Franc-maçonnerie, société de pensée de nature initiatique, à caractère fraternel et philanthropique. Elle ne peut être assimilée ni à une secte x, ni à une Église, ni à un parti politique, car elle nest pas doctrinaire, elle nimpose aucune croyance, et elle ne cherche pas à conquérir le pouvoir.
Historique
Dorigine anglaise, la franc-maçonnerie est issue des confréries de bâtisseurs du XIVe siècle qui bénéficiaient de franchises fiscales accordées par le pouvoir royal. Itinérants, les compagnons, pour lessentiel tailleurs de pierre, se réunissaient dans des loges, locaux installés aux abords des chantiers, où se transmettaient les secrets du métier sous la férule dun maître maçon. Cette première franc-maçonnerie sera désignée par la suite comme "!opérative!", en raison du développement dune sociabilité dintérêt principalement professionnel.
La franc-maçonnerie en Angleterre
À partir du XVIe siècle, ces cercles commencent à souvrir à dautres corps de métiers puis, progressivement, à admettre dans leurs rangs des hommes fortunés, des hommes de loi et des ecclésiastiques. Cest alors que la franc-maçonnerie spéculative ou philosophique émerge, plus indifférente à "!lart de bâtir!", transformant ces assemblées en sociétés de pensée consacrées à la formation des consciences et à la défense de nouveaux principes tels que la fraternité, légalité et la paix. En 1717, à Londres, quatre de ces guildes appelées loges , fusionnent en une grande loge, couvrant Londres et Westminster. En 1723, cette dernière prend le titre de Grande Loge dAngleterre!; elle se dote de constitutions, dites dAnderson, et devient dès lors la référence commune des francs-maçons. Lhistoire de la maçonnerie anglaise est marquée par de nombreux conflits, notamment entre les maçons protestants et catholiques, malgré la tolérance confessionnelle des règlements référentiels. La querelle entre les ateliers proches de lesprit libéral de la loge dYork et ceux, plus traditionalistes, se référant à la Grande Loge de Londres ne séteint quen 1813 avec la création dune Grande Loge unie dAngleterre. Cette dernière révise les constitutions de 1723 en imposant la croyance en un Dieu révélé.
Les maçons anglais répandent très rapidement linstitution dans leurs colonies et dans les pays dEurope : les premiers ateliers sinstallent en Russie (1717), en Belgique (1721), en Espagne (1728), en Italie (1733) et en Allemagne (1736).
La franc-maçonnerie en France
Comme pour le reste de lEurope, la franc-maçonnerie simplante en France, vers 1725, sous limpulsion daristocrates anglais. En 1735, sorganise la première obédience française, la Grande Loge de France, qui se dote en 1738 dun Grand Maître, le duc dAntin. De nombreux membres, ou frères, cherchent à démocratiser linstitution en instaurant une élection des représentants. Cette scission engendre, en 1773, la création dune obédience rivale le Grand Orient de France (GODF) présidée par le duc de Chartres, futur Philippe Égalité. Au XIXe siècle, les deux grandes obédiences sont le Grand Orient et le Suprême Conseil du Rite écossais ancien et accepté, créé en 1804.
Lorsque, en 1877, le Grand Orient écarte de sa constitution lobservance religieuse et introduit lidée de la liberté de conscience, la Grande Loge dAngleterre lexclut de lordre maçonnique pour avoir répudié ce principe fondamental. Alors que le Grand Orient se radicalise en poursuivant ses activités dans un esprit anticlérical, la Grande Loge de France (GLDF), fondée en 1894, se réfère symboliquement à un "!Grand Architecte de lUnivers!", synonyme dun Dieu, et opte pour une tendance plus spiritualiste. En 1913, une franc-maçonnerie régulière se constitue sous le nom de "!Grande Loge nationale indépendante et régulière!" puis, à partir de 1948, sous celui de "!Grande Loge nationale française (GLNF)!"!; elle est, en France, la seule obédience reconnue de la Grande Loge dAngleterre.
Les femmes dans la franc-maçonnerie
Dès son origine, la franc-maçonnerie est masculine. Larticle 3 des constitutions dAnderson stipule que son accès reste interdit aux femmes. Afin datténuer la polémique introduite par les progressistes, des loges dadoption, sous tutelle, sont créées mais sétiolent pour pratiquement disparaître au XIXe siècle. En 1893, sous limpulsion de la première sur initiée, Maria Desraimes, est fondée une obédience mixte, le Droit Humain, ouvertement anticlérical et féministe.
Une obédience exclusivement féminine, la Grande Loge féminine de France, apparaît officiellement en 1952, lorsque la GLDF rend leur liberté aux loges dadoption réactivées au début du siècle.
