L'ANCIENNE GUERRE DES
CHEVALIERS
ainsi que l'avertissement ,
l'emblème et son explication, extrait de :
Le Triomphe Hermétique ou la Pierre Philosophale
Victorieuse
Limojon de Saint-Didier
Edition : 1699
TABLE :
Avertissement
Embleme
Explication generale de cet embleme
L'Ancienne Guerre des Chevaliers
AVERTISSEMENT
On est assés persuadé qu'il n'y a déja que trop de livres
qui traittent de la Philosophie Hermétique; et qu'à moins de
vouloir escrire de cette science clairement, sans équivoque, et
sans allegorie (ce qu'aucun sage ne fera jamais) il vaudroit
beaucoup mieux demeurer dans le silence, que de remplir le monde
de nouveaux ouvrages, plus propres à embarasser davantage
l'esprit de ceux, qui s'appliquent à pénétrer les mistères
philosophiques; qu'à les redresser dans la véritable voye, qui
conduit au terme désiré, où ils aspirent. C'est pour cette
raison qu'on a jugé que l'interprétation d'un bon Auteur, qui
traite solidement de cette sublime Philosophie, seroit beaucoup
plus utile aux enfants de la science, que quelque nouvelle
production parabolique, ornée des plus ingénieuses expressions,
que les Adeptes sçavent imaginer, lorsqu'ils traittent de ce
grand art, ou plustost lorsqu'ils écrivent pour faire seulement
connoitre à ceux qui possèdent comme eux, ou qui cherchent le
Magistère, qu'ils ont eû le bonheur d'arriver à sa possession.
En effet la plûpart des Philosophes qui en ont escrit, l'ont
plûtost fait pour parler de l'heureux succez, dont Dieu a beni
leur travail; que pour instruire autant qu'il seroit nécessaire,
ceux qui s'adonnent à l'estude de cette sacrée science. Cela
est si veritable, que la plûpart ne font pas meme difficulté
d'avouer de bonne foy, que ç'a esté là leur principale veuë,
lorsqu'ils en ont fait des livres.
Le petit traitté qui a pour titre l'ancienne guerre des
Chevaliers, a mérité sans contredit l'approbation de tous les
sages, et de ceux aussi, qui ont quelque connaissance de la
Philosophie Hermétique. Il est écrit en forme d'entretien,
d'une manière simple, et naturelle, qui porte par tout le
caractere de la vérité: mais avec cette simplicité, il ne
laisse pas d'estre profond, et solide dans le raisonnement, et
convainquant dans les preuves; de sorte qu'il n'y a pas un mot
qui ne porte sentence, et sur lequel il n'y eust de quoy faire un
long commentaire. Cet ouvrage a esté composé en Alleman par un
vray Philosophe, dont le nom est inconnu. Il parut imprimé à
Leypsic en 1604. Fabri de Montpellier le traduisit en latin:
c'est sur ce latin, que fut faite la traduction Françoise
imprimée à Paris chez d'Houry et mise à la fin de la Tourbe
Françoise, de la parole délaissée, et de Drebellius, qui
composent ensemble un volume. Mais soit que Fabri ait mal entendu
l'Alleman, ou qu'il ait à dessein falsifié l'original; il se
trouve dans ces deux traductions des passages corrompus, dont la
fausseté étant toute manifeste, a fait mépriser ce petit
ouvrage par plusieurs personnes: bien que d'ailleurs il parust
estre d'un grand merite.
Comme la verité, et la fausseté ne sont pas compatibles dans un
même sujet, et qu'il estoit aisé de juger que ces traductions
n'estoient pas fideles; il s'est trouvé un Philosophe d'un
sçavoir et d'un merite extraordinaire, qui pour satisfaire sa
curiosité sur ce sujet, s'est donné la peine de faire une
recherche de plus de dix années, pour trouver l'original Alleman
de ce petit traitté, et l'ayant enfin recouvré, l'a fait
exactement traduire en latin: c'est sur cette Copie, que cette
nouvelle traduction a esté faite, avec toute la fidelité
possible. On y reconnoistra la bonté de l'original, par la
vérité qui paroist evidemment dans la restitution de plusieurs
endroits, qui avoient esté non seulement alterez, mais encore
entièrement changez. On en jugera par le passage marqué 34, ou
la première traduction dit comme le Latin de Fabri. Mercurium
nostrum nemo assequi potest; nisi ex mollibus octo corporibus,
neque ullum absque altero parari potest. Il n'en falloit pas
davantage pour faire mépriser cet escrit par ceux qui ont assez
de connoissance des principes de l'oeuvre, pour en pouvoir
distinguer le vray d'avec le faux: les sçavants toutesfois
jugeoient aisement, qu'une faute aussi fondamentale que celle
là, ne pouvoit venir d'un vray Philosophe, qui fait bien
comprendre d'ailleurs, qu'il a parfaitement connu le magistere:
mais il falloit trouver un sçavant zelé pour la découverte de
la vérité, et en estat, comme estoit celuy-ci, de faire une
aussi grande recherche, pour trouver l'original de cet ouvrage;
sans quoy il estoit impossible d'en retablir le vray sens.
