donné certaine sentence contre l'esleu Toucheronde, laquelle ne sembloit du tout aequitable à icelle Court centumvirale. Pantagruel entre voluntiers: & là trouve Bridoye on milieu du parquet assis: & pour toutes raisons & excuses rien plus ne espondent, si non qu'il estoit vieulx devenu, & qu'il n'avoit la veue tant bonne comme de coustume: alleguant plusieurs mières & calamitez que vieillesse apporte avecques soy, les quelles not. per Archid. d. lxxxvj.c. tanta. Pourtant ne congnoissoit il tant distinctement les poinctz des dez, comme avoit faict par le passé. Dont povoit estre, qu'en la façon que Isaac vieulx & mal voyant print Iacob pour Esaü: ainsi à la decision du procès, dont estoit question, il auroit prins un quatre pour un cinq: notamment referent que lors il avoit usé de petits dez. Et que par disposition de droit les imperfections de Nature ne doibvent estre imputées à crime, comme apert ff. de re milit. l. qui cum uno. ff. de reg. iur. l. fere. ff. de edil. ed. per totum. ff. de term. mo. l. Divus Adrianus resolu. per Lud. Ro. in l. si vero. ff. solu. matri. Et qui aultrement feroit, non l'homme accuseroit mais Nature, comme est evident in 1. maximum vitium. C. de lib. praeter.

Quels dez (demandoit Trinquamelle grand President d'icelle court) mon amy entendez vous?

Les dez (respondit Bridoye) des iugements, Alea iudiciorum des quelz est escript par doct. 26. q. ij. c. Sors. l. nec emptio. ff. de contrah. empt. l. quod debetur. ff. de pecul. & ibi Barthol. Et des quelz dez vous aultres messieurs ordinairement usez en vostre court souveraine, aussi font tous aultres iuges en decisions des procès, suyvans ce qu'en a noté. D. Henr. Ferrandat. & no. gl. in c. fin. de sortil. & l. sed. cum ambo. ff. de iudi. ubi doct. notent que le sort est fort bon, honeste, utile & necessaire à vuidange des procès & dissentions. Plus encores apertement l'ont dict Bal. Bart. & Alex. C. communia. de l. Si duo.

Et comment (demandoit Trinquamelle) faictez vous mon amy?

Ie (respondit Bridoye) responderay briefvement scelon l'enseignement de la 1. Ampliorem. §. in refutatoriis. C. de appella. & ce que dit Gl. l. ff. quod met. cau. Gaudent brevitate moderni. Ie fays come vous aultres messieurs, & comme est l'usance de iudicature: à laquelle nos droictz commendent tousiours deferer. ut no. extra de consuet. c. ex literis. & ibi Innoc. Ayant bien veu, reveu, leu, releu, paperassé, & feuilleté les complainctes, adiournemens, comparitions, commissions, informations, avant procedez, productions, alleguations, intendictz, contredictz, requestes, enquestes, repliques, dupliques, tripliques, escriptures, reproches, griefz, salvations, recollemens, confrontations, acarations, libelles, apostoles, letres royaulx, compulsoires, declinatoires, anticipatoires, evocations, envoyz, renvoyz, conclusions, fins de non proceder, apoinctemens, reliefz, confessions, exploictz, & aultres telles dragées & espisseries d'une part & d'aultre, comme doibt faire le bon iuage scelon qu'en a no. Spec. de ordinario. §. iij. & tit. de offi. om. iu. § fi. & de rescriptis praesenta. §. j. Ie pose sus le bout de table en mon cabinet tous les sacs du defendeur: & luy livre chanse premierement, comme vous aultres messieurs. Et est not. l. Favorabiliores. ff. de reg. iur. & in c. cum sunt cod. tit. lib. vj. qui dict Cum sunt partium iura obscura, reo favendu est potius quand actori. Cela faict ie pose les sacs du demandeur, comme vous aultres messieurs, sus l'aultre bout visum visu. Car, opposita iuxta se posita magis elucesunt. ut not. in l. j. § videamus. fff. de his qui sunt fui vel. allie. iur. & in l. munerum. j. mixta. ff. de muner. & honor. Pareillement & quant & quand ie luy livre chanse.

Mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, à quoy congnoissez vous l'obscurité des droictz praetenduz par les parties playdoiantes?

Comme vous aultres messieurs, (respondit Bridoye) sçavoir est quand il y a beaucoup de sacs d'une part & de aultre. Et lors ie use de mes petitz dez, comme vous aultres messieus, suyvant la loy, Semper in stipulationibus. ff. de reg. iur. & la loy versale versifiée, cod. tit. Semper in obscuris quod minimum est sequimur. canonizée in c. in obscuris eod. tit. lib. vi. I'ay d'aultres gros dez bien beaulx & harmonieux, des quelz ie use, comme vous aultres messieurs, quand la matière est plus liquide, c'est à dire, quand moins y a de sacs.

Cela faict, (demandoit Trinquamelle) comment sententiez vous, mon amy?

Comme vous aultres messieurs, respondit Bridoye, pour celluy ie donne sentence du quel la chanse livrée par le sort du dez iudiciaire, tribunian, praetorial, premier advient. Ainsi commendent nos droictz.ff. qui po. in pig. l. potior. leg. creditor. C. de consul? l. j. Et de reg. iur. in vj. Qui prior est tempore, potior est iure.

 

Comment Bridoye expose les causes pourquoy il visitoit les procès qu'il decidoit par le sort des dez.

 

Chapitre XL.

Voyre mais (demandoit Trinquamele) mon amy, puis que par sort & iect des dez vous faictez vos iugemens, pourquoy ne livrez vous ceste chanse le iour & heure propre que les parties controverses comparent par davant vous, sans aultre delay? De quoy vous servent les escriptures & aultres procedures contenues dedans les sacs?

Comme à vous aultres messieurs (respondit Bridoye) elles me servent de trois choses exquises, requises, & autenticques. Premierement pour la forme, en omission de laquelle ce qu'on a faict n'estre valable pourve tresbien Spec. tit. de instr. edi. & tit. de rescrip. praesent. D'advantaige vous sçavez trop mieulx, que souvent en procedures iudicaires les formalitez destruisent les materialitez & substances. Car forma mutata mutatur substantia. ff. ad. exhib. l. Iulianus. ff. ad leg. falcid. l. Si is qui quadringenta. Et extra de dedi. c. ad audientiam, & de celebra. miss. c. in quadam.

Secondement comme à vous aultres messieurs, me servent d'excercice honneste & salutaire. Feu M. Othoman Vadate grand Medicin, comme vous diriez. C. de comit. & archi. lib. xij. m'a dict maintes foys que faulte d'exercitation corporelle, est cause unicque de peu de santé & briefveté de vie de vous aultres messieurs, & tous officiers de iustice. Ce que tresbien avant luy estoit noté par Bart. in. l. j. C. de senten. quae pro eo quod. Pourtant sont comme à vous aultres messieurs, à nous consecutivement, quia accessorium naturam sequitur principalis de reg. iur. lib. vj. & l. cum principalis. & l. nihil dolo. ff. eod. titu. ff. de fideiusso. l. fideiussor. & extra de offi. de leg. c. j. concedez certains ieuz d'exercice honneste & recreatif. ff. de al. lus. & aleat. l. solent. & autent. ut omnes obediant, in princ. coll. vij. & ff. de praescript. verb. l. si gratuitam. & l.j. C. de sepct. lib. xj. Et telle est l'opinion D. Thomae in secunda secundae, quaest. clxiij. bien à propous alleguée per D. Alber. de Ros. lequel suit magnus practicus & docteur solennel, comme atteste Barbatia in prin. consil. La raison est exposée per gl. in proemio ff. § ne auton tertij.

Interpone tuis interdum gaudia curis.

De faict un iour en l'an 1489 ayant quelque affaire brutal en la chambre de messieurs les Generaulx, & y entrant par permission pecuniaire de l'huissier, comme vous aultres messieurs sçavez que: pecuniae obediunt omnia, & la dict Bald. in l. Singularia. ff. si certum pet. & Salic. in l. recepticia. C. de constit. pecun. & Card. in Cle. j. de baptis. Ie les trouvay tous iouans à la mousche par exercice salubre avant le past, ou après: il m'est indifferent pourveu que hic no. que le ieu de la mousche est honneste, saluvre, antique, & legalia Musco inventore. de quo. C. de petit. hared. l. si post motam: & Muscarij. i. ceulx qui iouent à la mousche sont excusables de droict. l. j. C. de excus. artif. lib. x. Et pour lors estoit de mousche. M. Tielman Picquet, il m'en soubvient: & rioyt de ce que messieurs de la dicte chambre guastoient tous leurs bonnetz à force de luy dauber ses espaules: les disoit ce nonobstant n'estre de ce deguast de bonnetz excusables, au retour du palais envers leurs femmes par c. i. extra de praesump. & ibi gl. Or resolutoriem loquendo: `ie diroys comme vous aultres messieurs, qu'il n'est exercice tel, ne plus aormatisant en, ce monde Palatin, que vuider sacs, feueilleter papiers, quotter cayers, emplir paniers, & visiter procès. ex Bart. & lo. de pra. in l. salsa. de condit. & demon ff.

Tiercement, comme vous aultres messieurs, ie consydère que le temps meurist toutes choses: par temps toutes choses viennent en evidence: le temps est père de Verité. gl. in l. j. C. de servit. Autent de restit. & ea quae pa. & Spec. tit. de requis. cons. C'est pourquoy, comme vous aultres messieurs ie sursoye, delaye, & diffère le iugement: affin que le procès bien ventilé, grabelé, & debatu vieigne par succession de temps à sa maturité: & le sort part après advenent, soit plus doulcettement porté des parties condemnées. comme no. glo. ff. de excu. tut. l. Tria onera Portatur leviter, quod portat quisque libenter. Le iugeant crud, verd, & au commencement, dangier seroit de l'inconvenient que disent les Medicins advenir, quand on perse un aposteme avant qu'il soit meur, quand on purge du corps huimain quelque humeur nuysant avant sa concoction. Car comme est escript in Autent. Hec. consist. in inno. const. prin. & le repète gl. in c. Caeterum extra de iura. calum. Quod medicamenta morbis exhibent, hoc iura negotiis. Nature d'adventaige nous instruict cuillir & manger les fruictz quand ilz sont meurs. instit. de re. di. § is ad quem. & ff. de acti. empt. l. Iulianus. Marier les filles, quand elles sont meures. ff de donat. int. vir. & vxo. l. cum hic stat'. § si quia sponsa. & 27. q. j. c. Sicut dict gl. Iam matura thoris plenis adoleverat annis Virginitas, Rien ne faire qu'en toute maturité xxiij. Q. ij. § vlt. & xxxiij. d. c. vlt.

 

Comment Bridoye narre l'histoire de l'apoincteur de procès.

 

Chapitre XLI.