Francs-maçons et systèmes maçonniques
Sociologie des francs-maçons
Placé dès le XVIIIe siècle sous le patronage de membres de la noblesse, lordre est considéré, par la classe marchande britannique alors en plein essor, comme un moyen dascension sociale. Cela permet à la franc-maçonnerie de souvrir progressivement au reste de la société, comme au reste du monde. Puis, à partir du XIXe siècle, les francs-maçons se recrutent essentiellement dans la classe moyenne, support de lidéal républicain.
Principaux systèmes
Le concept de hiérarchie nexiste pas en maçonnerie. Les maçons optent pour légalité absolue entre frères, et les différentes structures ne servent quà une coordination de la pensée maçonnique. Certes, pour la gestion administrative, il existe des fonctions à différents niveaux : un vénérable préside chaque loge, assisté dun collège dofficiers (orateur, surveillants, secrétaire, trésorier, etc.). Lobédience, présidée par un grand maître, nest en définitive quune fédération de loges, cellules de base en franc-maçonnerie qui réunissent les frères des trois premiers grades (apprentis, compagnons et maîtres). Cette franc-maçonnerie est communément appelée maçonnerie bleue. Il existe aussi des ateliers de perfectionnement qui sont réservés aux hauts grades, différents selon les rites, et nettement plus empreints désotérisme.
Les nombreuses obédiences qui composent la franc-maçonnerie aujourdhui se reconnaissent globalement dans lune des deux grandes tendances : la maçonnerie dite "!régulière!", rattachée à la tradition anglo-saxonne et invoquant le Grand Architecte de lUnivers, et une maçonnerie se réclamant de lesprit de tolérance des constitutions dAnderson. Parmi les nombreux rites maçonniques qui ont vu le jour à partir du XVIIe siècle figurent le rite écossais ancien et accepté (adopté par la Grande Loge de France), le rite français (utilisé par la majorité des loges du Grand Orient de France), le rite dYork, le rite écossais rectifié, etc.
Les conceptions du travail maçonnique
Symboles maçonniques
La franc-maçonnerie apparaît comme une société initiatique puisque, pour devenir membre dune loge, un individu doit être préalablement accepté puis initié, dans lobservance des secrets, en conformité avec le mythe hiramique personnage biblique, Hiram de Tyr, architecte, a été engagé par le roi Salomon sur le chantier du Temple et a résisté à la torture sans livrer ses secrets. Le mythe dHiram sert également de point de départ dun calendrier maçonnique utilisant un système de datation de 4 000 ans antérieur au calendrier usuel.
Des symboles servent à la préparation des travaux de réflexion et comme signe de reconnaissance entre ses membres, la maçonnerie restant une société secrète ou discrète selon les périodes. Les outils des constructeurs de cathédrales (équerre, compas, niveau, truelle, etc.) constituent le premier support auquel viennent sajouter les formes (triangle, étoile), les nombres (trois, cinq, sept) et les lettres. Des objets sont aussi utilisés pour une reconnaissance interne : des vêtements tels que les tabliers graduels ou des objets comme le maillet, symbole dautorité, utilisé lors de louverture et de la fermeture des travaux.
Devoirs du maçon
La maçonnerie est, avant tout, une société qui vise à enseigner une philosophie morale à ses membres. En cela, malgré lobservance du secret, le franc-maçon doit subordonner ses obligations fraternelles à ses devoirs envers Dieu (pour les maçonneries se référant au Grand Architecte de lUnivers), à son pays, à sa famille et à lhumanité.
Une réglementation interne aux obédiences et aux loges astreint les maçons à des devoirs envers linstitution autant que le reste de la société dite "!profane!".
Objectifs de la maçonnerie
Dans la plupart des pays, le caractère charitable et le principe de fraternité se traduisent par la création de foyers maçonniques pour les maçons âgés ou pour leurs veuves, ainsi que des orphelinats et écoles pour les enfants des membres de lordre. Cette fraternité diffère toutefois radicalement dautres sociétés de bienfaisance privées, car laide ou la charité entre membres reste purement volontaire : aucun contrat ou autre forme daccord ne stipule lobligation de soutenir financièrement et matériellement un frère dans la détresse. La franc-maçonnerie sinvestit aussi dans des causes humanitaires et nhésite pas à collecter des fonds à loccasion de grandes catastrophes, comme celle de la mine de Courrières, en 1906.
Mais le travail véritable en loge est une réflexion progressiste, tant pour le maçon lui-même que pour la société dans laquelle il évolue. Cest ainsi que les maçons français ont uvré, entre autres, pour la laïcisation de lenseignement, la séparation de lÉglise et de lÉtat (sous le ministère dÉmile Combes), lextension du vote aux femmes ou linterruption volontaire de grossesse.