L'endroit, qu'on vient de remarquer, n'est pas le seul, qui avoit
besoin d'estre redressé. Si on prend la peine de confronter
cette nouvelle traduction avec la precedente, on y trouvera une
fort grande difference, et plusieurs corrections essentielles. Le
passage 35 n'en est pas une des moindres; et comme cette
traduction a esté faite sur la nouvelle copie Latine, sans avoir
voulu jetter les yeux sur celle qui avoit déjà esté imprimée
en Francois; on a eu le plaisir de remarquer ensuite tout ce qui
ne s'est pas trouvé conforme à la première. Les parolles et
les frazes entieres, qui ont esté adjoutées en quelques
endroits de celle-cy, pour faire une liaison plus naturelle, ou
un sens plus parfait, sont renfermées entre deux crochets ( ),
afin qu'on distingue ce qui est, d'avec ce qui n'est pas du
texte, auquel l'autheur de cette traduction s'est tenu
scrupuleusement attaché: parce que la moindre addition, sur une
matière de cette nature peut faire un changement considérable,
et causer de grandes erreurs.
La beauté, et la solidité de cet escrit meritoient bien la
peine qu'on y fist un commentaire, qui rendist plus intelligible
aux enfans de la science, un traitté qui peut leur tenir lieu de
tous les autres. Et comme la methode des entretiens est la plus
propre pour éclaircir, et pour rendre palpables les vérités
les plus relevées; on s'en est servi icy, avec autant plus de
raison, que l'autheur sur lequel est fait le commentaire, a
escrit de cette mesme manière. On trouvera dans l'entretien
d'Eudoxe et de Pyrophile, qui explique celuy de la pierre avec
l'or et le mercure, les principales difficultez éclaircies par
les questions et les répôses qui y sont faites sur les points
les plus essentiels de la Philosophie Hermétique.
Les chiffres qui sont à la marge (Ils sont ici inclus dans le
corps du texte entre parenthèses ). de ces deux entretiens,
marquent le rapport des endroits du premier avec ceux du dernier
où ils sont expliquez. On remarquera dans cet ouvrage une
entiere conformité de sentimens avec les premiers maistres de
cette Philosophie, aussi bien qu'avec les plus sçavans, qui ont
escrit dans les derniers siècles; de sorte qu'il ne se trouvera
guere de traitté sur cette matiere, quelque grand qu'en soit le
nombre, qui soit plus clair, et plus sincere, et qui puisse par
consequent etre plus utile que celuy-ci, à ceux qui s'appliquent
à l'estude de cette Science, et qui ont d'ailleurs toutes les
bonnes qualitez de l'esprit et du Coeur, que notre Philosophie
requiert en ceux qui veulent y faire du progrez.
Ce commentaire paroistra sans doute d'autant meilleur, qu'il
n'est point diffus, comme sont presque tous les commentaires;
qu'il ne touche que les endroits, qui peuvent avoir besoin de
quelque explication; et qu'il ne s'écarte en aucune maniere du
sujet; mais comme ces sortes d'ouvrages ne sont pas pour ceux qui
n'ont encore aucune teinture de la Philosophie secrète: les plus
clair-voyants connoistront bien qu'on a beaucoup mieux aimé
passer par dessus plusieurs choses, qui auroiét, peut-être
mérité une interprétation, que d'expliquer generalement tout
ce qui pouvoit encore causer quelque difficulté aux aprentifs de
ce grand art.
Comme le premier de ces entretiens raconte la victoire de la
Pierre et que l'autre expose les raisons, et fait voir les
fondemens de son triomphe: il semble que ce livre ne pouvoit
paroistre sous un titre plus convenable que sous celuy du
Triomphe Hermetique, ou de la Pierre Philosophale victorieuse. Il
ne reste autre chose à dire icy, sinon que l'autheur de la
traduction qui l'est aussi du commentaire, et de la lettre qui
est à la fin de ce livre, n'a eu en cecy d'autre interest, n'y
d'autre veuë, que de manifester la vérité à ceux qui aspirent
à sa connoissance, par les motifs qui conviennent aux veritables
enfans de la science; aussi il declare, et il proteste
sincerement qu'il désire de tout son coeur, que ceux qui sont
assez malheureux, pour perdre leur temps à travailler sur des
matières estrangeres, ou esloignées, se trouvent assez
éclairez par la lecture de ce Livre, pour connoistre la vraye et
unique matière des Philosophes; et que ceux qui la connoissent
déjà, mais qui ignorent le grand point de la solution de la
Pierre, et de la Coagulation de l'Eau et de l'esprit du Corps,
qui est le terme de la Medecine universelle, puissent apprendre
icy ces operations secretes; qui y sont décrites assez
distinctement pour eux.
L'Autheur n' a pas trouvé à propos d'escrire
en latin, ne croyant pas, comme bien d'autres, que ce soit
reveler ces hauts misteres, de les traiter en langue vulgaire :
il a suivi en cela l'exemple de plusieurs Philosophes qui ont
voulu que leur ouvrage portast le Caractere de leur pays ; aussi
son premier dessein a esté d'etre utile à tous ces
compatriotes, ne doutant pas que si ce Traité paraist de quelque
merite aux disciple de Hermes, il ne s'en trouve, qui le
traduiront en la langue qui leur plaira.
EXPLICATION GENERALE
DE CET EMBLEME
On ne doit pas s'attendre de voir icy une explication en
détail qui tire absolument le rideau de dessus cet énigme
philosophique, pour faire paroistre la vérité à découvert; si
cela estoit, il n'y auroit qu'à jetter au feu tous les Escrits
des Philosophes: Les Sages n'auroient plus d'avantage sur les
ignorans; les uns et les autres seront également habiles dans ce
merveilleux art.