Il me soubvient à ce propous (dist Bridoye continuant) que on temps que i'estudiois à Poictiers en droict soubs Brocadium Iuris, estoit à Semervé un nommé Perrin Dendin, homme honorable, bon laboureur, bien chantant au letrain, homme de credit, & aagé autant que le plus de vous aultres messieurs: lequel disoit avoir veu le grand bon homme Concile de Latran avecques son gros Chappeau rouge, ensemble la bonne dame Pragmaticque Sanction sa femme avecques son large tissu de satin pers, & ses grosses patenostres de Gayet. Cestuy homme de bien apoinctoit plus de procès, qu'il n'en estoit vuidé en tout le palais de Poictiers, en l'auditoire de Montmorillon, en la halle de Parthenay le vieulx. Ce que le faisoit venerable en tout le voisinage. De Chauvigny, Nouaillé, Croutelles, Aisgne, Legugé, La motte, Lusignan, Vivonne, Mezeaulx, Estables, & lieux confins tous les debatz, procès & differens, estoient par son devis vuidez, comme par iuge souverain, quoy que iuge ne feust, mais homme de bien. Arg. in l. sed. si unius. ff. de iureiu. & de verb. oblig. l. continuus. Il n'estoit tué pourceau en tout le voisinage, dont il n'eust de la hastille & des boudins. Et estoit presque tous les iours de banquet, de festin, de nopces, de commeraige, de relevailles, & en la taverne: pour faire quelque apoinctement, entendez. Car iamais n'apoinctoit les parties, qu'il ne les feist boyre ensemble par symbole de reconliation, d'accord perfaict, & de nouvelle ioye. ut no. per doct. ff. de peri. & comm. rei. vend. l. I.

Il eut un filz nommé Tenot Dendin, grand hardeau, & gualant home, ainsi m'aist Dieu, lequel semblablement voulut s'entremettre d'appoincter les plaidoians: comme vous sçavez que:

Soepe solet similis filius esse patri.

Et sequitur leviter, filia matris iter.

ut ait gl. vj. q. j. c. Siquis. g. de cons. d. v. c. j. fi. & est no. per doct. C. de impu. & aliis subt. l. ult. & l. legitimae. ff. de stat. hom. gl. in l. quod si nolit. ff. de. edil. ed. l. quis. C. ad. le Iul. maiest. Excipio filios a moniali susceptos ex monacho, per gl. in c. Ompudicas. xxvii. q. I. Et se nommoit en ses tiltres, L'apoincteur des procès. En cestuy negoce tant estoit actif& vigilant. Car vigilantibus iura subveniunt, ex. l. pupillus. ff. quae in fraud. cred. & ibid. l. non enim. & instit. in pro oemio: que incontinent qu'il sentoit ut. ff. si quad. pau. fec. l. Agaso. gl. in verbo. olfecit. i. nasum ad culum prosuit, & entendoit par pays estre meu procès ou de debat, il se ingeroit d'apoincter les parties. Il est escript.

Qui non laborat, non manige ducat,

& le dict gl. ff. de dam. infect. l. quanvis. & Currere plus que le pas: vetulam compellit egestas. gl. ff. de lib. agnost. l. Si quis pro qua facit. l. si plures C. de cond. incer. Mais en tel affaire il feut tant malheureux, que iamais n'apoincta different quelconques, tant petit feust il que sçauriez dire. En lieu de les apoincter, il les irritoit & aigrissoit d'adventaige. Vous sçavez messieurs que,

Sermo datur cunctis, animi sapientia paucis.

gl. ff. de alie. iu. mu. caus. sa. l. ij. Et disoient les taverniers de Semarve, que soubs luy en un an ilz n'avoient tant vendu de vin d'apoinctation, (ainsi nommoient ilz le bon vin de Legugé) comme ilz faisoient soubz son père en demie heure. Advins qu'il s'en plaignit à son père, & referoit les causes de ce meshaing en la perversité des hommes de son temps, franchement luy obiectant: que si on temps iadis le monde eust esté ainsi pervers, playdoiart, detravé, & inapoinctable, il son père, n'eust acquis l'honneur & tiltre d'Apoincteur tant irrefragable, comme il avoit. En quoy faisoit Tenot contre droict, par lequel est es enfans defendu reprocher leurs propres pères per gl. & Bar. l. iij. § Siquis. ff. de condi. ob caus. & autent. de nup. § Sed quod fancitum coll. iiij. Il faut (respondit Perrin) faire aultrement Dendin mon filz. Or quand oportet vient en place, il convient qu'ainsi se face. gl. C. de appell. l. eos etiam. Ce n'est là que gist le Lièvre. Tu n'apoincte iamais les differens. Pourquoy? Tu les prens dès le commencemens estans encores verds & cruds. Ie les apoincte tous. Pourquoy? Ie les prens sur leur fin bien meurs & digerez. Ainsi dist gl.

Dulcior est fructus, post multa pericula ductus.

l. non moriturus. C. de contrah. & comit. stip. Ne sçaiz tu qu'on dict en proverbe commun, Heureux estre le medicin, qui est appellé sus la declination de la maladie? La maladie de soy criticquoit, & tendoit à fin encores que le medicin n'y survint. Mes plaidoieurs semblablement de soy mesmes declinoient on dernier but de playdoirie: car leurs bourses estoient vuides, de soy cessoient poursuyvre & solliciter: plus d'aubert n'estoit en fouillouse pour solliciter & poursuyvre.

Deficiente pecu, deficit omne, nia.

Manquoit seulement quelqu'un qui feust comme paranymphe & mediateur, qui premier parlast d'apoinctement, pour soy saulver l'une & l'aultre partie de ceste pernicieuse honte, qu'on eust dict, cestuy cy premier s'est rendu: il a premier parlé d'apoinctement: il a esté las le premier: il n'avoit le meilleur droict: il sentoit que le bast le blessoit. Là (Dendin) ie me trouve à propous, comme lard en poys. C'est mon heur. C'est mon guaing. C'est ma bonne fortune. Et te diz (Dendin mon filz ioly) que par ceste methode, ie pourrois paix mettre, ou trèves pour le moins, entre le grand Roy & les Venitiens: entre l'empereur & les Suisses, entre les Anglois & Escossois: entre le Pape & les Ferrarois. Iray ie plus loing? Ce m'aist Dieu, entre le Turc & le Sophy: entre les Tartres & les Moscovites. Entends bien. Ie les prendrois sus l'instant que & les uns & les aultres seroient las de guerroier: qu'ilz auroient vuidé leurs coffres: expulsé les bourses de leurs subiectz: vendu leur dommaine: hypothequé leurs terres: consumé leurs vivres & munitions. Là de par Dieu ou de par sa mère: force forcée leurs est respirer, & leurs felonnies moderer. C'est la doctrine in gl. xxxvii. d.c. Si quando.

Odero si potero, si non, invitus amabo.

 

Comment naissent les procès, & comment ilz viennent à perfection.

 

Chapitre XLII.

C'est pourquoy (dist Bridoye continuant) comme vous aultres messieurs, ie temporize attendant la maturité du procès, & sa perfection en tous membres: ce sont escriptures & sacs. Arg. in l. si maior C. commu. divi. & de cons. d. I. c. Solennitates. & ibi gl. Un procès a sa naissance première me semble, comme à vous aultres messieurs, informe & imperfaict. Comme un Ours naissant n'a pieds ne mains, peau, poil, ne teste, ce n'est qu'une pièce de chair rude & informe. L'ourse à force de leicher la mect en perfection des membres. ut no. doct. ff. ad leg. A quil. l. ii. in fi. Ainsi voy ie, comme vous aultres messieurs, naistre les procès à leurs commencemens informes & sans membres. Ilz n'ont qu'une pièce ou deux: c'est pour lors une laide beste. Mais lors qu'ilz sont bien entassez, enchassez, & enfaschez, on les peut vrayement dire membruz & formez. Car forma dat esse rei. l. si is qui. ff. ad leg. falci. in c. cum dilecta extra de rescrip. Barbatia consil. 12. lib. 2 & davant luy Bald. in. c. ulti. extra de consue. & l. Iulianus. ff. ad exib. & l. quaesitum ff. de lega. iii. La manière est telle que dict gl. p. q. j. c. Paulus Debile principium melior fortuna sequetur. Comme vous aultres messieurs, semblablement les sergens, huissiers, appariteurs, chiquaneurs, procureurs, commissaires, advocatz, enquesteurs, tabellions, notaires, grephiers, & iuges pedanées de quibus tit. est lib. iij. Cod. sugsans bien fort & continuellement les bourses des parties, engendrent à leurs procès teste, pieds, gryphes, bec, dents, mains, vènes, artères, nerfz, muscles, humeurs. Ce sont les sacs. gl. de cons. d. iiij. c. accepisti. Qualis vestis erit, talia corda gerit. Hic no. qu'en ceste qualité plus heureux sont les plaidoyans que les ministres de Iustice. Car, beatius est dare, quam accipere. ff. comm. l. iij. & extra de celebra. miss. c. cum Marthae. Et 24. q. j. c. Odi. gl. Affectum dantis pensat censura tonantis. Ainsi rendent le procès perfaict gualant & bien formé. Comme dict gl. can. Accipe, sume, cape, sunt Verba placentia Papae. Ce que plus apertement a dict Alber. de Ros. in verb. Roma.

Roma manus rodit, quas rodere non valet, odit.

Dantes custodit, non dantes spernit & odit.

Raison pourquoy? Ad praesens ova cras pullis sunt meliora. ut est glo. in l. quum. hi. ff. de transac. L'inconvenient du contraire est mis en gl. C. de allu. l. fi. Cum labor in danno est, crescit mortalis egestas. La vraye etymologie de Procès est en ce qu'il doibt avoir en ses prochatz prou sacs. Et en avons brocards deificques. Litigando iura crescunt. Litigando ius acquiritur. Item gl. in c. Illud. ext. de praesumpt. & C. de prob. l. instrumenta. l. non epistolis. l. non nudis. Et cum non prosunt singula, multa iuvat.

Voyre mais (demandoit Trinquamelle) mon amy comment procedez vous en action criminelle, la partie coulpable prinse flagrante crimine.

Comme vous aultres messieurs, (respondit Bridoye) ie laisse & commende au demandeur dormir bien fort pour l'entrée du procès: puys davant moy convenir, me apportant bonne & iuridicque attestation de son dormir scelon la gl. 32. q. vij. c. Siquis cum. Quandoque bonus dormitat Homerus. Cestuy acte engendre quelque aultre membre, de cestuy là naist un aultre, comme maille à maille est faict le aubergeon. En fin ie trouve le procès bien par informations formé & perfaict en ses membres. Adoncques ie retourne à mes dez. Et n'est par moy telle interpollation sans raison faicte & experience notable.