Opposition et anti-maçonnisme
Opposition religieuse
Dès sa fondation, lordre est lobjet de nombreuses critiques et condamnations politiques et ecclésiastiques. Bien que la franc-maçonnerie nexclue pas les catholiques, qui sont largement représentés dans les loges, particulièrement en Amérique latine et aux Philippines, en 1738, le pape Clément XII excommunie, par la bulle In eminenti, les francs-maçons pour hérésie. Benoît XIV les condamne à son tour en 1751, dans la bulle Providas. En fait, lÉglise catholique reproche à la franc-maçonnerie dusurper ses propres prérogatives par des principes spirituels et un caractère religieux, raison pour laquelle certains pays catholiques nont jamais autorisé la franc-maçonnerie. En France, en revanche, puisque les différentes bulles pontificales ne sont pas enregistrées par les parlements, lordre sépanouit à la suite du courant athée de la Révolution française. La célèbre encyclique Humanum genus de Léon XIII (1884) laisse entendre que lordre pratique le satanisme. Ce nest quen 1974 quun ecclésiastique, le révérend père Michel Riquet, propose une réconciliation de lÉglise catholique avec la maçonnerie française.
Oppositions politiques
La franc-maçonnerie subit, dès le XVIIIe siècle, les attaques des différents régimes dans de nombreux pays. En 1737, en France, un collège de juges décide de linterdire : le pouvoir politique ne peut en effet rester indifférent à légard des hommes qui se réunissent dans des lieux tenus secrets. Les dirigeants des États catholiques appliquent les directives du Vatican, comme par exemple en Espagne. Aux États-Unis, après lenlèvement, en 1821, du frère William Morgan qui menaçait de dévoiler les secrets de la franc-maçonnerie, nombre de loges font lobjet dattaques virulentes. En France, la thèse dun complot "!judéo-maçonnique!" est soutenue par le journaliste et polémiste Léo Taxil qui publie, à la fin du XIXe siècle, de "!fracassantes révélations!" sur la franc-maçonnerie. De même, la prise de position en faveur du capitaine Dreyfus de la maçonnerie française permet à ses adversaires dalimenter cette thèse.
Lavènement de régimes politiques autoritaires dans la première moitié du XXe siècle constitue une menace sérieuse pour la franc-maçonnerie : Hitler impute la responsabilité de diverses actions subversives aux francs-maçons!; il leur attribue même les incidents qui ont conduit à la Première Guerre mondiale. Il décrète la dissolution de toutes les obédiences maçonniques en Allemagne!; les loges sont fermées et les frères fichés. Staline, Mussolini, Franco, Salazar et Pétain leur réservent le même sort. En France, le régime de Vichy interdit la maçonnerie dès août 1940 et sengage dans une persécution systématique des francs-maçons, au même titre que les juifs. Les régimes communistes, à linstar de lURSS stalinienne, anéantissent toute organisation maçonnique. Ce nest quau début des années quatre-vingt-dix que lordre se reconstitue dans les pays de lEst.
Influence en France
Linfluence de la franc-maçonnerie sétend considérablement après la Révolution française : bourgeoise et libérale, elle saccommode de la succession des régimes. Son rôle politique saccroît sous la IIIe République, et les francs-maçons uvrent grandement à laffermissement du régime républicain : lévocation des noms dÉmile Littré et de Jules Ferry suffit à démontrer les liens établis entre républicains et francs-maçons, notamment dans le combat que représente la laïcité. Dailleurs, na-t-on pas parlé de la maçonnerie de cette période comme de la "!République à couvert!"!?
Au cours du XXe siècle, la franc-maçonnerie, en tant quinstitution, perd beaucoup de son autorité sur le pouvoir politique. Les grands scandales comme laffaire des fiches maçonniques (en 1904, est révélée lexistence de fichiers renseignant sur lopinion politique et religieuse des militaires français, fichiers constitués par les frères du Grand Orient en collaboration avec le ministère de la guerre), ou laffaire Stavisky impliquant des politiciens maçons sont pour beaucoup dans le discrédit de lordre.
Aujourdhui, la franc-maçonnerie sest fortement éloignée des passions politiques pour se préoccuper de son action citoyenne et humanitaire : elle se manifeste par diverses prises de position publiques sur des questions de société ou déthique comme lAppel à la fraternité lancé en 1985 avec des associations humanitaires et des représentants de diverses religions, revendiquant le droit à la justice, à la liberté et à légalité pour les immigrés.
Parmi les membres célèbres de lordre maçonnique, figurent Wolfgang Amadeus Mozart (dont lopéra la Flûte enchantée est empreint du rituel maçonnique), Léon Tolstoï, dont le roman Guerre et Paix exalte les idéaux de fraternité, ainsi quOscar Wilde, Benjamin Franklin et Franklin D. Roosevelt.
Le nombre de francs-maçons dans le monde dépasse aujourdhui les 6 millions.