On se contentera donc de voir dans cette figure, comme dans un
miroir, l'abregé de toute la Philosophie secrete, qui est
contenuë dans ce petit livre, où toutes les parties de cet
emblème se trouvent expliquées aussi clairement, qu'il est
permis de le faire.
Ceux qui sont initiés dans les misteres philosophiques
comprendront d'abord aisement le sens qui est caché sous cette
figure: mais ceux qui n'ont pas ces lumieres, doivent considerer
icy en general une mutuelle correspondance entre le Ciel et la
Terre, par le moyen du Soleil et de la Lune, qui sont comme les
liens secrets de cette union philosophique.
Ils verront dans la pratique de l'oeuvre, deux ruisseaux
paraboliques, qui se confondant secretement ensemble, donnent
naissance à la misterieuse pierre triangulaire, qui est le
fondement de l'art.
Ils verront un feu secret et naturel, dont l'esprit penetrant la
Pierre, la sublime en vapeurs, qui se condensent dans le
vaisseau.
Ils verront quelle efficace la pierre sublimée reçoit du Soleil
et de la Lune, qui en sont le Pere et la Mere, dont elle herite
d'abord la première couronne de perfection.
Ils verront dans la continuation de la pratique, que l'art donne
à cette divine liqueur une double couronne de perfection par la
conversion des Elemens, et par l'extraction et la depuration des
principes, par où elle devient ce mistérieux caducée de
Mercure, qui opere de si surprenantes metamorphoses.
Ils verront que ce même Mercure, comme un Phenix qui prend une
nouvelle naissance dans le feu, parvient par le Magistere à la
dernière perfection de Soufre fixe des Philosophes, qui luy
donne un pouvoir souverain sur les trois genres de la nature,
dont la triple couronne sur laquelle est posé pour cet effet le
Hieroglyphique du monde, est le plus essentiel caractere.
Ils verront enfin dans son lieu, ce que signifie la portion du
Zodiaque avec les trois signes qui y sont representez: de sorte
que joignant toutes ces explications ensemble; il ne sera pas
impossible d'en tirer l'intelligence entiere de toute la
Philosophie secrete et de la plus grande partie de la pratique
qui est deduite assés au long dans la Lettre adressée aux
vrays disciples de Hermès, qui est à la fin de cet ouvrage.
Cette figure avec son explication doit être
insérée aprés la Preface.
L'ANCIENNE GUERRE
DES CHEVALIERS,
Ou ENTRETIEN
De la PIERRE DES PHILOSOPHES
avec l'Or et le MERCURE,
Touchant la véritable matière, dont ceux qui sont
savans dans les Secrets de la Nature, peuvent faire la Pierre
Philosophale, suivant les règles d'une pratique
convenable, et par le secours de Vulcain Lunatique.
Composé
originairement en Alleman par un très-
habile philosophe et traduit nouvellement
du Latin en Français.
L'Ancienne Guerre des Chevaliers,
Ou
Entretien De la PIERRE DES PHILOSOPHES
avec l'Or et le MERCURE
Le sujet de cet entretien est une dispute que l'Or et le
Mercure eurent un jour avec la Pierre des Philosophes. Voicy de
quelle maniere parle un veritable Philosophe (qui est parvenu à
la possession de ce grand secret).
Je vous proteste devant Dieu, et sur le salut (éternel) de mon
âme, avec un coeur sincere, touché de compassion pour ceux qui
sont depuis longtemps dans les grandes recherches; et (je vous
certifie) à vous tous qui chérissés ce merveilleux art, que
toute nostre oeuvre prend naissance (1) d'une seule chose et
qu'en cette chose l'oeuvre trouve sa perfection, sans qu'elle ait
besoin de quoy que ce soit autre, que d'estre (2) dissoute et
coagulée, ce qu'elle doit faire d'elle mesme, sans le recours
d'aucune chose étrangere.
Lors qu'on met de la glace dans un vase placé sur le feu, on
voit que la chaleur la fait resoudre en eau: (3) on doit en user
de la même maniere avec nostre pierre, qui n'a besoin que du
secours de l'artiste, de l'operation de ses mains, et de l'action
du feu (4) naturel: car elle ne se resoudra jamais d'ellemême;
quand elle demeureroit éternellement sur la terre: c'est
pourquoy nous devons l'aider; de telle maniere toutefois, que
nous ne luy adjoutions rien qui luy soit étranger et contraire.
Tout ainsi que Dieu produit le froment dans les champs, et que
c'est ensuite à nous à le mettre en farine, la pétrir et en
faire du pain; de même nostre art requiert que nous fassions la
mesme chose (5). Dieu nous a créé ce minéral; afin que nous le
prenions tout seul, que nous décomposions son corps grossier et
épois; que nous separions et prenions pour nous ce qu'il
renferme de bon dans notre intérieur; que nous rejettions ce
qu'il a de superflu; et que d'un venin (mortel), nous apprenions
à faire une Medecine (souveraine).
Pour vous donner une plus parfaite intelligence de cet agreable
entretien; je vous feray le recit de la dispute qui s'éleva
entre la Pierre des Philosophes, l'Or et le Mercure; de sorte que
ceux qui depuis longtemps s'appliquent à la recherche (de notre
art) et qui sçavent de quelle manière on doit traitter (6) les
metaux et les mineraux, pourront en estre assés éclairés, pour
arriver droit au but qu'ils se proposent: il est cependant
necessaire que nous nous appliquions à connoistre (7)
exterieurement et interieurement l'essence et les propriétés de
toutes les choses qui sont sur la terre et que nous penétrions
dans la profondeur des operations, dont la nature est capable.