Il me souvient que on camp de Stokolm, un Guascon nommé Gratianaulx natif de Sainsever, ayant perdu au ieu tout son argent: & de ce grandement fasché: comme vous sçavez que, pecunia est alter sanguis, ut ait Anto. de Butrio in. c. accedens. ij. extra ut lit. non contest. & Bald. in l. si tuis. C. de op. li. per no. & l. advocati. C. de advo. diu. iud. Pecunia est vita hominis, & optimus fideiussor in necessitatibus: à l'issue du berland davant tous ses compaignons disoit à haulte voix: Pao cap de bious, que maulx de pippe bous tresbyre: ares que pergudes sont les mies bingt & quouatte baguettes, ta pla donnerien picz, trucz, & patatacz. Sey degun de bous aulx, qui boille truquar ambe iou à bel embiz? Ne respondent personne, il passe on camp des Hondrespondres, & reiteroit ces mesmes parolles, les invitant à combattre avecques luy. Mais les susdict disoient. Der Guascongner thjut schich usz mitt eim iedem ze schlagen, aber er ist geneigter zu staelen darumb lieben frauuen hend serg zu inverm hausraut. Et ne se offrit au combat persone de leur ligue. Pourtant passe le Guascon au camp des aventuriers François, disant ce que dessus, & les invitant au combat guaillardement, avecques petites guambades Guasconicques. Mais persone ne luy respondit. Lors le Guascon au bout du camp se coucha près les tentes du gros Christian chevallier de Crissé, & s'endormit. Sus l'heure un adventurier ayant pareillement perdu tout son argent, sortit avecques son espée, en ferme deliberation de combattre avecques le Guascon: veu qu'il avoit perdu comme luy. Ploratur lachrymis amissa pecunia veris dict glos. de poenitent? dist. 3.c. Sunt plures. De faict l'ayant cherché par my le camp, finablement le trouva endormy. Adoncques luy dist, Sus ho Hillot de tous les Diables, lève toy: i'ay perdu mon argent, aussi bien que toy. Allons nous battre guaillard, & bien à poinct frotter nostre lard. Advise que mon verdun ne soit plus long que ton espade. Le Guascon tout esblouy, luy respondit. Cap de sainct Arnault, quau feys tu, qui me rebeillez? que mau de taouerne te gyre. Ho sainct Siobe, car de Guascoigne, ta pla dormie iou, quand aquo est taquain me bingut estée. L'adventurier le invitoit derechef au combat, mais le Guascon luy dist. Hé paouret iou te esquinerio ares que son pla reposat. Vayne un pauc qui te posar comme iou, puesse truqueren. Avecques l'oubliance de de sa perte il avoit perdu l'envie de combattre. Somme, en lieu de se battre, & soy par adventure entretuer, ilz allèrent boyre ensemble, chascun sus son espée. Le sommeil avoit faict ce bien, & pacifié la fureur des deux bons champions. La compète le mot doré de Ioan. And. in. c. ult. de sent. & re iudic. libro sexto. Sedendo & quiescendo sit anima prudens.

 

Comment Pantagruel excuse Bridoye sus les iugemens faictz au sort des dez.

 

Chapitre XLIII.

A tant se teut Bridoye. Trinquamelle luy commenda issir hors la chambre du parquet. Ce que feut faict. Alors dist à Pantagruel. Raison veult, Prince tresauguste, non par l'obligation seulement, en laquelle vous tenez par infiniz bienfaictz cestuy parlement, & tout le marquisat de Myrelingues: mais aussi par le bon sens, discret iugement, & admirable doctrine, que le grand Dieu dateur de tous biens a en vous posé, que vous praesentons la decision de ceste manière tant nouvelle, tant paradoxe, & estrange de Bridoye, qui vous praesent, voyant, & entendent a confessé iuger au sort des dez. Si vous prions que veuillez sententier comme vous semblera iuridicque & aequitable.

A ce respondit Pantagruel. Messieurs, mon estat n'est en profession de decider procès, comme bien sçavez. Mais puys que vous plaist me faire tant d'honneur, en lieu de faire office de Iuge, ie tiendray lieu de Suppliant. En Bridoye ie recongnois plusieurs qualitez, par les quelles me sembleroit pardon du cas advenu meriter. Premierement vieillesse, secondement simplesse: es quelles deux vous entendez trop mieulx quelle facilité de pardon, & excuse de mesfaict, nos droictz & nos loix oultroyent. Tiercement ie recongnois un aultre cas pareillement en nos droictz deduict à la faveur de Bridoye, c'est que ceste unicque faulte doibt estre abolie, extraincte, & absorbée en la mer immense de tant d'equitables sentences qu'il a donné par le passé: & que par quarante ans & plus on n'a en luy trouvé acte digne de reprehension: comme si en la rivière de Loyre ie iectois une goutte d'eaue de mer, pour ceste unique goutte d'eaue persone ne la sentiroit, persone ne la diroit sallée. Et me semble qu'il y a ne sçay quoy de Dieu, qui a faict & dispensé, qu'à ses iugemens de sot, toutes les precedentes sentences ayant esté trouvées bonnes en ceste vostre venerable & souveraine court: lequel comme sçavez veult souvent sa gloire apparoistre en l'hebetation des saiges, en la depression des puissans, & en l'erection des simples & humbles. Ie mettray en obmission toutes ces choses: seulement vous priray, non par celle obligation que pretendez à ma maison, laquelle ie ne recongnois, mais par l'affection syncère que de toute ancienneté avez en nous congneue tant deça que delà Loire en la mainctenue de vostre estat & dignitez, que pour ceste fois luy veueillez pardon oultroyer. Et ce en deux conditions. Premierement ayant satisfait ou protestant satisfaire à la partie condemnée par la sentence dont est question. A cestuy article ie donneray bon ordre & contentement. Secondement qu'en subside de son office vous luy bailliez quelqu'un plus ieune docte, prudent, perit, & vertueux conseiller: à l'advis du quel dorenavant sera ses procedures iudiciaires. En cas que le voulussiez totalement de son office deposer, ie vous priray bien fort me en faire un praesent & pur don. Ie trouveray par mes royaulmes lieux assez & estatz pour l'employer & me en servir. A tant suppliray le bon Dieu createur, servateur, & dateur de tous biens, en sa saincte grace perpetuellement vous maintenir.

Ces motz dictz, Pantagruel feit reverence à toute la court, & sortit hors le parquet. A la porte trouva Panurge, Epistemon, frère Ian, & aultres. Là montèrent à cheval pour s'en retourner vers Gargantua. Par le chemin Pantagruel leurs comptoit de poinct en poinct l'histoire du iugement de Bridoye. Frère Ian dist qu'il avoit congneut Perrin Dendin on temps qu'il demouroit à la Fontaine le Conte, soubs le noble abbé Ardillon. Gymnaste dist qu'il estoit en la tente du gros Christian Chevallier de Crissé, lors que le Guascon respondit à l'adventurier. Panurge faisoit quelque difficulté de croire l'heur des iugements par sort, mesmement par si long temps. Epistemon dist à Pantagruel. Histoire parallèle nous compte l'on d'un Prevost de Monslehery. Mais que diriez vous de cestuy heur des dez continué en succès de tant d'années. Pour un ou deux iugemens ainsi donnez à l'adventure ie ne me esbahirois, mesmement en matières de soy ambigues, intrinquées, perplexes, & obscures.

 

Comment Pantagruel raconte une estrange histoire des perplexitez du iugement humain.

 

Chapitre XLIIII.

Comme feut (dist Pantagruel) la controverse debatue davant Cn. Dolabella proconsul en Asie. Le cas est tel. Une femme en Smyrne, de son premier mary eut un enfant nommé Abécé. Le mary defunct, après certain temps elle se remaria: & de son second mary eut un filz nommé Effegé. Advint (comme vous sçavez que rare est l'affection des peratres, vitrices, noverces, & meratres envers les enfans des defuncts premiers pères & mères) que cestuy mary & son filz occultement, en trahison, de guet apens, tuèrent Abecé. La femme entendent la trahison & meschanceté ne voulut le forfaict rester impuny: & les feist mourir tous deux, vengeante la mort de son filz premier. Elle feut par la iustice apprehendée & menée devant Cn. Dolabella. En sa presence elle confessa le cas, sans rien dissimuler, seulement alleguoit que de droict & par raison elle les avoit occis. C'estoit l'estat du procès. Il trouva l'affaire tant ambigu, qu'il ne sçavoit en quelle partie incliner. Le crime de la femme estoit grand, laquelle avoit occis ses mary second & enfant. Mais la cause du meurtre luy sembloit tant naturelle, & comme fondée en droict des peuples, veu qu'ilz avoient tué son filz premier, eulx ensemble, en trahison, de guet apens, non par luy oultragez ne iniuriez, seulement par avarice de occuper le total heritage: que pour la decision il envoya es Areopagites en Athenes, entendre quel seroit sur ce leur advis & iugement. Les Areopagites feirent response, que cent ans après personellement on leurs envoiast les parties contendentes, affin de respondre on procès verbal contenuz. C'estoit à dire, que tant grande leurs sembloit la perplexité & obscurité de la matière, qu'ilz ne sçavoient qu'en dire ne iuger. Qui eust decidé le cas au sort des dez, il n'eust erré, advint ce que pourroit. Si contre la femme, elle meritoit punition, veu qu'elle avoit faict vengence de soy, laquelle apartenoit à Iustice: Si pour la femme, elle sembloit avoir eu cause de douleur atroce. Mais en Bridoye la continuation de tant d'année me estonne.

Ie ne sçaurois (respondit Epistemon) à vostre demande catégoricquement respondre. Force est que le confesse. Coniecturallement ie refererois cestuy heur de iugement en l'aspect benevole des cieulx, & faveur des Intelligences motrices. Les quelles en contemplation de la simplicité & affection syncère du iuge Bridoye: qui soy deffiant de son sçavoir & capacité: congnoissant les antinomies & contrarietez des loix, des edictz, des coustumes & ordonnances: entendent la fraulde du Calumniateur infernal, lequel souvent se transfigure en messagier de lumière, par ses ministres les pervers advocatz, Conseilliers, Procureurs, & aultres telz suppoz, tourne le noir en blanc, faict phantasticquement sembler à l'une & l'aultre partie, quelle a bon droict, comme vous sçavez qu'il n'est si maulvaise cause, qui ne trouve son advocat, sans cela iamais ne seroit procès on monde: se recommenderoit humblement à Dieu le iuste iuge: invocqueroit à son ayde la grace celeste: se deporteroit en l'esprit sacrosainct, du hazard & perplexité de sentence definitive: & par ce sort exploreroit son decret & bon plaisir, que nous appellons Arrest: remueroient & tourneroient les dez pour tomber en chanse de celuy qui muny de iuste complaincte, requeroit son bon droict estre par Iustice maintenu. Comme disent les Talmudistes, en sort n'estre mal aulcun contenu: seulement par sort estre en anxieté & doubte des humains manifestée la volunté divine.