RECIT
L'Or et le Mercure allerent un jour à main armée, pour
(combattre) et pour subjuguer la Pierre. L'Or, animé de fureur,
commença à parler de cette sorte.
L'OR.
Comment as-tu la temerité de t'eslever au-dessus de moy, et de
mon frere Mercure et de pretendre la preference sur nous: toy qui
n'es qu'un (8) vers (bouffi) de venin ? Ignores-tu que je suis le
plus precieux, le plus constant, et le premier de tous les metaux
? (ne sçais tu pas) que les Monarques, les Princes, et les
Peuples font également consister toutes leurs richesses en moy,
et en mon frere Mercure; et que tu es au contraire le (dangereux)
ennemi des hommes et des metaux; au lieu que les (plus habiles)
médecins ne cessent de publier, et de vanter les vertus
(singulieres) que je possede (9) pour donner (et pour conserver)
la santé à tout le monde ?
LA PIERRE.
A ces parolles (pleines d'emportement), la Pierre. répondit
(sans s'émouvoir): Mon cher Or, pourquoy ne te faches-tu pas
plustot contre Dieu, et pourquoy ne lui demandes-tu pas pour
quelles raisons il n'a pas créé en toy ce qui se trouve en moy
?
L'OR.
C'est Dieu même qui m'a donné l'honneur, la reputation et le
brillant esclat, qui me rendent si estimable: c'est pour cette
raison, que je suis si recherché d'un chacun. Une de mes plus
grandes perfections est d'estre un metail inalterable dans le
feu, et hors du feu; aussi tout le monde m'aime et court après
moy: mais toy tu n'es qu'une (10) fugitive, et une trompeuse, qui
abuse tous les hommes : cela se voit en ce que tu t'envoles et
que tu t'échapes des mains de ceux qui travaillent avec toy.
LA PIERRE.
Il est vrai mon cher Or, c'est Dieu qui t'a donné l'honneur, la
constance, et la beauté, qui te rendent precieux : c'est
pourquoy tu es obligé de rendre des graces (éternelles à sa
divine bonté) et ne pas mépriser les autres, comme tu fais: car
je puis te dire que tu n'es pas cet Or, dont les écrits des
Philosophes font mention (11); mais cet Or est caché dans mon
sein. Il est vray, je l'avoue, je coule dans le feu (et n'y
demeure pas) toutefois tu sçais fort bien que Dieu et la nature
m'ont donné cette qualité, et que cela doit être ainsi;
d'autant que ma fluidité tourne à l'avantage de l'Artiste, qui
sçait (12) la maniere de l'extraire; sçache cependant que mon
âme demeure constamment en moy, et qu'elle est plus stable, et
plus fixe, que tu n'es, tout Or que tu sois, et que ne sont tous
tes freres, et tous tes compagnons. Ni l'eau, ni le feu, quel
qu'il soit, ne peuvent la détruire, ni la consumer; quand ils
agiroient sur elle pendant autant de temps que le monde durera.
Ce n'est donc pas ma faute si je suis recherchée par des
Artistes, qui ne sçavent pas comment il faut travailler avec
moy, ni de quelle manière je dois estre preparée. Ils me
mèlent souvent avec des matieres estrangeres, qui me sont
(entierement) contraires. Ils m'adjoutent de l'eau, des poudres,
et autres choses semblables, qui détruisent ma nature et les
proprietes qui me sont essentieles; aussi s'en trouve-t-il à
peine un entre cent (13) qui travaille avec moy. Ils s'appliquent
tous à chercher (la verité) de l'art dans toy, et dans ton
frere Mercure: c'est pourquoi ils errent tous, et c'est en cela
que leurs travaux sont faux. Ils en sont eux-mesme un (bel)
exemple: car c'est inutilement qu'ils emploient leur Or et qu'ils
tachent de le détruire: Il ne leur reste de tout cela, que
l'extrême pauvreté, à laquelle ils se trouvent enfin réduits.
C'est toy Or, qui es la premiere cause (de ce malheur), tu sçais
fort bien que sans moy, il est impossible de faire aucun Or, ni
aucun Argent qui soient parfaits; et qu'il n'y a que moy seule,
qui aye ce (merveilleux) avantage. Pourquoi souffres-tu donc, que
presque tout le monde entier fonde ses opérations sur toy, et
sur le Mercure ? Si tu avois encore quelque reste d'honnêteté,
tu empêcherois bien que les hommes ne s'abandonnassent à une
perte toute certaine: mais comme (au lieu de cela) tu fais tout
le contraire; je puis soutenir avec verité, que c'est toy seul,
qui es un trompeur.
L'OR.
Je veux te convaincre par l'authorité des Philosophes, que la
verité de l'art peut estre accomplie avec moy. Lis Hermès. Il
parle ainsi: " Le Soleil est son pere (14) et la Lune sa
mere: or je suis le seul qu'on compare au soleil.