Ie ne vouldroys penser ne dire, aussi certes ne croy ie, tant anomale estre l'iniquité, & corruptèle tant evidente de ceulx qui de droict respondent en icelluy parlement Myrelinguois en Myrelingues, que pirement en seroit un procès decidé par iect des dez, advint ce que pourroit, qu'il est passant par leurs mains pleines de sang & de perverse affection. Attendu mesmement, que tout leur directoire en iudicature usuale a esté baillé par un Tribunian home mescreant, infidèle, barbare, tant maling, tant pervers, tant avare & inicque, qu'il vendoit les loix, les edictz, les rescriptz, les constitutions & ordonnances en purs deniers, à la partie plus offrante. Et ainsi leurs a taillé leurs morseaulx par ces petitz boutz & eschantillons des loix qu'ilz ont en usaige: la reste supprimant & abolissant qui faisoit pour la loy totale: de paour que la loy entière restante & les livres des antiques Iurisconsultes veuz sus l'exposition des douze tables, & edictz des Praeteurs, feust du monde apertement sa meschanceté congneue. Pourtant seroit ce souvent meilleur (c'est à dire moins de mal en adviendroit) es parties controverses, marcher sus chausses trapes, que de son droict soy deporter en leurs responses & iugemens: Comme soubhaitoit Caton de son temps, & conseilloit que la court iudiciaire feust de chausses trappes pavée.

 

Comment Panurge se conseille à Triboullet.

 

Chapitre XLV.

Au sixième iour subsequent Pantagruel feut de retour: en l'heure que par eaue de Bloys estoit arrivé Triboullet. Panurge à sa venue luy donna une vessie de porc bien enflée, & resonante à cause des poys qui dedans estoient: plus une espée de boys bien dorée: plus une petite gibbessière faicte d'une coque de Tortue: plus une bouteille clissée pleine de vin Breton: & un quarteron de pommes Blandureau.

Comment, (dist Carpalim) est il fol, comme un chou, à pommes?

Triboullet ceignit l'espée & la gibbessière, print la vessie en main: mangea part des pommes: beut tout le vin. Panurge le reguardoit curieusement: & dist. Encores ne veids oncques fol, & si en ay veu pour plus de dix mille francs, qui ne beust voluntiers & à longs traictz. Depuys luy exposa son affaire en parolles rhetoricques & eleguantes. D'avant qu'il eust achevé, Triboullet luy bailla un grand coup de poing entre les deux espaules, luy rendit en main la bouteille: le nazardoit avecques la vessie de porc, & pour toute responce luy dist, branslant bien fort la teste.

Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuse de Buzançay.

Ces parolles achevées s'esquarta de la compaignie, & iouoit de la vessie, se delectant au melodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot quelconques. Et le voulant Panurge d'adventaige interroger, Triboullet tira son espée de boys, & l'en voulut ferir.

Nous en sommes bien vrayment, (dist Panurge). Voylà belle resolution. Bien fol est il, cela ne se peult nier: mais plus fol est celluy qui me l'amena: & ie tresfol, qui luy ay communicqué mes pensées.

C'est (respondit Carpalim) droict visé à ma visière. Sans nous esmouvoir, (dist Pantagruel) considerons ses gestes & ses dictz. En iceulx i'ay noté mystères insignes, & plus tant que ie souloys ne m'esbahys de ce que les Turcs revèrent telz folz comme Musaphiz & Prophètes. Avez vous consideré, comment sa teste s'est avant qu'il ouvrist la bouche pour parler, crouslée & esbranslée? Par la doctrine des antiques Philosophes, par les ceremonies des Mages, & observations des Iurisconsultes povez iuger, que ce mouvement estoit suscité à la venue & inspiration de l'esprit fatidicque, lequel brusquement entrant en debile & petite substance, (comme vous sçavez que en petite teste ne peut estre grande cervelle contenue) l'a en telle manière esbranslée, que disent les Medicins tremblement advenir es membres du corps humain, sçavoir est, part pour la pesanteur & violente impetuosité du fays porté: part pour l'imbecillité de la vertus & organe portant. Exemple manifeste est en ceulx qui à ieun ne peuvent en main porter en grand hanat plein de vin sans trembler des mains. Cecy iadis nous praefiguroit la divinatrice Pythie, quand avant respondre par l'oracle escroulloit son laurier domesticque. Ainsi dict Lampridius que l'empereur Heliogaballus pour estre reputé divinateur par plusieurs festes de son grand Idole, entre les retaillatz fanaticques bransloit publicquement la teste. Ainsi declare Plaute en son Asnerie, que Saurias cheminoit branslant la teste, comme furieux & hors du sens, faisant paour à ceulx qui le rencontroient. Et ailleurs exposant pourquoy Charmides bransloit la teste, dict qu'il estoit en ecstase. Ainsi narre Catulle en Berecynthia & Atys du lieu, on quel les Maenades femmes Bacchicques, prebstresses de Bacchus, forcenées, divinatrices, portantes rameaulx de Lierre bransloient les testes. Comme en cas pareil faisoient les Gals escouillez prebstres de Cybèle, celebrans leurs offices. Dont ainsi est dicte scelon les antiques Theologiens, car Kubistan signifie, rouer, tortre, bransler la teste, & faire le torti colli. Ainsi escript T. Live, que es Bacchanales de Rome, les hommes & femmes sembloient vaticiner à cause de certain branslement & iectigation du corps par eulx contrefaicte. Car la voix commune des Philosophes, & l'opinion du peuple estoit, vaticination ne estre iamais des cieulx donnée sans fureur & branslement, non seulement lors qu'il la recepvoit, mais lors aussi qu'il la manifestoit & declairoit. De faict Iulian Iurisconsulte insigne, quelques foys interrogé, si le serf seroit tenu pour sain, lequel en compaignie de gens fanaticques & furieux, sauroit conservé, & par adventure vaticiné, sans toutesfoys tel branslement de teste, respondit estre pour sain tenu. Ainsi voyons nous de present les precepteurs & Paedagogues, esbransler les testes de leurs disciples (comme on faict un pot par les anses) par vellication & erection des aureilles, (qui est (scelon la doctrine des saiges aegyptiens) membre consacré à Memoire) affin de remettre leurs sens, lors par adventure esguarez en pensemens estranges, & comme effarouchez par affections abhorrentes, en bonne & philosophicque discipline. Ce que de soy confesse Virgile en l'esbranlement de Apollo Cynthius.

 

Comment Pantagruel & Panurge diversement interpretent les parolles de Triboullet.

 

Chapitre XLVI.

Il dict que vous estez fol. Et quel fol? Fol enragé, qui sus vos vieulx iours voulez en mariage vous lier, & asservir. Il vous dict, Guare moine. Sus mon honneur que par quelque moine vous serez faict coqu. Ie enguaige mon honneur, chose plus grande ne sçauroys, fusse ie dominateur unicque & pacificque en Europe, Africque, & Asie. Notez combien ie defère à nostre Morosophe Triboullet. Les aultres oracles & responses vous ont resolu pacificquement coqu, mais n'avoient encores apertement exprimé, par qui seroit vostre femme adultère, & vous coqu. Ce noble Triboullet le dict. Et sera le Coquage infame, & grandement scandaleux. Fauldra il que vostre lict coniugal soit incesté & contaminé par Moynerie? Dict oultre, que serez la cornemuse de Buzançay, c'est à dire, bien corné, cornard, & cornu. Et ainsi comme il voulant au roy Loys douzième demander pour un sien frère le contrerolle du sel à Buzançay, demanda une Cornemuse: vous pareillement, cuydant quelque femme de bien & d'honneur espouser, espouserez une femme vuyde de prudence, pleine de vent d'oultrecuydance, criarde & mal plaisante, comme une cornemuse. Notez oultre, que de la vessie il vous nazardoit & vous donna un coup de poing sus l'eschine. Cela praesageait que d'elle serez battu, nazardé, & desrobé, comme desrobbé aviez la vessie de porc aux petitz enfans de Vaubreton.

Au rebours (respondit Panurge). Non que ie me vueille impudentement exempter du territoire de follie. I'en tiens & en suys, ie le confesse. Tout le monde est fol. En Lorraine Fou est près Tou par bonne discrétion. Tout est fol. Solomon dict que infiny est des folz le nombre. A infinité rien ne peut decheoir, rien ne peut estre adioinct, comme prouve Aristoteles. Et fol enragé serois, si fol estant, fol ne me reputois. C'est ce que pareillement faict le nombre des maniacques & enraigez infiny. Avicenne dict, que de manie, infinies sont les espèces. Mais le reste de ses dictz & gestes faict pour moy. Il dict à ma femme, guare moyne. C'est un moyneau qu'elle aura en delices, comme avoit la Lesbie de Catulle: lequel volera pour mousches, & y passera son temps autant ioyeusement que feist oncques Domitian le croquemousche. Plus dict qu'elle sera villaticque & plaisante comme une belle cornemuse de Buzançay. Le veridicque Triboullet bien a congneu mon naturel, & mes internes affections. Car ie vous assie que plus me plaisent les guayes bergerottes eschevelées, es quelles le cul sent le Serpoullet, que les dames des grandes cours avecques leurs riches atours, & odorans perfums de maulioinct: plus me plaist le son de la rusticque cornemuse, que les fredonnemens des lucz, rebecz, & violons auliques. Il m'a donné un coup de poing sus ma bonne femme d'eschine. Pour l'amour de Dieu soit, & en deduction de tant moins des poines de Purgatoire. Il ne le faisoit par mal. Il pensoit frapper quelque paige. Il est fol de bien. Innocent ie vous assie, & pèche qui de luy mal pense. Ie luy pardonne de bien bon coeur. Il me nazardoit. Ce seront petites follastries entre ma femme & moy, comme advient à tous nouveaulx mariez.

 

Comment Pantagruel & Panurge delibèrent visiter l'oracle de la Dive Bouteille.

 

Chapitre XLVII.

Voy cy bien un aultre poinct, lequel ne consyderez. Est toutesfoys le neu de la matière. Il m'a rendu en main la bouteille. Cela que signifie? Qu'est ce à dire?

Par adventure (respondit Pantagruel) signifie que vostre femme sera yvroigne.

Au rebours, (dist Panurge) car elle estoit vuide. Ie vous iure l'espine de sainct Fiacre en Brye, que nostre Morosophe l'unicque non Lunaticque Triboullet me remet à la Bouteille. Et ie refraischiz de nouveau mon veu premier, & iure Styx & Acheron en vostre praesence, lunettes au bonnet porter, ne porter braguette à mes chausses, que sus mon entreprinse ie n'aye eu le mot de la Dive Bouteille. Ie sçay homme prudent & amy mien, qui sçait le lieu, le pays, & la contrée en laquelle est son temple & oracle. Il nous y conduira sceurement. Allons y ensemble, ie vous supply ne me esconduire. Ie vous seray un Achates, un Damis, & compaignon tout le voyage. Ie vous ay de long temps congneu amateur de peregrinité & desyrant tousiours veoir, & tousiours apprendre. Nous voirons choses admirables, & m'en croyez.

Voluntiers, (respondit Pantagruel) Mais avant nous mettre en ceste longue peregrination plène de hazard, plène de dangers evidens.

Quelz dangiers? dist Panurge interrompant le propous. Les dangiers se refuyent de moy, quelque part que ie soys, sept lieues à la ronde: comme advenent le prince, cesse le magistrat: advenent le Soleil, esvanouissent les tenèbres: & comme les maladies fuyoient à la venue du corps sainct Martin à Quandé.

A propous, dist Pantagruel, avant nous mettre en voye, de certains poincts nous fault expedier. Premierement renvoyons Triboullet à Bloys (Ce que feut faict à l'heure: & luy donna Pantagruel une robbe de drap drop frizé). Secondement nous fault avoir l'advis & congié du Roy mon père. Plus nous est besoing trouver quelque Sibylle pour guyde & truchement.

Panurge respondit que son amy Xenomanes leurs suffiroit, & d'abondant deliberoit passer le pays de Lanternoys, & là prendre quelque docte & utile Lanterne, laquelle leur seroit pour ce voyage, ce que feut la Sibylle à Aeneas descendent es champs Elisiens. Carpalim passant pour la conduicte de Triboullet, entendit ce propous, & s'escria disant, Panurge ho, monsieur le quite, pren Millort Debitis à Calais, car il est goud fallot, & n'oublie debitoribus, ce sont lanternes. Ainsi auras & fallot & lanternes. Mon prognostic est (dist Pantagruel) que par le chemin nous ne engendrerons melancholie. Ià clairement ie l'apperçois. Seulement me desplaist que ne parle bon Lanternoys.

Ie (respondit Panurge) le parleray pour vous tous, ie l'entends comme le maternel, il m'est usité comme le vulgaire.

Brifzmarg d'algotbric nubstzne zos

Isqubfgz prusq, albortz crinqs zacbac.

Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bos.

Strombtz Panrge walmap quost grusz bac.

Or devine Epistemon, que c'est?

Ce sont (respondit Epistemon) noms de Diables errans, diables passans, diables rampans.

Tes parolles sont brayes (dist Panurge) bel amy. C'est le courtisan langaige Lanternoys. Par le chemin ie t'en feray un beau petit dictionnaire, lequel ne durera guères plus qu'une paire de souliers neufz. Tu l'auras plus toust aprins, que iour levant sentir. Ce que i'ay dict translaté de Lanternoys en vulgaire, chante ainsi.

Tout malheur estant amoureux,

M'accompaignoit: oncq n'y eu bien.

Gens mariez plus sont heureux,

Panurge l'est, & le sçait bien.

Reste doncques (dist Pantagruel) le vouloir du Roy mon père entendre, & licence de luy avoir.

 

Comment Gargantua remonstre n'estre licite es enfans soy marier, sans le sceu & adveu de leurs pères & mères.

 

Chapitre XLVIII.

Entrant Pantagruel en la salle grande du chasteau, trouva le bon isant du conseil: luy feist narré sommaire de leurs adventures: exposa leur entreprinse & le supplia, que par son vouloir & congié, la peussent mettre en execution. Le bon home Gargantua tenoit en ses mains deux gros pacquetz de requestes respondues: & memoires de respondre: les bailla à Ulrich Gallet son antique maistre des libelles & requestes: tira à part Pantagruel, & en face luy dist.

Ie loue Dieu, filz trescher, qui vous conserve en desirs vertueux, & me plaist tresbien que par vous soit le voyage perfaict. Mais ie vouldroys que pareillement vous vint en vouloir & desir vous marier. Me semble que dorenavant venez en aage à ce competent. Panurge s'est assez efforcé rompre les difficultez, qui luy pouvoient estre en empeschement. Parlez pour vous.

Père tresdebonnaire (respondit Pantagruel) encores n'y avois ie pensé, de tout ce negoce ie m'en deportoys sus vostre bonne volunté & paternel commendement. Plus tost prie Dieu estre à vos piedz veu roydde mort en vostre desplaisir, que sans vostre plaisir estre veu vif marié. Ie n'ay iamais entendu que par loy aulcune, feust sacré, feust prophane, & barbare, ay esté en arbitre des enfans soy marier, non sentans, voulens, & promovens leurs pères, mères, & parens prochains. Tous Legislateurs ont es enfans ceste liberté tollue, es parens l'ont reservée.

Filz trescher (dist Gargantua) ie vous en croy, & loue Dieu de ce que à vostre notice ne viennent que choses bonnes & louables, & que par les fenestres de vos sens rien n'est on domicile de vostre esprit entré fors liberal sçavoir. Car de mon temps a esté par le continent trouvé pays on quel ne sçay quelz pastophores Taulpetiers autant abhorrens de nopces, comme les pontifes de Cybèle en Phrygie, si chappons feussent, & non galls pleins de salacité & lascivie: les quelz ont dict loix es gens mariez sus le faict de mariage. Et ne sçay que plus doibve abhominer, ou la tirannicque praesumption d'iceulx redoubtez Taulpetiers qui ne se contiennent dedans les treillis de leurs mysterieux temples, & se entremettent des negoces contraires par Diamètre entier à leurs estatz: ou la supestitieuse stupidité des genz mariez, qui ont sanxi & presté obeissance à telles tant malignes & barbaricques loigs. Et ne voyent (ce que plus clair est que l'estoille Matute) comment telles sanxi connubiales toutes sont à l'adventaige de leurs Mystes, nul au bien & proufict des mariez. Qui est cause suffisante pour les rendre suspectes comme iniques & fraudulentes. Par reciproque temerité pourroient ilz loigs establir à leurs Mystes sus le faict de leurs ceremonies & sacrifices, attendu que leurs biens ilz deciment & roignent du guaing provenent de leurs labeurs & sueur de leurs mains, pour en abondance les nourrir, & entretenir. Et ne seroient (scelon mon iugement) tant perverses & impertinentes, commes celles sont les quelles d'eulx ilz ont trop receup. Car (comme tresbien avez dict) loy on monde n'estoit, qui es enfans liberté de soy marier donnast, sans le sceu, l'adveu, & consentement de leurs pères. Moyenantes les loigs dont ie vous parle, n'est ruffien, forfant, scelerat, pendart, puant, punais, ladre, briguant, voleur, meschant en leurs contrées qui violentement ne ravisse quelque fille il vouldra choisir, tant soit noble, belle, riche, honneste, pudicque, que sçauriez dire, de la maison de son père, d'entre les bras de sa mère, maulgré tous ses parens: si le ruffien se y ha une foys associé quelque Myste, qui quelque iour participera de la praye. Feroient pis & acte plus cruel les Gothz, les Scythes, les Massagettes en place ennemie, par long temps assiegé, à grands frays oppugnée, prinse par force? Et voyent les dolens pères & mères hors leurs maisons enlever & tirer par un incongneu, barbare, mastin tout pourry, chancreux, cadavereux, paouvre, malheureux, leurs tant belles, delicates, riches, & saines filles, les quelles tant cherement avoient nourriez en tout exercice vertueux, avoient disciplinées en toute honnesteté esperans en temps oportun les colloquer par mariage avecques les enfans de leurs voisins & antiques amis: nourriz & instituez de mesmes soing, pour parvenir à ceste felicité de mariage, que d'eulx ilz veissent naistre lignaige raportant & haereditant non moins aux meurs de leurs pères & mères, que à leurs biens meubles & heritaiges. Quel spectacle pensez vous que ce leurs soit. Ne croyez, que plus enorme feust la desolation du peuple Romain & ses confoederez entendens le decès de Germanicus Drufus. Ne croyez que plus pitoyable feust le desconfort des Lacedemoniens, quand de leurs pays veirent par l'adultère Troian furtivement enlevée Helène Grecque. Ne croyez leur dueil & lamentations estre moindres, que de Cerès, quand luy feust ravie Proserpine sa fille: que de Isis, à la perte de Osyris: de Venus, à la mort de Adonis: de Hercules, à l'esguarement de Hylas: de Hecuba, à la substraction de Polyxène. Ilz toutesfoys tant sont de craincte du Daemon & superstitiosité espris, que contredire ilz n'ausent, puis que le Taulpetier y a esté praesent & contractant. Et restent en leurs maisons privez de leurs filles tant aimées, le père mauldissant le iour & heure de ses nopces: la mère regrettant que n'estoit avortée en tel tant triste & malheureux enfantement: & en pleurs & lamentations finent leurs vie, laquelle estoit de raison finir en ioye & bon tractement de icelles. Aultres tant ont esté ecstaticques & comme maniacques, que eulx mesmes de dueil & regret se sont noyez, penduz, tuez, impatiens de telle indignité.

Aultres ont eu l'esprit plus Heroïcque, & à l'exemple des enfans de Iacob vengeans le rapt de Dina leur soeur, ont trouvé le ruffien associé de son Taulpetier clandestinement parlementans & subornans leurs filles: les ont sus l'instant mis en pièces & occis felonnement, leurs corps après iectant es loups & corbeaux parmy les champs. Au quel acte tant viril & chevalereux ont les Symmystes Taulpetiers fremy & lamenté miserablement, ont formé complainctes horribles, & en toute importunité requis & imploré le bras seculier, & Iustice politicque, insistans fierement & contendens estre de tel cas faicte exemplaire punition. Mais ne en aequité naturelle, ne en droict des gens, ne en loy Imperiale quelconques, n'a esté trouvée rubricque, paragraphe, poinct, ne tiltre, par lequel fut poine ou torture à tel faict interminée: Raison obsistante, Nature repugnante. Car homme vertueux on monde n'est, qui naturellement & par raison plus ne soit en son sens perturbé, oyant les nouvelles du rapt, diffame, & deshonneur de sa fille, que de sa mort. Ores est qu'un chascun trouvant le meurtrier sus le faict de homicide en la persone de sa fille iniquement & de guet apens, le peut par raison, le doibt par nature occire sus l'instant, & n'en sera par iustice apprehendé. Merveilles doncques n'est, si trouvant le ruffien à la promotion du Taulpetier, sa fille subornant, & hors sa maison ravissant, quoy qu'elle en feust consentente, les peut, les doibt à mort ignominieusement mettre, & leurs corps iecter en direption des bestes brutes, comme indignes de recepvoir le doulx, le desyré, le dernier embrassement de l'alme & grande mère, la Terre, lequel nous appelons Sepulture.

Filz trescher, après mon decès guardez que telles loigs ne soient en cestuy Royaulme receues: tant que seray en ce corps spirant & vivent, ie y donneray ordre tresbon avec l'ayde de mon Dieu. Puys doncques que de vostre mariage sus moy vous deportez, i'en suis d'opinion. Ie y pourvoiray. Aprestez vous au voyage de Panurge. Prenez avecques vous Epistemon, frère Ian, & aultres que choisirez. De mes thesaurs faictez à vostre plein arbitre. Tout ce que ferez, ne pourra ne me plaire. En mon arcenac de Thalasse prenez equippage tel que vouldrez: telz pillotz, nauchiers, truschemens, que vouldrez: & à vent oportun faictez voile on nom & protection du Dieu servateur. Pendent vostre absence ie feray les appretz & d'une femme vostre, & d'un festin, que ie veulx à vos nopces faire celèbre, si oncques en feut.