Aristote, Avicenne, Pline, Serapion, Hipocrate, Dioscoride,
Mesué, Rasis, Averroes, Geber, Raymond Lulle, Albert le grand,
Arnaud de Villeneufve, Thomas d'Acquin, et un grand nombre
d'autres Philosophes, que je passe sous silence pour n'estre pas
long, écrivent tous clairement, et distinctement, que les
métaux, et la Teinture (phisique) ne sont composés que de
Souffre, et de Mercure (15); que ce Souffre doit estre rouge,
incombustible, resistant constamment au feu, et que le Mercure
doit estre clair, et bien purifié. Ils parlent de cette sorte
sans aucune reserve; ils me nomment ouvertement par mon propre
nom, et disent que dans l'Or (c'est-à-dire dans moy) se trouve
le souffre rouge, digest, fixe et incombustible; ce qui est
veritable, et tout évident; car il n'y a personne qui ne
connoisse bien, que je suis un métail tres constant (et
inalterable), que je suis doué d'un souflre parfait et
entierement fixe, sur lequel le feu n'a aucune puissance.
Le Mercure fut du sentiment de l'Or; il approuva son
discours; soutint que tout ce que son frère venoit de dire,
estoit veritable, et que l'oeuvre pouvoit se parfaire de la
maniere que l'avoient écrit les Philosophes cy-dessus alleguez.
Il adjouta mesme, que chacun connoissoit (assés) combien estoit
grande (16) l'amitié (mutuele) qu'il y avoit entre l'Or et lui,
préférablement à tous les autres métaux; qu'il n'y avoit
personne, qui ne peut aisément en juger par le témoignage de
ses propres yeux que les orfevres, et autres semblables artisans
sçavoient fort bien, que lors qu'ils vouloient dorer quelque
ouvrage, ils ne pouvoient se passer du (mélange) de l'Or et du
Mercure, et qu'ils en faisoient la conjonction en très peu de
temps, sans difficulté, et avec fort peu de travail: que ne
devoit-on pas esperer de faire avec plus de temps, plus de
travail, et plus d'application ?
LA PIERRE.
A ce discours, la Pierre se mit à rire et leur dit, en verité
vous merités bien l'un et l'autre qu'on se mocque de vous, et de
vostre démonstration: mais c'est toy, Or, que j'admire encore
plus, voyant que tu t'en fais si fort accroire, pour l'avantage
que tu as d'estre bon à certaines choses. Peux-tu bien te
persuader que les anciens Philosophes ont écrit, comme ils ont
fait, dans un sens qui doive s'entendre à la maniere ordinaire ?
Et croix-tu qu'on doive simplement interpreter leurs paroles à
la lettre ?
L'OR.
Je suis certain que les Philosophes, et les Artistes que je viens
de citer, n'ont point écrit de mensonge. Ils sont tous de mesme
sentiment touchant la vertu que je possede: Il est bien vray,
qu'il s'en est trouvé quelques-uns, qui ont voulu chercher dans
des choses entierement éloignées, la puissance, et les
proprietes qui sont en moy. Ils ont travaillé sur certaines
herbes; sur les animaux; sur le sang; sur les urines; sur les
cheveux; sur le sperme; et sur des choses de cette nature:
ceux-là se sont sans doute écartés de la véritable voye, et
ont quelquefois écrit des faussetés: mais il n'en est pas de
même des maistres que j'ay nommés. Nous avons des preuves
certaines, qu'ils ont en effet possede ce (grand) art; c'est
pourquoy nous devons adjouter foy à leurs écrits.
LA PIERRE.
Je ne revoque point en doute que (ces Philosophes) n'ayent eu une
entiere connoissance de l'art; excepté toutesfois quelques-uns
de ceux que tu as allegués; car il y en a parmi eux, mais fort
peu, qui l'ont ignoré, et qui n'en ont écrit, que sur ce qu'ils
en ont ouï dire: mais lorsque (les veritables Philosophes)
nomment simplement l'Or, et le Mercure, comme les principes de
l'art, ils ne se servent de ces termes, que pour en cacher la
connoissance aux ignorans, et à ceux qui sont indignes (de cette
science): car ils sçavent fort bien que ces Esprits (vulgaires)
ne s'attachent qu'aux noms des choses, aux receptes, et aux
procedez, qu'ils trouvent écrits; sans examiner s'il y a un
(solide) fondement dans ce qu'ils mettent en pratique: mais les
hommes scavants et qui lisent (les bons livres) avec application,
et exactitude considerent toutes choses avec prudence; examinent
le rapport, et la convenance qu'il y a entre une chose et une
autre, et par ce moyen, ils penètrent dans le fondement (de
l'art), de sorte que par le raisonnement et par la meditation,
ils découvrent (enfin) qu'elle est la matiere des Philosophes,
entre lesquels il ne s'en trouve aucun qui ait voulu l'indiquer,
ni la donner à connoistre ouvertement, et par son propre nom.
Ils se déclarent nettement là dessus; lors qu'ils disent qu'ils
ne revèlent jamais moins (le secret) de leur art, que lors
qu'ils parlent clairement, et selon la maniere ordinaire (de
s'énoncer): mais (ils avouent) au contraire que (17) lors qu'ils
se servent de similitudes, de figures et de paraboles, c'est en
verité dans ces endroits (de leurs escrits) qu'ils manifestent
leur art: car (les Philosophes) après avoir discouru de l'Or et
du Mercure, ne manquent pas de declarer ensuite, et d'asseurer,
que leur Or n'est pas le Soleil (ou l'or) vulgaire, et que leur
Mercure n'est pas non plus le Mercure commun; en voicy la raison.