 

Comment Pantagruel feist ses apprestz pour monter sus mer. Et de l'herbe nommée Pantagruelion.

 

Chapitre XLIX.

Peu de iours après Pantagruel avoir prins congié du bon Gargantua, luy bien priant pour le voyage de son filz, arriva au port de Thalasse près Sammalo, accompaigné de Panurge, Epistemon, frère Ian des entommeures abbé de Thélème, & aultres de la noble maison, notamment de Xenomanes le grand voyagier & traverseur des voyes perilleuses, lequel estoit venu au mandement de Panurge. Par ce qu'il tenoit ie ne sçay quoy en arrière fief de la chastellenie de Salmiguondin. Là arrivez, Pantagruel dressa equippage de navires, à nombre de celles que Aiax de Salamine avoit iadis menées en convoy de Gregoys à Troie. Nauchiers, pilotz, hespaliers, truschemens, artisans, gens de guerre, vivres, artillerie, munitions, robbes, deniers, & aultres hardes print & chargea, comme estoit besoing pour long & hazardeux voyage. Entre aultres choses ie veids qu'il feist charger grande foison de son herbe Pantagruelion, tant verde & crude, que conficte & praeparée.

L'herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finante en poincte obtuse, blanche, a peu de fillamens, & ne profonde en terre plus d'une coubtée. De la racine procède une tige unicque, rond, serulacée, verd au dehors, blanchissant au dedans: concave, comme le tige de Smyrnium Olus atrum, Febves, & Gentiane: ligneux, droict, friable, crenelé quelque peu à forme de columnes legierement striées: plein de fibres, es quelles consiste toute la dignité de l'herbe, mesmement en la partie dicte Mesa, comme moyene, & celle qui est dicte Mylasea. Haulteur d'icelluy communement est de cinq à six pieds. Aulcunes foys excède la haulteur d'une lance. Sçavoir est, quand il rencontre terrouoir doulx, uligineux, legier, humide sans froydure: comme est Olone & celluy de Rosea près Praeneste en Sabinie, & que pluye ne luy deffault environ les Feries des pescheurs, & Solstice aestival. Et surpasse la haulteur des arbres, comme vous dictez Dendromalache par l'authorité de Theophraste: quoy que herbe soit par chascun an deperissante: non arbre en racine, tronc, caudice, & rameaux perdurante. Et du tige sortent gros & fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous iours: asprettes, comme l'Orcanete: durettes, incisées au tour comme une faulcille & comme la Betoine: finissantes en poinctes de Sariffe Macedonicque, & comme une lancette dont usent les Chirurgiens. La figure d'icelle peu est differente des feueilles de Fresne & Aigremoine: & tant semblable à Eupatoire, que plusieurs herbiers l'ayant dicte domesticque, ont dict Eupatoire estre Pantagruelion saulvaginé. Et sont par rancs en eguale distance esparses au tour du tige en rotondité par nombre en chascun ordre ou de cinq, ou de sept. Tant l'a cherie nature, qu'elle l'a douée en ses feueilles de ces deux nombres impars tant divins & mysterieux. L'odeur d'icelles est fort, & peu plaisant aux nez delicatz. La semence provient vers le chef du tige, & peu au dessoubs. Elle est numereuse autant que d'herbe qui soit, sphaericque, oblongue, rhomboïde, noire, claire, & comme tannée, durette, couverte de robbe fragile: delicieuse à tous oyseaulx canores, comme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, & aultres. Mais estainct en l'homme la semence generative, qui en mangeroit beaucoup & souvent. Et quoy que iadis entre les Grecs d'icelle l'on feist certaines espèces de fricassées, tartres, & beignetz, les quelz ils mangeoient après soupper par friandise & pour trouver le vin meilleur: si est ce qu'elle est de difficile concoction, offense l'estomach, engendre mauvais sang, & par son excessive chaleur ferist le cerveau, & remplist la teste de fascheuses & douloreuses vapeurs. Et comme en plusieurs plantes sont deux sexes: masle, & femelle: ce que voyons es Lauriers, Palmes, Chesnes, Heouses, Asphodèle, Mandragore, Fougère, Agarie, Aristolochie, Cyprès, Terebinthe, Pouliot, Paeone, & aultres: aussi en ceste herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en semence: & femelle, qui foisonne en petites fleurs, blanchastres, inutiles: & ne porte semence qui vaille: & comme est des aultres semblables, a la feuille plus large, moins dure que le masle, & ne croist en pareille haulteur. On sème cestuy Pantagruelion à la nouvelle venue des Hyrondelles, on le tire de terre lors que les Cigalles commencent s'enrouer.

 

Comment doibt estre preparé & mis en oeuvre le celèbre Pantagruelion.

 

Chapitre L.

On pare le Pantagruelion soubs l'aequinocte automnal en diverses manières, scelon la phantasie des peuples, & diversité des pays. L'enseignement premier de Pantagruel feut, le tige d'icelle devestir de feueilles & semence: le macerer en Eaue stagnante non courante par cinq iours, si le temps est sec, & l'eaue chaulde, par neuf ou douze, si le temps est nubileux, & l'eaue froyde. Puys au Soleil le seicher: puys à l'umbre le excorticquer, & separer les fibres (es quelles, comme avons dict, consiste tout son pris & valeur) de la partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu'à faire flambe lumineuse, allumer le feu, & pour l'esbat des petitz enfans enfler les vessies de porc. D'elle usent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour sugser & avecques l'haleine attirer le vin nouveau par le bondon. Quelques Pantagruelistes modernes evitans le labeur des mains qui seroit à faire tel depart, usent de certains instrumens catharactes composez à la forme que Iuno la fascheuse tenoit les doigtz de ses mains liez pour empescher l'enfantement de Alcmène mère de Hercules. & à travers icelluy contundent & brisent la partie ligneuse, & la rendent inutile, pour en saulver les fibres. En ceste seule praeparation acquiescent ceulx qui contre l'opinion de tout le monde, & en manière paradoxe à tous Philosophes, guaignent leur vie à recullons. Ceulx qui à profict plus evident la voulent avaller, font ce que l'on nous compte du passetemps des troys soeurs Parces: de l'esbatement nocturne de la noble Circé: & de la longue excuse de Penelope envers ses muguetz amoureux, pendant l'absence de son mary Ulyxes. Ainsi est elle mise en ses inestimables vertus, des quelles vous expouseray partie, (car le tout est à moy vous expouser impossible) si davant, vous interprète la denomination d'icelle.

Ie trouve que les plantes sont nommées en diverses manières. Les unes ont prins le nom de celluy qui premier les inventa, congneut, monstra, cultiva, aprivoisa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure: Panacea de Panace, fille de aesculapius: Armoise, de Artemis, qui est Diane: Eupatoire, du roy Eupator: Telephium, de Telephus: Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba: Clymenos, de Clymenus. Alcibiadion, de Alcibiades: Gentiane, de Gentius roy de Sclavonie. Et tant a esté iadis estimée ceste praerogative de imposer son nom aux herbes inventées, que comme feut controverse meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux ensemblement trouvée: qui depuys feut Athènes dicte, de Athène c'est à dire Minerve: pareillement Lyncus roy de Scythie se mist en effort de occire en trahison le ieune Triptolème envoyé par Cerès pour es hommes monstrer le froment lors encores incongneu: affin que par la mort d'icelluy il imposast son nom, & feust en honneur & gloire immortelle dict inventeur de ce grain tant utile & necessaire à la vie humaine. Pour laquelle trahison feut par Cerès transformé en Oince, ou Loupcervier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de seiour en Cappadoce, pour ce seul different, du nom des quelz seroit une herbe nommée: laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyère.

Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs transportées, comme pomme Medices, ce sont Poncire de Medie, en laquelle feurent premierement trouvées: pommes Punicques, ce sont Grenades, apportées de Punicie, c'est Carthage. Ligusticum, c'est Livesche, apportée de Ligurie, c'est la couste de Gènes. Rhabarbe, du fleuve Barbare nommé Rha comme atteste Ammianus: Santonicque, foenu Grec: Castanes, Persicques, Sabine, Stoechas, de mes isles Hières antiquement dictez Stoechades, Spica Celtica, & aultres.

Les aultres ont leur nom par Antiphrase & contrarieté: comme Absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux à boyre. Holosteon, c'est tout de os: au contraire, car herbe n'est en nature plus fragile & plus tendre, qu'il est.

Aultres sont nommées par leurs vertus & operations, comme Aristolochia, qui ayde les femmes en mal d'enfant. Lichen qui guerist les maladies de son nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheveulx beaulx. Alyssum, Ephemerum, Bechium, Nasturtium, qui est Cresson Alenoys: Hyoscyame, hanebanes, & aultres.

Les aultres par les admirables qualitez qu'on a veu en elles, comme Heliotrope, c'est Soulcil, qui suyt le Soleil. Car le Soleil levant, il s'espanouist: montant, il monte: declinant, il decline: soy cachant, il se cloust. Adiantum: car iamais ne retient humidité, quoy qu'il naisse près les eaues, & quoy qu'on le plongeast en eaue par bien long temps: Hieracia, Eryngion, & aultres.

Aultres par Metamorphose d'hommes & femmes de nom semblable: comme Daphné, c'est Laurier, de Daphné: Myrte, de Myrsine: Pytis, de Pytis, Cynara, c'est Artichault: Narcisse, Saphran, Smilax, & aultres.

Aultres par similitude, comme Hippuris (c'est Prelle) car elle ressemble à queue de Cheval: Alopecuros, qui semble à la queue de Renard: Psylion, qui semble à la Pusse: Delphinium, au Daulphin: Buglosse, à langue de Beuf: Iris, à l'arc en ciel, en ses fleurs: Myosata, à l'aureille de Souriz: Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination sont dictz les Fabies, des Febves: les Pisons, des Poys: les Lentules, des Lentiles: les Cicerons, des poys Chiches. Comme encores par plus haulte resemblance est dict le nombril de Venus, les cheveulx de Venus, la cuve de Venus, la barbe de Iuppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure: Hermodactyles: & aultres.

Les aultres de leurs formes: comme Trefeueil, qui a trois feueilles: Pentaphyllon, qui a cinq feueilles: Serpoullet, qui herpe contre terre: Helxine, Petasites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz semblent à gland, & sont unctueux.

 

Pourquoy est dicte Pantagruelion, & des admirables vertus d'icelle.

 

Chapitre LI.