L'Or est un metail parfait, lequel à cause de la perfection (que
la nature lui a donnée) ne sçauroit estre poussé (par l'art)
à un degré plus parfait; de sorte que de quelque manière qu'on
puisse travailler avec l'Or; quelque artifice qu'on mette en
usage; quand on extrairoit cent fois sa couleur (et sa teinture);
l'Artiste ne fera jamais plus d'Or et ne teindra jamais une plus
grande quantité de métail qu'il y avait de couleur et de
teinture dans l'Or (dont elle aura esté extraite): c'est pour
cette raison, que les Philosophes disent, qu'on doit chercher la
perfection (18) dans les choses imparfaites, et qu'on l'y
trouvera. Tu peux lire dans le Rosaire ce que je te dis icy.
Raymond Lulle, que tu m'as cité, est de ce mesme sentiment, (il
asseure), que ce qui doit estre rendu meilleur, ne doit pas estre
parfait; parce que dans ce qui est parfait, il n'y a rien à
changer, et qu'on détruiroit bien plustot sa nature; (que
d'adjouter quelque chose à sa perfection).
L'OR.
Je n'ignore pas que les Philosophes parlent de cette manière:
toutesfois cela se peut appliquer à mon frere Mercure, qui est
encore imparfait: mais si on nous joint tous deux ensemble, il
reçoit alors de moy la perfection (qui lui manque): car il est
du sexe feminin, et moi je suis du sexe masculin; ce qui fait
dire aux Philosophes, que l'art est un tout homogene. Tu vois un
exemple de cela dans (la procreation) des hommes: car il ne peut
naistre aucun enfant sans (l'accouplement) du mâle, et de la
femele; c'est à dire, sans la conjonction de l'un avec l'autre.
Nous en avons un pareil exemple dans les animaux et dans tous les
êtres vivants.
LA PIERRE.
Il est vray ton frere Mercure est imparfait (19) et par
consequent il n'est pas le Mercure des Sages: aussi quand vous
seriez conjoints ensemble, et qu'on vous tiendroit ainsi dans le
feu pendant le cours de plusieurs années, pour tâcher de vous
unir parfaitement l'un avec l'autre; il arrivera tousiours (la
mesme chose, sçavoir) qu'aussi-tost que le Mercure sent l'action
du feu, il se separe de toy, se sublime, s'envole, et te laisse
seul en bas. Que si on vous dissout dans l'eau-forte; si on vous
reduit en une seule (masse), si on vous resout; si on vous
distille, et si on vous coagule, vous ne produirés toutesfois
jamais qu'une poudre, et un precipité rouge: que si on fait
projection de cette poudre sur un métail imparfait, elle ne le
teint point: mais on y trouve autant d'Or qu'on en avoit mis au
commencement, et ton frere Mercure te quitte, et s'enfuit.
Voilà quelles sont les experiences que ceux qui s'attachent à
la recherche de la Chimie, ont faites à leur grand dommage,
pendant une longue suite d'années: voilà aussi (ou aboutit)
toute la connoissance qu'ils ont acquise par leurs travaux: mais
pour ce qui est du proverbe des anciens, dont tu veux te
prevaloir, que l'art est un tout (entierement) homogene; qu'aucun
enfant ne peut naistre sans le mâle et la femele; et que tu te
figures, que par là les Philosophes entendent parler de toy et
de ton frère Mercure; je dois te dire (nettement) que cela est
faux, et que mal à propos on l'entend de toy; encore qu'en ces
mesmes endroits, les Philosophes parlent juste, et disent la
vérité. Je te certifie, que c'est icy (20) la Pierre angulaire,
qu'ils ont posée, et contre laquelle plusieurs milliers d'hommes
ont bronché.
Peux-tu bien t'imaginer qu'il en doit estre de mesme (21) avec
les metaux, qu'avec les choses qui ont vie. Il t'arrive en cecy
ce qui arrive à tous les faux Artistes: car lors que vous lisez
(de semblables passages) dans les Philosophes, vous ne
vous attachés pas à les examiner davantage, pour tâcher de
découvrir si (de telles expressions) quadrent, et s'accordent,
ou non, avec ce qui a esté dit auparavant, ou qui est dit dans
la suite: cependant (tu dois sçavoir), que tout ce que les
Philosophes ont escrit de l'oeuvre en termes figurez, se doit
entendre de moy seule, et non de quelque autre chose, qui soit
dans le monde, puis qu'il n'y a que moy seule, qui puisse faire
ce qu'ils disent, et que (22) sans moy, il est impossible de
faire aucun or, ni aucun argent, qui soient verltables.
L'OR.
Bon Dieu ! n'as-tu point de honte de proferer un si grand
mensonge ? et ne crains-tu pas de commettre un péché en te
glorifiant jusques à un tel point, que d'oser t'attribuer à toy
seule, tout ce que tant de sages et de sçavans personnages ont
escrit de cet art, depuis tant de siècles, toy, qui n'es qu'une
matiere crasse, impure, et venimeuse; et tu avoues, nonobstant
cela, que cet art est un tout (parfaitement) homogene ? tu dis de
plus, que sans toy, on ne peut faire aucun or, ni aucun argent,
qui soient véritables, comme estant une chose (23) universelle
(n'est-ce pas là une contradiction manifeste); d'autant que
plusieurs sçavans personnages se sont appliqués avec tant de
soin et d'exactitude aux (curieuses) recherches qu'ils ont
faites, qu'ils ont trouvé d'autres voyes (ce sont des
procedez) qu'on nomme des particuliers, desquels cependant on
peut tirer une grande utilité.