Par ces manières (exceptez la fabuleuse, car de fable ià Dieu ne plaise, que usions en ceste tant veritable histoire) est dicte l'herbe Pantagruelion. Car Pantagruel feut d'icelle inventeur. Ie ne diz quant à la plante, mais quant à un certain usaige, lequel plus est abhorré & hay des larrons: plus leurs est contraire & ennemy, que ne est la Teigne & Cuscute au Lin, que le Rouseau à la Fougère: que le Presle aux Fauscheurs: que Orobanche aux poys Chices: aegilops à l'Orge: Securidaca aux Lentilles: Antranium aux Febves: l'Yvraye au Froment: le Lierre aux Murailles: que le Nenuphar & Nymphea Heraclia aux ribaux Moines, que n'est la Ferule & le Boulas aux escholiers de Navarre, que n'est le Chou, à la Vigne: le Ail, à l'Aymant: l'Oignon, à la veue: la graine de Fougère, aux femmes enceintes: la semence de Saule, aux Nonnains vitieuses: l'umbre de If, aux dormans dessoubs: le Aconite, aux Pards & Loups: le flair du Figuier, aux Taureaux indignez: la Cigue aux Oisons: le Poupié, aux Dents: l'Huille, aux Arbres. Car maintz d'iceulx avons veu par tel usaige finer leur vie hault & court: à l'exemple de Phyllis royne des Thraces: de Bonosus, Empereur de Rome: de Amate, femme du roy Latin: de Iphis, Auctolia, Licambe, Arachné, Pheda, Leda, Acheus roy de Lydie, & aultres: de ce seulement indignez, que sans estre aultrement malades, par le Pantagruelion on leurs oppiloit les conduictz, par les quelz sortent les bons motz, & entrent les bons morceaulx, plus villainement que ne feroit la male Angine & mortelle Squinanche.

Aultres avons ouy sus l'instant que Atropos leurs couppoit le fillet de vie, soy griefvement complaignans & lamentans de ce que Pantagruel les tenoit à la guorge. Mais (las) ce n'estoit mie Pantagruel. Il ne leur feut oncques rouart, c'estoit Pantagruelion, faisant office de hart, & leurs servant de cornette. Et parloient improprement & en Soloecisme. Si non qu'on les excusast par figure Synecdochique, prenens l'invention pour l'inventeur. Comme on prent Cerès pour pain, Bacchus pour vin? Ie vous iure icy par les bons motz qui sont dedans ceste bouteille là qui refraischist dedans ce bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à la guorge si non ceulx qui sont negligens de obvier à la soif immanente.

Aultrement est dicte Pantagruelion par similitude. Car Pantagruel naissant on monde, estoit autant grand que l'herbe dont ie vous parle. & en feut prinse la mesure aisement: veu qu'il nasquit on temps de alteration, lors qu'on cueille ladicte herbe, & que le chien de Icarus par les aboys qu'il faict au Soleil, rend tout le monde Troglodyte, & constrainct habiter es caves & lieux subterrains.

Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus & singularitez. Car comme Pantagruel & esté l'Idée & exemplaire de toute ioyeuse perfection, (ie croy que personne de vous aultres Beuveurs n'en doubte) aussi en Pantagruelion ie recongnoys tant de vertus, tant d'energie, tant de perfection, tant d'effectz admirables, que si elle eust esté en ses qualitez congneue lors que les arbres (par la relation du Prophète) feirent election d'un Roy de boys pour les regir & dominer, elle sans doubte eust emporté la pluralité des voix & suffrages. Diray ie plus? Si Oxylus filz de Orius l'eust de sa soeur Hamadryas engendrée, plus en la seule valeur d'icelle se feust delecté, qu'en tous ses huyct enfans tant celebrez par nos Mythologes, qui ont leurs noms mis en memoire eternelle. La fille aisnée eut nom Vigne, le filz puysné eut nom Figuier: l'aultre Noyer, l'aultre Chesne, l'aultre Cormier, l'aultre Fenabrègue, l'aultre Peuplier, le dernier eut nom Ulmeau, & feut grand Chirurgien en son temps.

Ie laisse à vous dire comment le ius d'icelle exprimé & instillé dedans les aureilles tue toute espèce de vermine, qui y seroit née par putrefaction, & tout aultres animal qui dedans seroit entré. Si d'icelluy ius vous mettez dedans un seilleau de eaue, soubdain vous voirez l'eaue prinse, comme si feussent caillebotes, tant est grande sa vertus. Et est l'eaue ainsi caillée remède present aux chevaulx coliqueux, & qui tirent des flans. La racine d'icelle cuicte en eauen remollist les nerfz retirez, les ioinctures contractes, les podagres sclirrhoticques, & les gouttes nouées. Si promptement voulez guerir une bruslure, soit d'eaue, soit de feu, applicquez y du Pantagruelion crud, c'est à dire tel qui naist de terre, sans aultre appareil ne composition. Et ayez esguard de le changer ainsi que le voirez deseichant sus le mal. Sans elle seroient les cuisines infames, les tables detestables, quoy que couvertes feussent de toutes viandes exquises: les lictz sans delices, quoy que y feust en abondance Or, Argent, Electre, Ivoyre, & Porphyre. Sans elle ne porteroient les Meusniers bled au moulin, n'en rapporteroient farine. Sans elle comment seroient portez les playdoiers des Advocatz à l'auditoire? Comment seroit sans elle porté le plastre à l'hastellier? Sans elle comment seroit tirée l'eaue du puyz? Sans elle que seroient les Tabellions, les Copistes, les Secretaires, & Escrivains? Ne periroient les Pantarques & papiers rantiers? Ne periroit le noble art d'Imprimerie? De quoy feroit on chassis? Comment sonneroit on les cloches? D'elle sont les Isiacques ornez, les Pastophores revestuz, toute humaine nature couverte en première position. Toutes les arbres lanificques des Dères, les Gossampines de Tyle en la mer Persicque, les Cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne vestissent tant de persones, que faict ceste herbe seulette. Couvre les armées contre le froid & la pluye, plus certes commodement que iadis ne faisoient les peaulx. Couvre les Theatres & Amphitheatres contre la chaleur, ceinct les boys & taillis au plaisir des chasseurs, descend en eaue tant doulce que marine au profict des pescheurs. Par elle son bottes, botines, botasses, houzeaulx, brodequins, souliers, escarpins, pantofles, savattes mises en forme & usaige. Par elle sont les arcs tendus, les arbelestes bandées, les frondes faictes. Et comme si feust herbe sacre, Verbenicque, & reverée des Manes & Lemures les corps humains mors sans elle ne sont inhumez.

Ie diray plus. Icelle herbe moyenante les substances invisibles visiblement sont arrestées, prinses detenues, & comme en prison moses. A leur prinse & arrest sont les grosses & pesantes moles tournées agillement à insigne profict de la vie humaine. Et m'esbahys comment l'invention de tel usaige a esté par tant de siècles cela aux antiques Philosophes, veue l'utilité impréciable qui en provient: veu le labeur intolerable, que sans elle ilz supportoient en leurs pistrines. Icelle moyenant, par la retention des flotz aërez sont les grosses Orchades, les amples Thalamèges, les fors Guallions, les Naufz Chiliandres & Myriandres de leurs stations enlevées, & poussées à l'arbitre de leurs gouverneurs. Icelle moyenant, sont les nations, que Nature sembloit tenir absconses, impermeables, & incongneues: à nous venues, nous à elles. Chose que ne feroient les oyseaulx, quelque legiereté de pennaige qu'ilz ayent, & quelque liberté de nager en l'aër, que leurs soit baillée par Nature. Taprobrana a veu Lappia: Iava a veu les mons Riphées: Phebol voyra Thelème: Les Islandoys & Engronelands boyront Euphrates. Par elle Boreas a veu le manoir de Auster: Eurus a visité Zphire. De mode que les Intelligences celestes, les Dieux tant marins que terrestres en ont esté tous effrayez, voyans par l'usaige de cestuy benedict Pantagruelion, les peuples Arcticques en plein aspect des Antarticques, franchir la mer Athlanticque, passer les deux Tropicques, volter soubs la Zone torride, mesurer tout le Zodiacque, s'esbatre soubs l'aequinoctial, avoir l'un & l'aultre Pole en veue à fleur de leur Orizon. Les Dieux Olympicques ont en pareil effroy dict. Pantagruel nous a mis en pensement nouveau & tedieux, plus que oncques ne feirent les Aloides, par l'usaige & vertus de son herbe. Il sera de brief marié, de sa femme aura enfans. A ceste destinée ne povons nous contrevenir: car elles est passée par les mains & fuseaulx des soeurs fatales, filles de Necessité. Par ses enfans (peut estre) sera inventée herbe de semblable energie: moyenant laquelle pourront les humains visiter les sources des gresles, les bondes des pluyes, & l'officine des fouldres. Pourront envahir les regions de la Lune, entrer le territoire des signes celestes, & là prendre logis, les uns à l'Aigle d'or, les aultres au Mouton, les aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les aultres au Lion d'argent: s'asseoir à table avecques nous, & nos Déesses prendre à femmes, qui sont les seulx moyens d'estre deifiez. En fin ont mis le remède de y obvier en deliberation, & au conseil.

 

Comment certaine espèce de Pantagruelion peut estre par feu consommée.

 

Chapitre LII.

Ce que ie vous ay dict, est grand & admirable. Mais si vouliez vous hazarder de croire quelque aultre divinité de ce sacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non. Ce m'est tout un, me suffist vous avoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d'accès assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i'avoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & une d'eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous? comment les separeriez vous? de manière que vous me rendriez l'eau à part sans le vin, le vin sans l'eau, en mesure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la provision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes, & bussars de vin de Grave, d'Orleans, de Beaulne, de Myrevaulx, les avoient buffetez & beuz à demy, le reste emplissans d'eau, comme font les Limosins à belz esclotz, charroyans les vins d'Argenton, & Sangaultier: comment en housteriez vous l'eau entierement? comment les purifieriez vous? I'entends bien, vous me parlez d'un entonnoir de Lierre. Cela est escript. Il est vray & averé par mille experiences. Vous le sçaviez desià. Mais ceulx qui ne l'ont sceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient possible. Passons oultre.