LA PIERRE.
Mon cher Or, ne sois pas surpris de ce que je viens de te dire,
et ne sois pas si imprudent que de m'imputer un mensonge, à moy
qui y a (24) plus d'âge que toy: s'il m'arrivoit de me tromper
en cela, tu devrois avec juste raison excuser mon (grand) âge;
puis que tu n'ignores pas, qu'il faut porter respect à la
vieillesse.
Pour te faire voir que j'ay dit la vérité, afin de deffendre
mon honneur, je ne veux m'appuyer que (de l'authorité) des
mêmes maistres, que tu m'a citez, et que, par conséquent, tu
n'es pas en droit de recuser. (Voyons) particulièrement Hermès.
Il parle ainsy. Il est vrai, sans mensonge, certain, et tres
veritable, que ce qui est en bas, est semblable à ce qui est en
haut; et ce qui est en haut, est semblable à ce qui est en bas:
(25) c'est par ces choses, qu'on peut faire les miracles d'une
seule chose.
Voici comment parle Aristote. O que cette chose est admirable,
qui contient en elle mesme toute les choses dont nous avons
besoin. Elle se tue elle mesme; et ensuite elle reprend vie
d'elle mesme; (26) elle s'épouse elle mesme, elle s'engrosse
elle mesme, elle naist mesme; elle se resout d'elle mesme dans
son propre sang; elle se coagule de nouveau avec luy, et prend
une consistance dure; elle se fait blanche; elle se fait rouge
d'elle mesme; nous ne lui adjoutons rien de plus, et nous n'y
changeons rien, si ce n'est que nous en separons la grossiereté
et la terrestreïté.
Le Philosophe Platon parle de moy en ces termes: C'est une seule
unique chose, d'une seule et mesme espèce en elle mesme; (27)
elle a un corps, une âme, un esprit, et les quatre elemens, sur
les quels elle domine. Il ne lui manque rien; elle n'a pas besoin
des autres corps, car elle s'engendre elle mesme; toutes choses
sont d'elle, par elle, et en elle.
Je pourrois te produire icy plusieurs autres témoignages: mais
comme cela n'est pas necessaire, je les passe sous silence, pour
n'estre pas ennuyeuse: et comme tu viens de me parler de (procédés)
particuliers, je vay t'expliquer en quoy ils different (de l'art)
(28). Quelques artistes qui ont travaillé avec moy, ont poussé
leurs travaux si loin, qu'ils sont venus à bout, de séparer de
moy mon esprit, qui contient ma teinture; en sorte que le mélant
avec d'autres métaux et mineraux, ils sont parvenus à
communiquer quelque peu de mes vertus et de mes forces, aux
metaux qui ont quelque affinité et quelque amitié avec moy:
cependant les Artistes qui ont reussy par cette voye, et qui ont
trouvé seurement une partie (de l'art), sont veritablement en
très-petit nombre: mais comme ils n'ont pas connu (29) l'origine
d'où viennent les teintures, il leur a esté impossible de
pousser leur travail plus loing; et ils n'ont pas trouvé au bout
du compte, qu'il y eust une grande utilité dans leur procédé:
mais si ces Artistes avoient porté leurs recherches au delà, et
qu'ils eussent bien examiné qu'elle est (30) la femme qui m'est
propre; qu'ils l'eussent cherchée; et qu'ils m'eussent uni à
elle; c'est alors que j'aurois pû teindre mille fois (davantage:
) mais (au lieu de cela) ils ont entièrement détruit ma propre
nature, en me mêlant avec des choses étrangères; c'est
pourquoy bien qu'en faisant leur calcul, ils ayent trouvé
quelque avantage, fort médiocre toutesfois, en comparaison de la
grande puissance qui est en moi: il est constant neanmoins que
(cette utilité) n'a procédé, et n'a eu son origine, que de
moy, et non de quoique ce soit autre (avec quoi j'aye pû être
mélée.)
L'OR.
Tu n'as pas assés prouvé par ce que tu viens de dire: car
encore que les Philosophes parlent d'une seule chose, qui
renferme en soy les quatre elemens, qui a un corps, une ame, et
un esprit; et que par cette chose ils veuillent faire entendre la
teinture (Phisique ;) lors qu'elle a esté poussée jusques à sa
dernière (perfection ;) qui est le but où ils tendent;
néanmoins, cette chose doit dès son commencement estre
composée de moy, qui suis l'Or, et de mon frere, qui est le
Mercure, comme estant (tous deux) la semence masculine et la
semence feminine; ainsi qu'il a esté dit cy dessus: car après
que nous avons esté suffisamment cuits, et transmués en
teinture, nous sommes pour lors l'un et l'autre (ensemble) une
seule chose, dont les Philosophes parlent.
LA PIERRE.
Cela ne va pas comme tu te l'imagines. Je t'ay déjà dit cy
devant, qu'il ne peut se faire une veritable union de vous deux,
parce que vous n'estes pas un seul corps (31), mais deux corps
ensemble; et par consequent vous estes contraires, à considerer
le fondement de la nature: mais moy j'ay un corps (32) Imparfait,
une ame constante, une teinture penetrante: j'ay de plus un
Mercure clair transparent, volatil et mobile, et je puis operer
toutes les (grandes) choses, dont vous vous glorifiez tous deux,
sans toutesfois que vous puissiez les faire: parce que c'est moy
qui porte dans mon sein l'Or Philosophique et le Mercure des
Sages; c'est pourquoy les Philosophes (parlant de moy) disent,
nostre Pierre (33) est invisible, et il n'est pas possible
d'acquérir la possession de nostre Mercure, autrement que par le
moyen de (34) deux corps, dont l'un ne peut recevoir sans
l'autre, la perfection (qui lui est requise).
C'est pour cette raison qu'il n'y a que moy seule, qui possede
une semence masculine, et féminine, et qui sois (en mesme temps)
un tout (entierement) homogene, aussi me nomme-t-on
Hermaphrodite. Richard Anglois rend témoignage de moy, disant la
premiere matiere de nostre Pierre s'appelle Rebis (deux fois
chose:) c'est à dire une chose qui a reçue de la nature une
double propriété oculte, qui luy fait donner le nom
d'Hermaphrodite; comme qui diroit une matiere dont il est
difficile de pouvoir distinguer le sexe, (et de découvrir) si
elle est mâle ou si elle est fermele, d'autant qu'elle incline
également de deux costez: c'est pourquoy la medecine
(universelle) se fait d'une chose, qui est (35) l'Eau et l'Esprit
du corps.
C'est cela qui a fait dire, que cette medecine qui a trompé un
grand nombre de sots à cause de la multitude des enigmes (sous
lesquelles elle est enveloppée :), cependant cet art ne requiert
qu'une seule chose, qui est connuë d'un chacun, et que plusieurs
souhaitent; et le tout est une chose qui n'a pas sa pareille dans
le monde; (36) elle est vile toutesfois, et on peut l'avoir à
peu de fraiz: il ne faut pas pour cela la mépriser: car elle
fait, et parfait des choses admirables.
Le Philosophe Alain dit, Vous qui travaillés à cet art, vous
devés avoir une ferme et constante application d'esprit à
vostre travail, et ne pas commencer à essayer tantost une chose,
et tantost une autre. L'art ne consiste pas dans la pluralité
des especes: mais dans le corps, et dans l'esprit. O qu'il est
veritable, que la medecine de nostre Pierre est une chose, un
vaisseau, une conjonction. Tout l'artifice commence par une
chose, et finit par une chose: bien que les Philosophes
dans le dessein de cacher ce (grand art) décrivent plusieurs
voyes; sçavoir une conjonction continuelle, une mixtion, une
sublimation, une desiccation, et tout autant d'autres (voyes et
operations) qu'on peut en nommer de differents noms: mais (37) la
solution du corps ne se fait que dans son propre sang.
Voici comment parle Geber, Il y a un souffre dans la profondeur
du Mercure qui le cuit, et qui le digere dans les veines des
mines, pendant un tres-long temps. Tu vois donc bien mon cher Or,
que je t'ay amplement demontré que ce souffre n'est qu'en moy
seule; puis que je fais tout moy seule, sans ton secours, et sans
celuy de tous tes freres et de tous tes compagnons. Je n'ay pas
besoin de vous: mais vous avez tous besoin de moy; d'autant que
je puis vous donner à tous la perfection, et vous eslever au
dessus de l'estat, où la nature vous a mis.
A ces dernieres parolles, l'Or se mit furieusement en colere, ne
sçachant plus que répondre: il tint (cependant) conseil avec
son frere Mercure, et ils convinrent ensemble qu'ils
s'assisteroient l'un l'autre, (esperant) qu'estant deux contre
nostre Pierre, qui n'est qu'une et seule, ils la surmonteroient
facilement; de sorte qu'après n'avoir pu la vaincre par la
dispute, ils prirent resolution de la mettre à mort par
l'espée. Dans ce dessein, ils joignirent leurs forces, afin de
les augmenter par l'union de leur double puissance.
Le combat se donna. Nostre Pierre deploya ses forces, et sa
valeur: les combatit tous deux; (33) les surmonta, les dissipa,
et les engloutit l'un et l'autre en sorte qu'il ne restà aucun
vestige, qui put faire connoistre ce qu'ils estoient devenus.
Ainsi chers amis, qui avez la crainte de Dieu devant les yeux, ce
que je viens de vous dire, doit vous faire connoistre la verité,
et vous éclairer l'esprit autant qu'il est necessaire, pour
comprendre le fondement du plus grand, et du plus precieux de
tous les tresors qu'aucun Philosophe n'a si clairement exposé,
découvert, ny mis au jour.
Vous n'avés donc pas besoin d'autre chose. Il ne vous reste
qu'à prier Dieu qu'il veuille bien vous faire parvenir à la
possession d'un joyau, qui est d'un prix inestimable. Eguisés
après cela la pointe de vos Esprits; lisés les escrits des
Sages avec prudence; travaillés avec diligence (et exactitude),
n'agissés pas avec precipitation dans un oeuvre si précieux
(39). II a son temps ordonné par la nature; tout de mesme que
les fruits, qui sont sur les arbres, et les grappes de raisins
que la vigne porte. Ayés la droiture dans le coeur, et proposés
vous (dans vostre travail) une fin honneste; autrement Dieu ne
vous acordera rien: (40) car il ne communique un (si grand) don,
qu'à ceux qui veulent en faire un bon usage; et il en prive ceux
qui ont dessein de s'en servir pour commettre le mal. Je prie
Dieu qu'il vous donne sa (sainte) bénédiction. Ainsi soit-il.
FIN
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