Si nous estions du temps de Sylla, Marius, Cesar & aultres Romains empereurs ou du temps de nos antiques Druydes, qui faisoient brusler les corps mors de leurs parens & seigneurs, & voulussiez les cendres de vos femmes, ou pères boyre en infusion de quelque bon vin blanc, comme feist Artemisia les cendres de Mausolus son mary, ou aultrement les reserver entières en quelque urne, & reliquaire: comment saulveriez vous icelles cendres à part, & separées des cendres du bust & feu funeral? Respondez. Par ma figue vous seriez bien empeschez. Ie vous en depseche. Et vous diz, que prenent de ce celeste Pantagruelion autant qu'en fauldroit pour couvrir le corps du defunct, & ledict corps ayant bien à poinct enclous dedans, lié & cousu de mesmes matière, iectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez: le feu à travers le Pantagruelion bruslera & redigera en cendres le corps & les oz. Le Pantagruelion non seulement ne sera consumé ne ards, & ne deperdra un seul atome des cendres dedans encloses, ne recepvra un seul atome des cendres bustuaires, mais sera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc, & plus net que ne l'y aviez iecté. Pourtant est il appelé Asbeston. Vous en trouverez foison en Carpasie, & soubs le climat Dia Cyènes, à bon marché. O chose grande! chose admirable? Le feu qui tout devore, tout deguaste, & consume: nettoye, purge, & blanchist ce seul Pantagruelion Carpasien Asbestin. Si de ce vous defiez, & en demandez assertion & signe usual comme Iuifz & incredules: prenez un oeuf fraiz & le liez circulairement avecques ce divin Pantagruelion. Ainsi lié mettez le dedans le brasier tant grand & ardent que vouldrez. En fin vous tirerez l'oeuf cuyt, dur, & bruslé, sans alteration, immutation, ne eschauffement du sacré Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille escuz Bourdeloys, amoderez à la douzième apertie d'une Pithe: vous en aurez faict l'experience. Ne me parragonnez poinct icy la Salamandre. C'est abus. Ie confesse bien que petit feu de paille la vegète & resiouist. Mais ie vous asceure que en grande fournaise elle comme tout aultre animant, suffoquée, & consumée. Nous en avons veu l'experience. Galen l'avoit long temps a confermé & demonstré li. 3. de temperamentis & le maintient Dioscorides lib. 2. Icy ne me alleguez l'alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire brusler, pour ce que Archelaüs gouverneur de la ville pour le roy Mithridates, l'avoit toute enduicte d'alum. Ne me comparez icy celle arbre que Alexander Cornelius nommoit Eonem & la disoit estre semblable au Chesne qui porte le Guy: & ne povoir estre ne par eau, ne par feu consommée ou endommagée, non plus que le Guy de chesne, & d'icelle avoir esté faicte & bastie la tant celèbre navire Argos. Cherchez qui le croye. Ie m'en excuse. Ne me parrangonnez aussi, quoy que mirificque soit celle espèce d'arbre que voyez par les montaignes de Briançon, & Ambrun, laquelle de sa racine nous produit le bon Agaric, de son corps nous rend la resine tant excellente que Galen l'ause aequiparer à la Terebinthine: sus ses feuilles delicates nous retient le fin miel du ciel, c'est la Manne: & quoy que gomeuse & unctueuse soit, est inconsumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin: les Alpinois la nomment Melze: les Antenorides & venetians, Larège. Dont feut dict Larignum le chasteau en Piedmont: lequel trompa Iule Caesar venent es Gaules. Iule Caesar avoit faict commendement à tous les manens & habitans des Alpes & Piedmont, qu'ilz eussent à porter vivres & munitions es estappes dressées sus la voie militaire, pour son oust passant oultre. Au quel tous feurent obeissans, exceptez ceulx qui estoient dedans Larigno, les quelz soy confians en la force naturelle du lieu, refusèrent à la contribution. Pour les chastier de ce refus, l'Empereur feist droict au lieu acheminer son armée. Davant la porte du chasteau estyoit une tour bastie de gros chevrons de Larix lasses l'un sus l'aultre alternativement comme une pyle de boys, continuans en telle haulteur, que des machicoulis facilement on povoit avecques pierres & liviers debouter ceulx qui approcheroient. Quand Caesar entendit que ceulx du dedans n'avoient aultres defenses que pierres & liviers, & que à poine les povoient ilz darder iusques aux approches, commenda à ses soubdars iecter au tour force fagotz, & y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flamme feut si grande & si haulte, qu'elle couvrit tout le chasteau. Dont pensèrent que bien tost après la tour seroit arse & demollie. Mais cessant la flambe, & les fagotz consumez, la tour apparut entière, sans en rien estre endommagée. Ce que consyderant Caesar, commenda que hors le iect des pierres tout au tour, l'on feist une seine de fossez & bouclus. Adoncques les Larignans se rendirent à comoposition. Et par leur récit congneut Caesar l'admirable nature de ce boys, lequel de soy ne faict feu, flambe, ne charbon: & seroit digne en ceste qualité d'estre on degré mis de vray Pantagruelion, & d'autant plus que Pantagruel d'icelluy voulut estre facitz tous les huys, portes, fenestres, goustières, larmiers, & l'ambrun de Thelème: pareillement d'icelluy feist couvrir les pouppes, prores, fougons, tillacs, coursies, & rambardes de ses carracons, navires, gualères, gualions, brigantins, fustes, & aultres vaisseaulx de son arsenac de Thalasse: ne feust que Larix en grande fournaise de feu provenent d'aultres espèces de boys, est en fin corrumpu & dissipé, comme sont les pierres en fourneau de chaulx. Pantagruel Asbeste plus tost y est renouvelé & nettoyé, que corrumpu ou alteré. Pourtant

Indes cessez, Arabes, Sabiens

Tant collauder vos Myrrhe, Encent, Ebène,

Venez icy reongnoistre nos biens,

Et emportez de nostre herbe la grène.

Puys si chez vous peut croistre, en bonne estrène,

Graces rendez es cieulx un million:

Et affermez de France heureux le règne,

On quel provient Pantagruelion.

 

FIN DU TROISIEME

livre des faicts & dicts Heroïcques

du bon Pantagruel.

TABLE DES MATIERES

contenues en ce praesent troisième livre

des faicts & dicts Heroïcques

du bon Pantagruel.

 

LE TIERS LIVRE

DES FAICTS ET DICTS

Héroïques du bon Pantagruel

Composé par M. Fran.

Rabelais docteur

en Medi-

cine.

PROLOGUE DE L'AUTEUR

M. François Rabelais pour le tiers livre des faicts & dicts Heroïques du bon Pantagruel.

Comment Pantagruel transporta une colonie de Utopiens en Dipsodie.

Chapitre I.

Comment Panurge fut faict chastellain de Salmiguondin en Dipsodie, & mangea son bled en herbe.

Chap. II.

Comment Panurge loue les debteurs & emprunteurs.

Chapitre III.

Continuation du discours de Panurge à la louange des presteurs & debteurs.

Chapitre IIII.

Comment Pantagruel deteste les debteurs & emprunteurs.

Chapitre V.

Pourquoy les nouveaulx mariez estoient exemptz d'aller en guerre.

Chapitre VI.

Comment Panurge avoit la pusse en l'aureille, & desista porter sa magnificque braguette.

Chapitre VII.

Comment braguette est première pièce de harnois entre gens de guerre.

Chapitre VIII.

Comment Panurge se conseille à Pantagruel pour sçavoir s'il se doibt marier.

Chapitre IX.

Comment Pantagruel remonstre Panurge difficile chose estre

le conseil de mariage, & des sors Homeriques & Virgilianes.

Chapitre X.

Comment Pantagruel remonstre le sort des dez estre illicite.

Chapitre XI.

Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes, quel sera le mariage de Panurge.

Chapitre XII.

Comment Pantagruel conseille Panurge prevoir l'heur ou le malheur de son mariage par songes.

Chapitre XIII.

Le songe de Panurge & interpretation d'icelluy.

Chapitre XIIII.

Excuse de Panurge & exposition de Caballe monasticque en matière de beuf sallé.

Chapitre XV.

Comment Pantagruel conseille à Panurge de conferer avecques une Sibylle de Panzoust.

Chapitre XVI.

Comment Panurge parle à la Sibylle de Panzoust.

Chapitre XVII.

Comment Pantagruel & Panurge diversement exposent les vers de la Sibylle de Panzoust.

Chapitre XVIII.

Comment Pantagruel loue le conseil des muetz.

Chapitre XIX.

Comment Nazdecabre par signes respond Panurge.

Chapitre XX.

Comment Panurge prend conseil d'un vieil Poete François nommé Raminagrobis.

Chapitre XXI.

Comment Panurge patrocine à l'ordre des fratres Mendians.

Chapitre XXII.

Comment Panurge faict discours pour retourner à Raminagrobis.

Chapitre XXIII.

Comment Panurge prend conseil de Epistemon.

Chapitre XXIIII.

Comment Panurge se conseille à Her Trippa.

Chapitre XXV.

Comment Panurge prend conseil de frère Ian des Entommeures.

Chapitre XXVI.

Comment Frère Ian ioyeusement conseille Panurge.

Chapitre XXVII.

Comment frère Ian reconforte Panurge sus le doubte de Coqüage.

Chapitre XXVIII.

Comment Pantagruel faict assemblée d'un Theologien, d'un medicin, d'un legiste, & d'un Philosophe, pour la perplexité de Panurge.

Chapitre XXIX.

Comment Hippothadée Theologien donne conseil à Panurge sus l'entreprinse de mariage.

Chapitre XXX.

Comment Rondibilis medicin conseille Panurge. Chapitre XXXI.

Comment Rondibilis declaire Coqüage estre naturellement des apennages de mariage.

Chapitre XXXII.

Comment Rondibilis le medicin donne remède à Coqüage.

Chapitre XXXIII.

Comment les femmes ordinairement appetent choses defendues.

Chapitre XXXIIII.

Comment Trouillogan Philosophe traicte la difficulté de mariage. Chapitre XXXV.

Continuation des responses de Trouillogan philosophe Ephecticque & Pyrrhonien.

Chapitre XXXVI.

Comment Pantagruel persuade à Panurge prendre conseil de quelque fol.

Chapitre XXXVII.

Comment par Pantagruel & Panurge est Triboullet blasonné.

Chapitre XXXIII.

Comment Pantagruel assiste au iugement du iuge Bridoye, lequel sententioit les procès au sort des dez.

Chapitre XXXIX.

Comment Bridoye expose les causes pourquoy il visitoit les procès qu'il decidoit par le sort des dez.

Chapitre XL.

Comment Bridoye narre l'histoire de l'apoincteur de procès.

Chapitre XLI.

Comment naissent les procès, & comment ilz viennent à perfection.

Chapitre XLII.

Comment Pantagruel excuse Bridoye sus les iugemens faictz au sort des dez.

Chapitre XLIII.

Comment Pantagruel raconte une estrange histoire des perplexitez du iugement humain.

Chapitre XLIIII.

Comment Panurge se conseille à Triboullet.

Chapitre XLV.

Comment Pantagruel & Panurge diversement interpretent les parolles de Triboullet.

Chapitre XLVI.

Comment Pantagruel & Panurge delibèrent visiter l'oracle de la Dive Bouteille.

Chapitre XLVII.

Comment Gargantua remonstre n'estre licite es enfans soy marier, sans le sceu & adveu de leurs pères & mères.

Chapitre XLVIII.

Comment Pantagruel feist ses apprestz pour monter sus mer. Et de l'herbe nommée Pantagruelion.

Chapitre XLIX.

Comment doibt estre preparé & mis en oeuvre le celèbre Pantagruelion.

Chapitre L.

Pourquoy est dicte Pantagruelion, & des admirables vertus d'icelle.

Chapitre LI.

Comment certaine espèce de Pantagruelion peut estre par feu consommée.

Chapitre LII.

FIN DU TROISIEME

livre des faicts & dicts Heroïcques

du bon Pantagruel.

TABLE DES MATIERES

contenues en ce praesent troisième livre

des faicts & dicts Heroïcques

du bon Pantagruel.